Les affrontements meurtriers des 19 et 20 septembre ont isolé encore davantage le président Kabila sur la scène internationale : les Occidentaux s'entendent désormais sur une ligne dure, et l'inquiétude grandit dans la sous région.

Une fois n’est pas coutume, François Hollande a employé un ton très peu diplomatique. « Il s’est produit des violences en République démocratique du Congo qui sont inadmissibles, insupportables, a-t-il dit à New York, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies. Il y a des victimes, et elles ont été provoquées par des exactions venant de l’État congolais lui-même. »

Un épisode violent

Le bilan des manifestations des 19 et 20 septembre, à Kinshasa, fait effectivement froid dans le dos : 32 morts selon le gouvernement, au moins 44 selon l’ONG Human Rights Watch. Des bâtiments officiels ont été brûlés, de même que des sièges de partis politiques de tous bords. Dans les quartiers populaires de la capitale congolaise, l’appel à manifester du « Rassemblement de l’opposition » s’est accompagné d’une véritable insurrection.

Les manifestants protestaient contre le report, désormais inéluctable, de l’élection présidentielle. Pour qu’elle soit organisée dans les délais constitutionnels, il aurait en effet fallu que le corps électoral soit convoqué avant le 19 septembre, soit trois mois avant la fin du dernier mandat légal du président Joseph Kabila, en décembre prochain. Cela n’a pas été le cas. La réaction des manifestants a été très violente.

L’un des quatre policiers tués a été brûlé vif, selon le gouvernement. Mais la répression l’a été plus encore : selon une source diplomatique, elle s’est faite, par endroits, à l’arme de guerre.

Malgré tout, la virulence des déclarations du président français a « choqué » Kinshasa. C’est le porte-parole du gouvernement, le volubile Lambert Mende, qui l’a dit lui-même, ajoutant : « C’est à se demander si la RD Congo est devenue un nouveau département d’outre-mer [français] ! » Si le gouvernement congolais est aussi amer, c’est peut-être parce que Paris était, jusque-là, l’une des puissances occidentales les plus conciliantes vis-à-vis du gouvernement congolais.

« Rassurés » par la désignation, en juillet, de la société française de droit néerlandais Gemalto pour assurer la révision du fichier électoral, les Français laissaient entendre qu’un report de l’élection présidentielle était envisageable dans le cadre d’une solution de sortie de crise.

Une position sensiblement différente de celle des États-Unis. Ces derniers mois, ils n’ont cessé d’alerter sur les risques d’une crise aiguë si les élections n’étaient pas organisées dans les délais. Cela a d’ailleurs valu à l’envoyé spécial américain pour la région des Grands Lacs, Tom Perriello, une altercation avec un député du parti au pouvoir sur le tarmac de l’aéroport de Kinshasa, à l’issue de sa dernière visite, le 19 septembre.

« Étant donné l’endroit où cela s’est passé et le fait que cela était filmé, cela ne pouvait être que prémédité », assure à Jeune Afrique le diplomate américain. Le département d’État a d’ailleurs convoqué l’ambassadeur congolais à Washington pour une explication sur ce qu’il qualifie d’« incident diplomatique ».

Relations diplomatiques tendues

Cela n’a, bien sûr, pas rendu le discours de Perriello plus conciliant. Il estime d’ailleurs nécessaire la fin des « détentions et poursuites politiques » contre les opposants congolais. Cela pourrait être une référence à la condamnation à trois ans de prison de l’opposant exilé Moïse Katumbi, candidat déclaré à l’élection présidentielle, dans un litige immobilier. Ce dernier cultive ses réseaux à l’étranger et s’est déplacé à New York, à la différence du président Kabila, représenté à l’ONU par son ministre des Affaires étrangères, Raymond Tshibanda.

La Belgique, autre pôle occidental, n’est pas plus accommodante. Son ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, a appelé au respect « du droit à manifester pacifiquement » et indiqué que « la responsabilité individuelle des acteurs pouvait être engagée ». Surtout, il a suggéré publiquement le retrait du facilitateur de cette crise, le Togolais Edem Kodjo, pourtant nommé par l’Union africaine (UA) et apprécié par le gouvernement congolais.

Les événements semblent donc avoir soudé les Occidentaux sur une position dure. Ce n’était pas acquis il y a encore quelques semaines. Un diplomate européen expliquait alors qu’il était « plus facile pour les Américains d’être aussi fermes que pour les pays européens, qui conservent des intérêts dans ce pays ». Reste à savoir si ces nouveaux discours seront suivis d’actes.

Pour l’instant, seul Washington a adopté des sanctions ciblées contre un responsable congolais : le chef de la police de Kinshasa, Célestin Kanyama, visé en juin par un gel de ses avoirs aux États-Unis. L’Union européenne n’a pas encore atteint de consensus sur la question. Et des désaccords doivent aussi être surmontés au sujet d’éventuelles sanctions onusiennes, piste désormais envisagée…

La sous-région en faveur d’un dialogue inclusif

Mais Joseph Kabila se soucie-t-il d’être aussi isolé sur le plan international ? « Il ne se préoccupe guère de ce que pensent les Occidentaux, répond une source proche du gouvernement congolais. Si des chefs d’État étrangers devaient avoir une influence sur lui, ce seraient plutôt ceux de sa sous-région. » Là aussi, on constate une évolution.

Deux pays frontaliers de la RD Congo sont particulièrement inquiets de cette crise, qui pourrait amener son lot de réfugiés et de perturbations sur leurs territoires : le Congo, dont la capitale n’est séparée des quelque 10 millions de Kinois que par un fleuve, et l’Angola. Il faut y ajouter l’Afrique du Sud de Jacob Zuma, qui a des intérêts importants en RD Congo. Pour ces trois pays, la priorité est la stabilité. Quel est le meilleur moyen de l’obtenir ? Là est toute la question.

Jusqu’à présent, la stratégie de Kinshasa semblait leur convenir : un maintien à durée indéterminée de Joseph Kabila après la fin de son mandat, validé par une partie de l’opposition – avec notamment Vital Kamerhe – au cours du « dialogue national ».

Nous aussi voulons que le dialogue soit le plus large possible
Malgré le boycott de ce « dialogue » par les poids lourds Étienne Tshisekedi et Moïse Katumbi, Edem Kodjo en avait donné le coup d’envoi début septembre. Mais à la suite des violences, la très influente Église catholique congolaise s’est elle aussi retirée. Aujourd’hui, même la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma, présidente de la Commission de l’UA, semble prise de doutes sur la légitimité de ses participants.

Dans un communiqué exprimant sa « vive préoccupation à la suite des débordements » du 19 septembre, elle « réaffirme la détermination de l’UA à ne ménager aucun effort pour renforcer le caractère inclusif du dialogue ». Le président en exercice de l’UA, le Tchadien Idriss Déby Itno, est allé plus loin encore en soulignant la « nécessité » de parvenir à « davantage d’inclusivité ».

Face à l’émotion internationale, Joseph Kabila joue la carte de l’apaisement. Dans un communiqué, il a appelé « ceux qui sont en marge du processus » à rejoindre le dialogue.

« Il n’y a pas de désaccord avec nos amis étrangers, plaide Barnabé Kikaya Bin Karubi, son conseiller diplomatique, envoyé aux États-Unis pour arrondir les angles. Nous avons présenté nos excuses au gouvernement américain pour le regrettable incident de l’aéroport de Kinshasa. Et sur le fond, nous ne disons pas autre chose : nous aussi voulons que le dialogue soit le plus large possible. C’est l’opposition qui le refuse et veut renverser le pouvoir par la force. La communauté internationale mesure-t-elle bien les conséquences de cette stratégie ? L’isolement a-t-il donné des résultats dans la crise du Burundi ? »

Quand L’Église se retire

Suppléant un État souvent défaillant, l’Église catholique joue un rôle crucial en RD Congo. Le respect dont elle jouit et son statut au-dessus de la mêlée en font un centre de gravité dont la bénédiction est convoitée par tous les camps. De sa participation dépend souvent le succès ou l’échec de toute initiative politique.

Le Front citoyen 2016, dont l’objectif était de rassembler opposition et société civile pour obtenir le départ de Joseph Kabila, a ainsi tout fait pour qu’elle participe à sa réunion de lancement, à Dakar, en décembre 2015. Il a réussi dans un premier temps, mais la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) a finalement retiré son représentant avant la fin de ce congrès, craignant d’apparaître comme partisane.

De même, l’un des faits d’armes du facilitateur de l’UA, Edem Kodjo, a été de convaincre la Cenco de participer au dialogue politique proposé par le pouvoir. Mais, après les violences des 19 et 20 septembre, elle a suspendu sa participation. L’Église ne prend jamais le risque de participer quand une entreprise menace de se solder par des affrontements. En février dernier, elle avait finalement annulé la marche pacifique qu’elle prévoyait pour réclamer des élections.

Pierre Boisselet


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