Réservé jadis aux morts, le cimetière de Kinsuka suscite de plus en plus la convoitise de plusieurs Kinois en quête de parcelles. Logé sur la route de Mbudi, dans la commune de Mont-Ngafula, il abrite désormais de nombreuses constructions anarchiques. Plus étonnant d’y voir les morts cohabiter pacifiquement avec les vivants. Reportage. }



Dépourvu de clôture, le cimetière de Kinsuka est visiblement accessible à tous. Le jour comme la nuit, on peut y accéder sans aucune restriction. De prime abord, le passant est marqué par l’herbe sauvage qui couvre des centaines de vieux tombeaux, au point où l’on a de la peine à savoir qu’il existe un cimetière sur place.
Moins entretenu, ce site est négligé. Ici, on voit des croix étalées sur le sol, là-bas s’alignent des dizaines de tombes cassées. Mais curieusement, c’est à peine le quart de tombes qui couvrent encore le cimetière, les trois quarts de la zone étant occupés par des maisons des particuliers.
Même dans la zone où subsistent encore quelques sépultures, de futurs bailleurs convoitent des terrains à lotir. Aux côtés des pierres tombales, ils ont entassé caillasses, moellons, graviers et sables pour la construction de leurs logis. On voit à certains endroits des maisons inachevées qui poussent comme des champignons… au milieu des tombes.
DES RESIDENCES SUR DE VIEUX TOMBEAUX
"Que ces habitations ne t’étonnent pas, me souffle un passant. On n’enterre plus dans ce cimetière depuis plusieurs années. Raison pour laquelle on note, ces derniers temps, un engouement des clients désireux de se procurer des lopins de terre ici".
Selon des témoignages concordants, le lotissement des terrains bénéficie de la complicité des autorités municipales. On les accuse de vendre des terrains aux particuliers qui construisent leurs résidences sur de vieux tombeaux.

UNE CITE OU LES OCCUPANTS VIVENT NORMALEMENT…
Au milieu du cimetière, une avenue sépare la partie habitée et celle qui regorge encore les tombes ainsi que des maisons en construction. ’’La zone résidentielle’’ du cimetière est carrément muée en cité où les occupants vivent normalement… sans se soucier des morts sur lesquels ils mangent, boivent, marchent et dorment. On n’y voit plus la moindre trace de tombe.
On aperçoit même un restaurant de fortune, communément appelé ’’malewa’’. Au menu, les pieds de porcs à la sauce, les poissons chinchards grillés ordinairement appelés ’’mpiodi’’, les cuisses de poulet, le fufu (pâte de farine de manioc), le ’’nsaka madesu’’- un plat préparé à base des haricots mélangés au ’’pondu’’ (feuilles de manioc)…
Sourire éclatant, teint sombre, grande de taille, Betty Musau, la propriétaire de cette gargote, est installée ici depuis 2009. Et c’est depuis 2011 qu’elle pratique cette activité. "C’est ici que j’ai pu m’offrir cette petite maison, déclare-t-elle. Ailleurs, je ne pouvais pas me la procurer, parce que les moyens ne me le permettaient pas. Ici au moins, je suis à l’aise sachant que je suis chez moi. Mais, j’ai parfois peur qu’un jour, on puisse nous expulser d’ici, car ce terrain demeure une propriété de l’Etat".
Non loin de là, dans une paillotte couverte de pailles, des consommateurs de liqueurs traditionnelles (’’lotoko’’) se régalent en sirotant leurs boissons préférées à moindres frais. Ils viennent de temps en temps se rafraîchir auprès de leur fournisseur du quartier, Mme Marie-Claire T. Femme de militaire, cette jeune dame, la trentaine révolue, vit dans un petit logis en terre jaune, érigé à proximité de la paillotte achalandée, dans ’’la zone résidentielle’’ du cimetière de Kinsuka.
"J’habite ici avec mes deux enfants et mon mari, nous confie-t-elle. Pour nous, cet endroit est comme tout autre. On ne s’imagine même pas dans l’enceinte d’un cimetière ! Avant, nous habitions chez les parents de mon mari. Mais, les conditions n’étaient pas du tout bonnes. Aujourd’hui, on est bien chez nous, quoique ce soit dans un cimetière".

"AVEC 50 DOLLARS US, ON PEUT DEJA SE PROCURER UNE PORTION DE TERRE DANS CE SITE"

Au bord de la route, un cordonnier célèbre dans le quartier répare un tas de chaussures. A tout moment, des passants le saluent à cœur joie. Quinquagénaire, Kasongo - c’est son nom - connaît mieux l’histoire de cette ’’nouvelle cité’’ construite sur des tombes. Agrippé à son crochet, assis confortablement sur son tabouret, il nous avoue que les gens construisent ici au cimetière, faute de moyens. "Avec 50 dollars Us, on peut déjà se procurer une portion de terre dans ce site", nous signale-t-il. Un peu plus loin, des enfants courent par-ci par-là. Deux petites filles, Mélodie et Dimercia, âgées respectivement de 7 et 9 ans, jouent sur des sépultures dans la zone qui abrite encore des pierres tombales. Personne ne leur interdit de jouer dans ce lieu réservé aux morts. Elles sautent et crient sans gêne, ni peur. "Nous jouons ici tous les jours et nous n’avons pas du tout peur", affirme Dimercia, la plus grande de deux.
Chasser les occupants, ils reviennent au galop. Il y a pourtant une année, la police de Kinshasa était venue chasser les occupants du cimetière de Kinsuka. L’attaque surprise, menée le 21 février 2013, avait ciblé une vingtaine de maisons construites sur une partie de ce cimetière. Selon Célestin Kanyama, alors commissaire supérieur principal et commandant de la police du district de Lukunga, l’opération de destruction de ces "constructions anarchiques" avait été initiée par l’Hôtel de ville de Kinshasa.
Aujourd’hui, les occupants de ce site reviennent sur le lieu. Certains avouent même avoir reçu l’aval des autorités locales. "J’ai une fiche parcellaire, cachetée, datée et signée par le bourgmestre de la commune de Mont-Ngafula. Mais s’il a signé, c’est qu’il a autorisé au nom de l’Etat congolais. Mais, c’est ce même Etat congolais qui vient encore détruire les maisons ? Y a quelque chose qui ne va pas dans ce pays !", s’était plaint un occupant menacé.
"Avec cette résurgence des constructions anarchiques, on risquerait bien de voir le cimetière de Kinsuka enterré dans un plus proche avenir", lâche un résidant d’un quartier environnant, convaincu que les morts n’auront pas toujours raison sur les vivants. Claudia Mianda/Stagiaire l’IFASIC & Yves Kalikat

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