La République démocratique du Congo vient d’être dotée d’une Cour constitutionnelle, aux termes de la Loi n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle.




L’avènement de cette Cour constitue un moment clé de l’histoire judiciaire et de la démocratie de notre pays en ce qu’elle est censée renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif.

La promulgation de la loi portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle du fait de l’éclatement programmé de la Cour Suprême de Justice (CSJ) en trois Cours distinctes à savoir la Cour de Cassation, la Cour Constitutionnelle et le Conseil d’Etat, intervient avec un retard exceptionnel.

La justice constitutionnelle congolaise s’inspire du modèle européen de contrôle « concentré ». En effet, il existe deux modèles en matière de contrôle de constitutionnalité à savoir le modèle américain où les tribunaux de l’ordre judiciaire existant, et la cour suprême, sont chargés de surveiller la constitutionnalité des lois. Le contrôle est alors diffus.

D’autre part, le modèle européen est fondé sur un système, centralisé, concentré de contrôle exercé par une Cour constitutionnelle unique créée à cette fin.

Voilà sept ans que les Congolais attendaient : « la Cour constitutionnelle ». La loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle vient d’être promulguée le mardi 15 octobre 2013. C’est désormais chose acquise.

Les neuf membres de cet organe devraient être nommés dans les six mois. Trois par le président lui-même, trois par le Parlement et trois par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Leur mandat est de neuf ans non renouvelable. Le président de cette Cour est élu par ses pairs pour une durée de trois ans renouvelable une fois.

La loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, votée en son temps vers février/mars 2011 par le Sénat et l’Assemblée nationale, avait été transmise au chef de l’État pour promulgation.

Néanmoins, en faisant usage des pouvoirs conférés spécialement par la constitution, le Président de la République l’a déclarée non-conforme à la Constitution et l’a renvoyée pour amendement.

À la demande du Président, cette loi organique a été amendée par le parlement et la loi a été de nouveau envoyée au Président pour promulgation. Avant publication de cette loi, la Cour Suprême devait rendre son avis. Cet avis ne fut pas rendu dans les délais. Il s’agit là d’une entorse technique qui bloquait la promulgation et la publication. C’était là une excellente parade pour justifier l’absence de promulgation.

Il est à noter que le service de publication relève au Congo directement de la présidence de la République. Par la promulgation de cette loi, le Président accède enfin à la demande de l’opposition, la société civile et la communauté internationale.

La Cour suprême a continué de jouer son double rôle


Tenant compte de la mission de cette Cour et de ses défis, on peut donc comprendre que se livrer à un tel exercice à l’approche des élections présidentielles et législatives de 2011 s’est avéré périlleux au point qu’il a été jugé préférable de bloquer et/ou freiner la promulgation de cette loi grâce à des manœuvres dilatoires (avis tardif de la CSJ) plutôt que d’avoir à gérer les complications liées à la mise en place de cette Haute juridiction et en particulier à la désignation de ses principaux animateurs.

En effet, l’absence de promulgation de cette loi a permis de concentrer ces compétences de contrôle de constitutionnalité, de la régularité des élections entre les mains de la Cour Suprême qui a continué de jouer son double rôle de juge unique du contentieux électoral et d’institution de confirmation des résultats du scrutin. Ceci constituait un enjeu de taille quand on se souvient de l’ampleur de la contestation lors des derniers scrutins de novembre 2011. La nomination par le Président de 17 nouveaux magistrats à la CSJ à la veille desdits scrutins n’a pas aidé à dissiper les soupçons de partialité.

En effet, la Constitution organise les mécanismes de la promulgation d’office au cas où, au-delà de 15 jours, le Président de la République ne l’a pas fait. Dans le cas d’espèce, on peut considérer, sur le plan strictement juridique, que la promulgation est intervenue de droit en vertu de l’article 140 al.2 de notre constitution.

Cependant, sur le plan pratique une loi ne peut produire ses effets qu’après sa publication au journal officiel. Dès lors, elle acquiert son opposabilité à tous. Tant qu’elle n’était pas publiée au Journal Officiel, cette loi organique n’était pas opposable et ne pouvait donc pas sortir ses effets.

Une étape majeure du processus de démocratisation

L’article 157 de la Constitution congolaise stipule qu’il est institué une Cour constitutionnelle. Une institution judiciaire importante pour l’équilibre des institutions est ainsi créée. La mise en œuvre de cet article de la Constitution constitue une étape majeure du processus de démocratisation.


Seule la promulgation suivie de la publication de cette loi au journal officiel faisait encore défaut pour que la volonté du constituant devienne réalité.

Pour sa part l’art. 168 dispose que : « Les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires et aux particuliers. Tout acte déclaré non conforme à la Constitution est nul de plein droit. »

Les compétences de cette Cour sont à classer en trois catégories distinctes à savoir le contrôle de la constitutionnalité d’actes avant leur adoption, après leur adoption ainsi que les autres compétences de la Cour constitutionnelle.

La Cour est compétente pour le contrôle de constitutionnalité a priori de certains actes avant leur adoption. C’est l’exemple de toutes les lois organiques, les règlements intérieurs des Chambres parlementaires et du Congrès, de la Commission électorale nationale indépendante et du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de communication etc.

D’autre part, cette Cour est également compétente pour le contrôle de constitutionnalité de certains actes après leur adoption. p.e, les recours en interprétation de la Constitution à l’initiative du Président de la République, du Gouvernement, du Président du Sénat, du Président de l’Assemblée nationale, d’un dixième des membres de chacune des chambres parlementaires, des gouverneurs de Province et des présidents des Assemblées provinciales.

Cette Cour est le juge de l’exception d’inconstitutionnalité, soulevée par ou devant une juridiction à la demande de toute personne qui l’invoque dans une affaire qui la concerne devant cette juridiction. Elle est également compétente pour le règlement des conflits de compétences entre le Pouvoir exécutif et le Pouvoir législatif ; entre l’État et les Provinces, ainsi qu’entre juridictions.

S’agissant des autres compétences. C’est la Cour qui, en cas d’état d’urgence ou d’état de siège, doit déclarer, toutes affaires cessantes, si celles-ci dérogent ou non à la Constitution.

Elle est aussi la Juridiction pénale du Chef de l’État et du Premier ministre (ainsi que de leurs coauteurs et complices), pour des infractions politiques (haute trahison, outrage au Parlement, atteinte à l’honneur ou à la probité, délits d’initié ainsi que pour les autres infractions de droit commun commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions.

C’est encore elle qui déclare la vacance de la présidence de la République (pour cause de décès, de démission ou pour toute autre cause d’empêchement définitif) et la prolongation du délai (de soixante jours au moins et de quatre-vingt-deux jours au plus)à cent vingt jour au plus pour la convocation de l’élection du nouveau Président de la République par la Commission électorale nationale indépendante.

Le CSM, l’organe de gestion du pouvoir judiciaire

Analysant sa composition, il se dégage que 3 membres de cette Cour sont désignés par le pouvoir discrétionnaire du président, trois par le CSM et enfin trois par le parlement.

Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est l’organe de gestion du pouvoir judiciaire composé exclusivement d’un grand nombre de magistrats qui soit en font partie en leur qualité (généralement) de chef de corps, soit sont élus par leurs pairs.

En vertu de l’art. 152 de la Constitution, le CSM est l’organe de gestion du pouvoir judiciaire et se compose des personnalités suivantes : 1. Président de la Cour constitutionnelle ; 2. Procureur général près la Cour constitutionnelle ; 3. Premier Président de la Cour de cassation ; 4. Procureur général près la Cour de cassation ; 5. Premier Président du Conseil d’État ; 6. Procureur général près le Conseil d’État ; 7. Premier Président de la Haute Cour militaire; 8. l’Auditeur général près la Haute Cour militaire ; 9. Premiers Présidents des Cours d’Appel ; 10. Procureurs Généraux près les Cours d’Appel ; 11. Premiers Présidents des Cours administratives d’Appel ; 12. Procureurs Généraux près les Cours administratives d’Appel ; 13. Premiers Présidents des Cours militaires ; 14. Auditeurs militaires supérieurs ; 15. Deux magistrats de siège par ressort de Cour d’Appel, élus par l’ensemble des magistrats du ressort pour un mandat de trois ans ; 16. Deux magistrats du parquet par ressort de Cour d’Appel, élus par l’ensemble des magistrats du ressort pour un mandat de trois ans ; 17.Un magistrat de siège par ressort de Cour militaire ; 18. un magistrat de parquet par ressort de Cour militaire.

Le spectre du clientélisme politique

Le CSM élabore les propositions de nomination, de promotion et de révocation des magistrats et Il exerce le pouvoir disciplinaire sur les magistrats. Il donne ses avis en matière de recours en grâce.

Tous ces hauts magistrats qui composent le CSM ont bénéficié de la faveur du Chef de l’Etat qui les a nommés, sur proposition du CSM.

A cet égard, il n’est pas sans intérêt de rappeler le communiqué de Didier Reynders du 17 décembre 2011 dans lequel il regrettait que la Cour suprême de Justice (CSJ), qui a validé les résultats électoraux de la CENI proclamant le président sortant Joseph Kabila vainqueur de l’élection présidentielle du 28 novembre 2011 – « n’ait pas usé de ses prérogatives pour un examen plus approfondi, critique et indépendant des résultats »annoncés le 9 décembre par la Commission électorale nationale indépendante (Céni).

La Mission d’Observation Electorale de l’Union européenne a, elle aussi, abondé dans le même sens en déplorant l’absence de transparence dans le chef de la CSJ dans la gestion du contentieux électoral de 2011alors qu’elle est elle-même soumise au principe de transparence qui doit régir tout le processus électoral pour garantir des élections libres, crédibles et apaisées.

La non application par la CSJ de la procédure prévue par la loi d’août 2011, en s’abstenant de mener toutes les enquêtes utiles à la vérification de la sincérité et de la régularité des résultats provisoires a davantage suscité des interrogations sur le rôle de la CSJ. (Cfr Rapport MOE UE mars 2012).

Une bonne frange de l’opinion publique a mis en doute l’indépendance de la CSJ car ses magistrats ont été choisis par le Président, sur recommandation formelle du CSM, une institution dont les membres sont aussi désignés par le Président.

En outre, la nomination de 17 nouveaux magistrats à la CSJ pendant la campagne électorale a violé les conditions établies par le Statut de magistrats en raison d’un enjambement spectaculaire et inadéquat de deux voire trois grades sous prétexte d’assurer la bonne gestion du contentieux électoral.

Ces magistrats fraîchement nommés ont prêté serment lors de la cérémonie de la rentrée judiciaire présidée par le Président candidat. Notons que cette cérémonie n’est pas prévue par la loi portant statut des magistrats. (Cfr Rapport MOE UE mars 2012).

Il faut donc à un magistrat congolais plus que la probité, l’intégrité et une bonne évaluation pour rejoindre le Club restreint du CSM et enfin faire partie de cette haute juridiction.

Dans ces conditions, il est donc fort à craindre que la désignation de trois magistrats de la Cour constitutionnelle par le CSM, composé entre autres de magistrats ci-hauts mentionnés de la CSJ, se fera sur base de certains critères, non objectifs, à la discrétion de cet organe qui gère leur carrière.

A ceux-ci s’ajoutent les 3 magistrats qui seront désignés par le Congrès (Sénat + Assemblée Nationale). Le Sénat se compose de 110 membres et l’Assemblée (AN) de 500 membres.

Le Sénat qui est fin mandat depuis 2011 est dominé par les sénateurs issus de la majorité présidentielle tandis que la même mouvance détient au moins 350 des 500 sièges à l’AN. La mouvance présidentielle qui contrôle, quasi de manière stalinienne, ces deux chambres pourra en toute aisance arracher 2 places et offrir à l’opposition le 3è siège restant.

A la lumière de la manière dont les membres de la CENI ont été désignés, ce mécanisme de désignation laisse déjà planer le spectre du clientélisme politique.

Grosso modo, ce mode de désignation des membres de la Cour Constitutionnelle permet au Chef de l’Etat et sa famille politique d’aisément désigner 8 des 9 magistrats prévus.

Cette position dominante de la majorité présidentielle dans le processus de désignation et nomination des magistrats à la Cour Constitutionnelle pourrait à terme nuire à l’indépendance de cette institution, à la confiance des justiciables dans cette institution républicaine.

En effet, à l’horizon pointe une crainte que cette institution ne soit qu’une caisse de résonance du pouvoir en place. D’où, une fois encore des soupçons de partialité, de dépendance et de déficit de crédibilité.

Dans le cas d’espèce, dans le cadre d’un contrôle de constitutionnalité a posteriori, quelle attitude adopterait cette Cour si le pouvoir en place, instrumentant ses groupes parlementaires venait à toucher à certaines dispositions constitutionnelles réputées intangibles à l’instar de la durée du mandat présidentiel ou la tenue des scrutins au-delà de la période électorale ?

Saisie d’un recours en inconstitutionnalité de cette révision, la Haute Cour saura-t-elle dire le droit en toute indépendance et objectivité ?

Dire le droit en toute indépendance

C’est là que va se jouer sa crédibilité et se situent entre autres les défis de transparence, d’indépendance et d’impartialité qui l’attendent. Cette Cour est donc appelée à dire le droit en toute indépendance sans considération de la qualité de ses justiciables.

Pour pouvoir s’acquitter au mieux de cette fonction, elle doit être pleinement indépendante des deux autres pouvoirs classiques de l’Etat et en particulier du pouvoir exécutif dont il est l’appendice, aux yeux, de certains constitutionnalistes.

La question est alors de savoir dans quelle mesure cette indépendance peut être mise en œuvre quand on considère que cette Cour et ses animateurs sont d’une certaine manière le reflet de la volonté du Chef de l’Etat et de sa famille politique.

Le magistrat dont la carrière est ainsi entre les mains du Chef de l’Etat par le CSM interposé, dans un environnement aussi politisé que le nôtre, sera parfois appelé à rendre un arrêt/avis à l’encontre du Chef de l’Etat ou de sa famille politique.

Fera-t-il tout naturellement parler le droit en faveur de la Hiérarchie qui passe pour la mère nourricière ou plutôt en faveur de la démocratie et la consolidation d’un Etat de droit ?

Le Congo est à bien d’égards doté d’un arsenal juridique efficace dont la mise en œuvre a souvent posé problème à cause des hommes et des pesanteurs politiques.

Au-delà d’une certaine hilarité suscitée par cet heureux événement, il va falloir attendre la composition de cette Cour ainsi que son fonctionnement pour se convaincre qu’elle est prête et apte à jouer véritablement son rôle de garant de la sincérité du scrutin et de gardien de la démocratie que lui avait confié le législateur.

Par ailleurs, sans budget propre et des conditions de travail décentes, ce rêve d’indépendance judiciaire risque de n’être qu’un vœu pieux.

L’hirondelle ne faisant pas le printemps, prenons notre mal en patience et attendons de voir les neuf super magistrats à l’œuvre afin de juger leur prestation à leur juste valeur.

En définitive, c’est à la qualité, l’intégrité et la probité supposée de ces neuf magistrats que cette Cour devra toute sa grandeur et noblesse.


lepotentielonline

Le direct
LIENS COMMERCIAUX

[VIDEOS][carouselslide][animated][20]

[Musique][vertical][animated][30]

 
Top