L’année 1991 commence avec des divergences profondes entre le président de la République et les partis politiques de l’opposition. Tout cela n’est pas clair. Autour du Maréchal, les ténors du MPR sont divisés ; des « colombes » veulent amener Mobutu à négocier avec l’opposition, pendant que les « faucons » maintiennent la ligne dure. Dans l’opposition mêmement. On parle de « changement » sans projet de société clair. Sans comprendre ce que cela veut dire exactement. On fait les doux yeux au Guide, lui au moins a l’argent. Les Zaïrois sont entraînés dans un désordre politique nébuleux. Leur « tunnel est encore long », comme l’écrit H. Gbanda. Le Président, quelque part dans sa tête, « semble aimer » l’imbroglio. Jusque-là seul maître de la situation, il fait bouger son imagination. Le 6 janvier 1991, il inaugure une série de consultations des « forces vives » de la nation. Franchement, le Maréchal aime les « consultations ». Il veut encore une fois « recueillir les avis » de quelques-uns sur la manière de conduire le processus transitionnel. Autour de lui, vont siéger un groupe de partis politiques, le patronat zaïrois, les syndicats, les fonctionnaires, les enseignants, les étudiants, les avocats, les confessions religieuses, etc. L’opposition dit niet à cette rencontre. Pour elle, « c’est le peuple qui doit se réunir en conférence ».

Pour le président Mobutu, la caravane passe malgré « les aboiements des enfants têtus de la famille ». Il a pris le soin de contourner la « vieille classe politique », celle de sa génération. Car, selon ses déclarations, il a « quelque peu l’impression de marquer le pas, sinon simplement de tourner en rond ». Il lorgne vers la jeune génération où il se « trouve au cœur d’un débat résolument ouvert vers l’avenir, embrassant avec un égal sens de critique et de réalisme l’ensemble de problèmes liés au développement intégral de la société ». Pendant ce temps, plusieurs partis politiques sont agréés vaille que vaille. L’amnistie générale est décrétée par l’ordonnance présidentielle du 8 janvier 1991. Le 1er mars de cette année, nous procédons à la réouverture de l’université de Lubumbashi fermée depuis les événements évoqués ci-haut.

Après consultations, le chef opte pour une « conférence constitutionnelle » qu’il a aussitôt convoquée par l’ordonnance du 6 mars 1991. Pour lui, le vrai problème du Zaïre est « d’ordre constitutionnel » et il faut le régler en 30 jours. E. Tshisekedi, constitutionnaliste lui-même, brillé par « NON » généralisé face aux stratégies de Mobutu. Le conflit est clair. Mobutu tient à sa conférence constitutionnelle vis-à-vis de ses opposants qui ne lâchent pas leur idée chère de la « conférence nationale ». C’est dans ce désordre que notre gouvernement, celui de Lunda Bululu, démissionne le 14 mars 1991. A sa place, le président a fait appel à Mulumba Lukoji. Encore un professeur très connu dans les milieux de la Banque Mondiale, cependant très boudé par les partis politiques de l’opposition. Dans le nouveau gouvernement, notre ministère est scindé en deux départements, celui de l’enseignement supérieur et universitaire et celui de la recherche scientifique. Le président nous confie la direction de ce dernier ministère. Ceci est une autre histoire. Le président Mobutu, fort de la légitimité lui conférée par les dernières révisions constitutionnelles, même si elles ne font pas l’unanimité, s’estime détenteur de la souveraineté. Il se dit être le « créateur » et le « convocateur » d’une quelconque conférence. Il est bien en « droit d’en déterminer la matière, de l’organiser et d’en évaluer les conclusions ».

Dialogue des sourds ! Simple querelle d’autorité et de légitimité ! L’histoire est en marche au pays du Maréchal. Au mois d’avril 1991, un consensus global commence à se dégager. Mulumba Lukoji et son gouvernement ont du travail. Ils doivent permettre au président de se reposer. Le 8 avril 1991, à 21 heures, au beau milieu de projection d’un intéressant film à la télévision, les Zaïrois sont témoins de l’événement. Dans un communiqué, on annonce que le « Forum national de concertation » autour de la transition vers la troisième République, s’appellera « Conférence nationale »… Le président de la République a accepté de laisser à cette conférence le soin de fixer souverainement l’orientation de ses « travaux ». Voilà ce qui intéresse les populations. Encore une fois, Kinshasa va entrer dans l’euphorie. Une marche de victoire est décidée. Les partis d’opposition se frottent les mains. L’hostilité contre Mobutu et son régime est visible. C’est, semble-t-il, la rançon des frustrations accumulées par les populations pendant longtemps. Les exemples d’ailleurs ont touché Sassou Nguesso et son parti le Parti Congolais du Travail (PCT)

Mobutu, en fin stratège politique, contourne l’euphorie de son peuple en précisant les idées. La fameuse « conférence nationale » est souveraine tout en se limitant au champ de son règlement intérieur. Elle ne peut pas s’ériger en tribunal populaire et doit rester « l’affaire du président » qui lui, est le vrai souverain du peuple. Voilà ce qui va irriter encore une fois les populations qui, très vite, ont compris que rien n’a changé. Mobutu est bien têtu, dit-on, dans l’opposition politique. Mulumba Lukoji doit relever le défi. Il est entre le marteau et l’enclume. Il ne voit pas comment ne pas rester au service de celui qui l’a nommé, et en même temps ne pas provoquer la colère du peuple qui réclame la conférence nationale souveraine. Pendant ce temps, la « commission préparatoire » négative de la part de l’opposition. Le tout se passe en désordre : magouilles, intimidations, mesquineries et précipitations. La commission préparatoire à pied d’œuvre a annoncé que la conférence nationale comprendra en tout 2850 délégués dont 100 pour les partis politiques, 1100 pour la société civile, 750 pour les institutions publiques et 100 pour les « invités du gouvernement » appelés les « indépendants ». Le 15 juillet 1991, il signe une nouvelle ordonnance convoquant la conférence nationale. Mais cette fois, le Premier ministre Mulumba Lukoji a obtenu du président l’adjectif « souverain » tant attendu de l’opposition radicale. Pour celle-ci, l’occasion est belle ; car on dénoncera en public tous les méfaits du régime du MPR, allant du simple vol, des détournements de fonds de l’Etat, aux assassinats politiques. Ce sera un forum contre Mobutu. Pendant ce temps, le pays agonise et va bientôt ressembler à une entité chaotique ingouvernable.

Le parti cher au Maréchal Mobutu qu’on croyait aussi solide qu’un roc, vole en éclats. Après avoir fait fonctionner un flou artistique dans le « bipartisme théorique » de 1967 à 970, sous le régime du « monopartisme constitutionnel » de 1970 à 1974, il a consacré le « monopartisme intransigeant » de 1974 à 1990. Voulant s’accommoder à la conjoncture particulièrement dangereuse pour lui, le voilà, dans l’hésitation, proclamer le « tripartisme théorique » le 5 juillet 1990. Enfin, c’est dans l’amertume, le regret et la revanche qu’il a jeté le pavé dans la marre en inaugurant le « multipartisme intégral » le 25 novembre 1990. Le constat est net : le chef a joué aux prolongations. Son savant édifice construit loin des aspirations du peuple et taillé à sa mesure, s’est liquéfié d’une façon déconcertante. En décidant de prendre congé du MPR, le 24 avril 1990, n’a-t-il pas lui-même scié un des piliers de son régime ? Si pour lui, le président, « le MPR est l’affaire de tous », pour la démocratie, ce parti unique n’était absolument l’affaire de personne. C’est cela le paradoxe. C’est cela l’illusion du pouvoir absolu. Ne pas voir ! C’est dans cet élan que quelques caciques du MPR part-Etat ont exprimé leur intention de « récupérer leur liberté ». En un an, de 1990 à 1991, que reste-t-il du parti du président Fondateur ? Pas grand-chose sinon le « MPR fait privé ». C’est donc dire qu’il y a deux MPR ? Le tableau devient de plus en plus flou pour le Maréchal surpris. C’est ainsi qu’à la fin d’avril 1991, il tentera de susciter le « coup » par le canal de la Jeunesse du MPR conduite par un de ses proches : Mukuna Tshimbombo. Le « vieux » se fatigue déjà. Il devient « dinosaure » d’un parti dans un pays plongé dans la misère la plus indescriptible de son existence. On se souvient qu’à cette période, les Kinois et les Kinoises, avec naïveté et désinvolture, s’étaient laissés tromper par certains « experts » en « jeux du hasard » répondant aux noms de leurs initiateurs : Bindo, Masamuna, Massamba et consorts qui se sont lancés dans des pratiques aussi grossières qu’avilissantes. On connaît la suite.

Pendant ce temps, Mobutu tend secrètement la main à Tshisekedi. Il veut certainement le décrocher de « l’union sacrée » de l’opposition qui vient de naître. Le 22 juillet 1991, il tente un coup en nommant son opposant au poste de Premier ministre. Ce qui provoque la branle-bas dans l’union sacrée. C’est peut-être ce que voulait le président. La division de ses opposants lui est bénéfique. Dans l’hésitation, Tshisekedi décline ce cadeau empoisonné. Qu’à cela ne tienne, Mobutu, après cette volte-face du leader de l’UDPS, retombe sur ses pattes comme un léopard. Il relance l’ancien Premier ministre, Mulumba Lukoji, même si ce dernier se sent humilié par le « complot Mobutu-Tshisekedi ». Bouleversé profondément et psychologiquement entamé, le professeur, hanté par un esprit momentané de vengeance propre à un homme humilié, accepte les « nouvelles noces » avec Mobutu. C’est lui qui va ouvrir la conférence nationale souveraine (CNS) annoncée pour 17 août 1991. Le jour est solennel. Il est marqué par le discours inaugural du Premier ministre. La population est attentive. Mulumba Lukoji, sans craindre le courroux du Maréchal, dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas : » le bilan de 30 ans d’indépendance du Zaïre est globalement négatif ». C’est la joie dans la salle, même si les clairvoyants restent sceptiques à ces dires.

A la tête du Bureau provisoire du grand forum, on a placé l’ancien président du Sénat des années 1960. Il s’appelle Kalonji Mutambayi. Il est secondé dans ses fonctions par deux « benjamins » : Alain Wazabanga (19 ans), son vice-président, et Mwadi Kabongo (21 ans), sa vice-présidente. Franchement, on n’a pas compris pourquoi le Premier ministre Mulumba Lukoji a-t-il daigné choisir cette équipe sans allure ni envergure. L’opposition qui est devenue « l’union sacrée de l’opposition radicale » (USOR) a fait déjà savoir le nom de son candidat au poste de la présidence de la CNS, c’est Mgr Laurent Monsengwo Pasinya considéré comme un « homme intègre ». Ce à quoi Mobutu s’oppose en réaffirmant la « laïcité » de l’Etat zaïrois. Au fait, le Maréchal ne supporte pas les allures antimobutistes du prélat catholique. Aussi veut-il marquer la différence entre le Zaïre et les autres pays africains où les conférences nationales sont dirigées par des évêques catholiques.

Dès les premières séances, celles du 12 au 19 août 1991, la conférence montre déjà son caractère désastreux et chaotique. L’union sacrée a décidé de contraindre Kalonji Mutambayi à démissionner de son poste à « cause de son incompétence ». Des motions non acceptées, on est passé aux chahuts, sifflements, danses, chansons… « Monsengwo président »… « Kalonji dé-mission »… Les populations surprises, ne comprennent pas ce qui se passe à leurs écrans de télévision. Elles étaient en droit de dire que le Zaïre vivait une « confusion nationale » à la place de la « conférence nationale ». Nous avons vu des « pères de familles « se déchausser et enlever leurs abacos et/ou costumes pour exhiber des danses, s’étaler sur le podium, voire s’échanger des coups de poings. « Démission…démission…le spectacle a duré trois heures, jusqu’au moment où, très malheureux, Kalonji Mutambayi a prononcé sa très célèbre phrase attendue : « la s(i)ance (séance) est levée ». Le blocage est complet pendant presque tout le mois de septembre 1991.
Professeur Kambayi Bwatshia
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