Les évêques catholiques sont en passe de gagner leur pari. Loin est désormais l’époque où ils quittaient la Cité de l’Union Africaine sous les huées des chefs des confessions religieuses proches du pouvoir kabiliste. En cause, l’absence d’inclusivité lors du dialogue « facilité » par l’ancien Premier ministre togolais Edem Kodjo. Les « discussions directes », sous l’égide de la Cenco (Conférence épiscopale nationale du Congo) entre des signataires et des non-signataires de l’accord politique du 18 octobre ont abouti, dans la soirée du 31 décembre, à la conclusion d’un «compromis politique». Signé tard dans la soirée, cet arrangement est censé organiser la cogestion du pays durant une période transitoire d’un an jusqu’à la tenue des élections. « Joseph Kabila » reste à la tête de l’Etat. L’exécutif national, lui, sera dirigé par une personnalité désignée par le « Rassemblement». Il en est de même du « Conseil national de transition ». Président du Conseil des sages de cette coalition politique née à Genval en juin dernier, Etienne Tshisekedi wa Mulumba et ses camarades et alliés vont être confrontés à l’exercice du pouvoir. Ici, « parler moins et agir plus », devrait être la règle d’or. Autre règle d’or : la transparence. Il s’agit, pour le futur gouvernement de large union nationale, de dire ce qu’il fait et de faire ce qu’il dit. Le chemin à parcourir est encore long. Les pièges ne manqueront pas…

« Mieux vaut un mauvais accord qu’un bon bain de sang ». C’est la réflexion faite à l’auteur de ces lignes par un religieux joint au téléphone samedi soir à Kinshasa. Après un long suspens qui avait mis à bout les nerfs tant des Congolais que des diplomates étrangers, la fumée blanche a fini par s’élever, peu avant minuit, du Centre interdiocésain.

Béatitudes

Président de la Conférence épiscopale du Congo (Cenco), Mgr Marcel Utembi Tapa, semblait
dans un état de béatitude. Pour lui, cet accord n’est ni plus ni moins qu’un « cadeau de nouvel an que la classe politique a bien voulu offrir au peuple congolais pour une transition apaisée et l’organisation des élections libres, transparentes et démocratiques».

Pour lui, le document soumis à la signature du personnel politique est bel et bien une « émanation d’un consensus général » des signataires et non signataires de l’accord du 18 octobre 2016 de la Cité de l’Union africaine, « conformément au vœu émis par le président de la République, Joseph Kabila, en initiant ce deuxième round de débat politique ».

S’agissant du contenu, on retiendra pour l’essentiel : « Joseph Kabila » reste à la tête du pays jusqu’à l’installation de son successeur élu ; il ne briguera pas un troisième mandat ; l’élection présidentielle, les législatives et les provinciales seront tenues avant fin décembre 2017 ; aucune tentative de révision de la Constitution et de son changement ne sera consentie pendant la période pré-électorale et électorale.

Durant la période transitoire, l’exécutif national sera dirigé par un Premier ministre issu du «Rassemblement ». Un Conseil National de Suivi de l’Accord, composé de 28 membres, sera dirigé par le Président du Conseil des sages du Rassemblement, assisté de trois vice-présidents, d’un rapporteur et d’un questeur. La Commission électorale nationale indépendante sera « redynamisée » par le renforcement du contrôle de sa gestion technique et financière.

Dès mardi 3 janvier 2017, les parties doivent se retrouver pour élaborer un « arrangement particulier » pour régler quelques questions. C’est le cas notamment du calendrier de l’application de l’accord, de la composition de l’exécutif tant au niveau national que des vingt-six provinces du pays. Les évêques vont se charger de l’épineux dossier de « décrispation du climat politique ». Dans une interview accordée à l’hebdomadaire « Jeune Afrique », Moïse Katumbi Chapwe qui vit en exil en Europe dit avoir « remis son cas » entre les mains des évêques. Les détenus Eugène Diomi Ndongala, Jean-Claude Muyambo Kyassa, Moïse Moni Della seraient dans la même situation. Il faudra dorénavant ajouter Franck Diongo Shamba dont l’embastillement remonte à moins d’une semaine.

« Un accord non inclusif »

Le nonce apostolique à Kinshasa a accompagné les évêques de la Cenco tout au long des tractations. « L’accord ne sera pas la fin de tous les problèmes, il faut préparer les élections », a-t-il déclaré. Et d’ajouter : « Mais on aura un cadre juridique qui n’existe pas en ce moment. La Constitution dit clairement que le président a fini son deuxième mandat. Quelle est la légalité de ce gouvernement s’il n’y a pas un consensus élargit ? »

Interrogé par RFI, le PPRD Emmanuel Ramazani Shadari qui est par ailleurs ministre de l’Intérieur a manifesté un enthousiasme modéré. Il a estimé que l’accord du Centre interdiocésain «n’a pas été inclusif ». Au motif que « beaucoup de gens » ne l’ont pas signé.

C’est le cas du MLC avec Eve Bazaïba Masudi et des personnalités telles que José Makila Sumanda et Jean-Lucien Bussa respectivement ministre des Transports et du Plan dans le gouvernement du Premier ministre Badibanga. La secrétaire générale du MLC suspecte le Rassemblement d’être juge et partie.

Pour le ministre Ramazani, la Cenco devrait approcher ceux qui se sont abstenus de signer. « C’est pour cette raison que nous, la majorité, avons signé cet accord avec réserve », a-t-il souligné.

"Président mal élu et réélu"

Lors de l’élection présidentielle de 2006, « Joseph Kabila » - qui avait esquivé un débat télévisé avec son challenger Jean-Pierre Bemba Gombo - a été « mal élu ». Dans un communiqué daté du 14 novembre 2006, la coalition politique « Union pour la Nation » (UN) avait accusé la Commission électorale indépendante d’abuser « de la bonne foi de Jean Pierre Bemba et de l’Union pour la Nation en utilisant l’accord AMP-UN, sur l’acceptation par les protagonistes des seuls résultats publiés par la CEI pour manipuler, à sa guise, les résultats du second tour (…) dans le but d’améliorer le score du candidat Joseph Kabila dont il est, pourtant de notoriété publique qu’il a été largement devancé par Jean Pierre Bemba Gombo dans six provinces sur 11 ». Il faut dire qu’à l’époque le Président sortant était le « chouchou » du monde occidental.

En 2011, « Joseph Kabila » a été « mal réélu » face à Etienne Tshisekedi wa Mulumba. Les observateurs tant nationaux qu’internationaux ont dénoncé des graves cas d’irrégularités et de fraudes. La mission d’observation du Centre Carter avait eu ces mots : « L’organisation et la gestion chaotique des élections du 28 novembre 2011 par la Ceni ont engendré une crise de légitimité sans précédent dans l’histoire de la RDC. La recherche de solution à celle-ci impose aux acteurs congolais un franc dialogue et un réel consensus (…) ».

Passant outre ces recommandations, le 20 décembre 2011, « Joseph Kabila » organisa la cérémonie de son investiture. Un seul chef d’Etat était présent : le Zimbabwéen Robert Mugabe. Le 23 décembre, Etienne Tshisekedi wa Mulumba décida de prêter serment en tant que « Président élu ». C’est ici que la crise politique va se corser.

Accord-cadre d’Addis Abeba

Le 24 février 2013, onze pays (Afrique du Sud, Angola, Burundi, Centrafrique, Congo-Brazzaville, Ouganda, Rwanda, Soudan du Sud, Tanzanie, Zambie) dont le Congo-Kinshasa signent à Addis Abeba le fameux « Accord cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la Région ».

L’Etat congolais s’est engagé notamment à « promouvoir la réconciliation nationale, la tolérance et la démocratisation ». Il s’agit donc d’organiser un dialogue afin de recréer les sources de légitimité par la mise sur pied d’un gouvernement de transition. Le pouvoir kabiliste est resté indifférent tout en multipliant des artifices pour préparer l’opinion à l’hypothèse d’un troisième mandat pour « Joseph Kabila ».

En juin 2013, on assiste à la sortie de l’ouvrage « Entre la révision de la Constitution et l’inanition de la nation ». L’auteur n’est autre qu’Evariste Boshab, alors secrétaire général du parti présidentiel. Sa thèse est simple : « Toute Constitution est révisable ».

En mai 2015, « Joseph Kabila » chargea finalement son chef barbouze Kalev Mutondo d’aller sonder les principaux leaders politiques en vue de la tenue d’un dialogue. C’est l’échec !

Dans un entretien avec « Le Soir » de Bruxelles daté du 10 août 2015, Tryphon Kin-Kiey Mulumba, alors ministre des Relations avec le Parlement, passe aux aveux : « (…) c’est ce dialogue qui devrait permettre de modifier la Constitution en faveur du suffrage indirect, il y a moyen de réaménager… ». En clair, "Kabila" rêve de faire réviser la Charte fondamentale afin d’instaurer l’élection présidentielle au suffrage universel indirect. "La démocratie nous coûte trop cher", déclarait l’intéressé lors d’une consultation avec des parlementaires.

Le 28 novembre de la même année, « Joseph Kabila » signa une ordonnance portant convocation d’un « dialogue politique national inclusif ». « Le dialogue porte principalement sur l’organisation d’un processus électoral apaisé, (…) et sur toutes les questions connexes au processus », lit-on.

Le 11 mai 2016, la Cour constitutionnelle, statuant sur une requête en interprétation du deuxième alinéa de l’article 70 de la Constitution, a pris l’arrêt controversé autorisant le Président sortant à rester en fonction « jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu ».

Ni gagnant, ni perdant

Après plusieurs réunions secrètes entre les kabilistes et des envoyés d’Etienne Tshisekedi, celui-ci décide de mettre fin à ces contacts. Le 10 juin 2016, une large coalition politique voit le jour à Genval, en Belgique francophone. Il s’agit du « Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement ». « Prenons acte de la fin du deuxième et dernier mandat de Monsieur Joseph Kabila Kabange le 19 décembre 2016 à minuit et saluons son départ du pouvoir le 20 décembre 2016 à 0h00 », peut-on lire dans l’Acte d’engagements de ce groupement.

Qui a gagné ? Qui a perdu ? Force est de constater qu’entre "Joseph Kabila" et ses opposants, il n’y a ni gagnant, ni perdant. Certes, le Rassemblement est en passe de soumettre ce dernierà une sorte de cohabitation qui ne pourrait être qu’explosive. N’empêche. L’homme est toujours à la tête du pays. Il contrôle la force publique, les services et le Trésor public. Durant un an, beaucoup d’eau vont couler sous les ponts.

Dans son message de vœux de nouvel an, « Kabila » n’a pu s’empêcher de narguer ses adversaires tant politiques que ceux issus de la société civile en déclarant que ceux-ci « ont expérimenté les limites des dérives de la stratégie d’appel à la violence (…) ».

Conforté par les moyens de coercition sous son contrôle, il a lâché une phrase qui subodore qu’il rêve encore et toujours d’un troisième mandat via une révision constitutionnelle. « Seul notre peuple dans sa souveraineté devra demeurer la source du pouvoir dans notre pays par la voie des urnes conformément au prescrit constitutionnel ».

Il faut espérer que l’accord conclu le 31 décembre 2016 au Centre interdiocésain n’aura pas été un marché des dupes. Il faut espérer également que le Rassemblement profitera de sa participation au pouvoir pour démontrer la préfiguration de sa conception non seulement de la gouvernance politique mais aussi du Congo de demain.

Baudouin Amba Wetshi
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