L’arrivée d’un nouvel opposant, Moïse Katumbi, et le retour d’Etienne Tshisekedi à Kinshasa après deux ans d’absence, chamboulent le paysage d’une opposition fragmentée, et redessinent de nouvelles


Tout était pourtant si simple… avant. Avant que Moïse Katumbi ne claque la porte de la majorité présidentielle en septembre 2015 et avant qu’Etienne Tshisekedi, affaibli politiquement et physiquement, ne reviennent en triomphe, accueilli par plusieurs centaines de milliers de Congolais, le 27 juillet dernier. Avant tous ces bouleversements, l’opposition politique congolaise se résumait schématiquement à l’UNC de Vital Kamerhe, au MLC de Jean-Pierre Bemba, et dans une moindre mesure à Martin Fayulu (Ecidé), complétée par une cohorte de petits partis confidentiels formant un bloc plus ou moins cohérent. Vital Kamerhe, arrivé troisième à la présidentielle de 2011, tenait un semblant de leadership avec le MLC d’Eve Bazaïba, affaibli par la longue détention de Jean-Pierre Bemba à la Cour pénale internationale (CPI). Fayulu en était également une figure médiatique montante, mais pesant bien peu électoralement. Autour de ce trio, l’UDPS, parti d’opposition historique, avait perdu de sa superbe. L’Union affichait de fortes divisions internes depuis l’exil médical du patriarche, Etienne Tshisekedi, à Bruxelles en 2014. Sous l’impulsion du vieux sphinx, le parti s’était muré depuis les élections perdus de 2011, dans une intransigeance totale vis à vis d’un pouvoir et d’un président qu’il ne reconnaissait pas. Les députés UDPS qui voulaient siéger à l’Assemblée nationale ont été exclus et plusieurs hauts cadres ont été démis de leurs fonctions, affaiblissant encore un peu plus une UDPS absente des grands débats et des mobilisations populaires. Le parti s’était notamment abstenu d’appeler à manifester en janvier 2015 contre la loi électorale avant faire machine arrière et de rejoindre timidement le mouvement après deux jours de manifestations monstres à Kinshasa et Goma.

Katumbi et le G7 débarquent

Tout bascule avec l’arrivée d’un nouveau venu dans le camp des opposants à Joseph Kabila : l’ancien gouverneur du Katanga et riche homme d’affaires, Moïse Katumbi. Fin 2015, il quitte le parti présidentiel, estimant que le président Joseph Kabila cherche à se maintenir au pouvoir après 2016, alors que la Constitution lui interdit de briguer un nouveau mandat. Dans la majorité dont il faisait partie, on soupçonnait déjà Katumbi de se positionner en dauphin de Joseph Kabila avant de tourner casaque, voyant que le chef de l’Etat n’était visiblement pas enclin à quitter son fauteuil. Dans le même temps, une plateforme de sept partis de la majorité présidentielle quitte également le navire pour créer le G7, dénonçant également la volonté du chef de l’Etat de vouloir s’accrocher au pouvoir et soutenant une candidature de Moïse Katumbi à la prochaine présidentielle. La venue de Katumbi et du G7 dans la galaxie des opposants au président Kabila change subitement la donne. Katumbi, fort de sa popularité au Katanga et de ses importants moyens financiers se verrait bien prendre le leadership de l’opposition. Une affirmation qui n’est évidement pas du goût des autres responsables politiques, Vital Kamerhe (UNC) en tête. Les deux hommes se rapprochent pourtant et s’affichent même dans les tribunes du TP Mazembe, le club de football de Katumbi, le temps d’un match. Mais la lune de miel est de courte durée, chacun ne s’imaginant pas être le numéro deux de l’autre.

Plan en deux temps pour Katumbi et Tshisekedi

Harcelé par la justice, accusé d’avoir recruté des mercenaires et condamné à trois ans de prison pour une sombre affaire de spoliation de biens immobiliers, Moïse Katumbi quitte la RDC, officiellement pour se faire soigner à l’étranger, et curieusement avec l’accord des autorités congolaises, pas mécontentes de se débarrasser d’un concurrent politique. Tenu à distance du pays avec le risque de se retrouver en prison si il remet les pieds au Congo, Moïse Katumbi tente de mettre à profit son séjour occidental pour consolider sa toute nouvelle candidature présidentielle. Bénéficiant déjà du soutien du G7 et de l’Alternance républicaine (AR), l’homme d’affaires se rapproche de l’opposant historique, Etienne Tshisekedi, via son frère aînée Katebe Katoto, installé en Belgique depuis 2004. Les deux hommes que tout oppose politiquement se retrouvent pourtant autour d’un objectif commun : prendre la succession de Joseph Kabila. Ce plan en deux temps permettrait au doyen de l’opposition d’occuper une présidence de transition le temps d’organiser le scrutin et au second de pouvoir se présenter lors de la présidentielle. Objectif qui nécessite le départ de Joseph Kabila, bien décidé à s’accrocher à son fauteuil au-delà de son mandat – voir notre article.

Tshisekedi, le marchepied

Tshisekedi voit dans Katumbi le moyen de revenir dans le jeu, après deux années de marginalisation politique. Pour Moïse Katumbi, le rapprochement avec Tshisekedi lui donne une légitimité d’opposant doublée d’un marchepied pour accéder à la magistrature suprême. Les deux hommes sont à la manoeuvre lors du fameux conclave de Genval, qui s’est tenu en Belgique, en juin dernier – voir notre article . L’unité apparente de l’opposition de Genval permet au vieux sphinx d’annoncer son intention de revenir au pays et à Katumbi de tenter de faire pression sur les autorités pour éviter son arrestation lors de son retour aux côtés de Tshisekedi. Pourtant, deux grands absents se feront remarquer à Genval et lors du retour triomphal de Tshisekedi le 27 juillet à Kinshasa : l’UNC de Kamerhe et le MLC de Bemba. Les dirigeants de ces deux partis voient dans le tout nouveau Rassemblement autour de Tshisekedi et du G7, un plan visant à remettre en selle le vieil opposant et à positionner Katumbi comme futur candidat de l’opposition à la présidentielle. Le nouveau visage de l’opposition se découpe désormais ainsi : un axe Tshisekedi (UDPS et alliés) et Katumbi (G7-AR), doublé d’un autre axe UNC-MLC et alliés.

Tshisekedi redevient incontournable

Le feuilleton continue avec le retour gagnant de Tshisekedi à Kinshasa le 27 juillet 2016. Un come-back triomphal, puisque l’opposant historique est accueilli par plusieurs centaines de milliers de Congolais dans les rues de la capitale. Quatre jours plus tard, le « sphinx de Limete » double la mise en organisant un meeting monstre devant le stade des Martyrs de Kinshasa. Cette mobilisation populaire unique, qu’aucun autre opposant n’est capable de réaliser, permet à Tshisekedi de redevenir incontournable. D’autant plus incontournable que Moïse Katumbi, qui avait promis sa présence au meeting du 31 juillet, n’a pas pu se rendre à Kinshasa, empêché selon lui par les autorités congolaises, qui n’ont pas autorisé son avion à atterrir à Kinshasa. D’autres sources nous expliquent que l’ancien gouverneur, n’ayant pas obtenu les garanties nécessaires de ne pas se retrouver en prison à sa descente d’avion, avait finalement renoncé au voyage.

Le délicat de Moïse Katumbi

Après le meeting réussi du 31 juillet, Tshisekedi revient en force sur la scène politique congolaise… étonnant plus d’un observateur, y compris au sein de ses propres alliés. Avec l’absence de Katumbi, l’UDPS a maintenant les mains libres pour se positionner en leader d’une opposition toujours composite, alors que l’UNC et le MLC cherchent la parade pour revenir dans le jeu. Kamerhe fait le dos rond et se tient à distance pour voir comment la situation peut évoluer. Pour Moïse Katumbi, l’équation est plus délicate. Plus le temps passe, plus l’ancien gouverneur voit la situation lui échapper. Pour le moment, son objectif premier est de revenir en RDC sans passer par la case prison. Mais à Kinshasa, on semble bien décidé à laisser traîner les choses, affaiblissant un peu plus le patron du TP Mazembe. Tshisekedi est quasi seul maître à bord concernant le dialogue politique avec le pouvoir. Un dialogue que l’ensemble de l’opposition paraît décidé à refuser, laissant Joseph Kabila franchir la ligne rouge de son dernier mandat, fixée au 20 décembre prochain. Après cette date, le président congolais sera lui aussi affaibli, puisque illégitime.

Mukwege en embuscade

Dans la course à la transition (si transition il y a), Tshisekedi fait la course en tête. Mais pour réaliser son rêve, le patron de l’UDPS devra faire sortir Kabila de son fauteuil. Pour cela, l’UDPS et l’ensemble de l’opposition jouent l’épreuve de force avec le camp présidentiel. La rue sera sans doute déterminante dans ce combat, avec tous les risques de dérapages que cela comportent. Mais attention, un autre acteur pointe son nez régulièrement dans le débat politique : il s’agit du docteur Denis Mukwege, le célèbre gynécologue de Bukavu, « réparateur » des femmes violées, à l’aura internationale – voir notre article. Le militant des droits de l’homme est régulièrement interrogé sur la politique congolaise. Et certains le verraient bien jouer les premiers rôles en cas de crise politique majeure (ce vers quoi ont se précipite). Reconnu pour son combat contre le viol à l’Est du pays, Mukwege reste peu connu dans la population. Le médecin aurait pourtant beaucoup de soutiens dans les chancelleries occidentales. Des mouvements citoyens comme Filimbi ou le Front citoyen en ont fait leur porte-parole et des Congolais le verraient bien comme un excellent président de la transition, car en dehors des clivages politiques habituels. Si le docteur en a la volonté (beaucoup ont des doutes), son entrée dans l’arène politique pourrait faire de l’ombre à de nombreux poids lourds de la politique, Tshisekedi en premier. Plus rond et moins intransigeant que le patron de l’UDPS, Mukwege pourrait mettre rapidement tout le monde d’accord.

Christophe RIGAUD – Afrikarabia


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