Le discours-programme présenté le 16 mai par le Premier ministre Bruno Tshibala a suscité des réactions même au-delà des frontières Rd-congolaises. Des Etats-Unis où il se trouve actuellement, le Prof Ndolamb Ngokwey fait une radioscopie du volet social contenu dans ce plan. Dans une interview exclusive à Forum Des As, l’ancien Secrétaire général assistant de l’ONU souligne que le plan d’action du nouveau Premier ministre semble adapté, au motif qu’il concerne directement le quotidien des populations. Cependant, il faut savoir par quelles actions commencer. Pour lui, le problème n’est pas de savoir ce qu’il faut faire, mais comment le faire. Interview.

Professeur, vous avez récemment fait dans les colonnes du journal « Forum Des As », un plaidoyer pour le social des Congolais. Quelle est votre réaction au volet social contenu dans le discours-programme présenté à l’Assemblée nationale par le Premier ministre Bruno Tshibala ?
N.N/Le programme me paraît pertinent, en ceci qu’il concerne des problèmes sociaux touchant au quotidien des populations. Aucun Congolais ne pourrait en contester le bien-fondé. Comme je l’avais indiqué dans cette tribune, il y a un consensus national sur la priorité du social. D’ailleurs, certaines des actions proposées par le Premier ministre figuraient dans ma tribune. C’est le cas des travaux à haute intensité de main d’œuvre, de la réhabilitation des infrastructures sociales (santé, éducation, assainissement, etc.), de l’adoption et de l’ opérationnalisation de la politique nationale de protection sociale, de la prise en charge des couches les plus vulnérables, etc. Même l’option méthodologique du Premier ministre en faveur d’une gestion basée sur les résultats figurait parmi mes propositions. Le problème n’est pas de savoir ce qu’il faut faire, mais comment le faire. Le véritable défi se situe plutôt au niveau de la mise en œuvre, en particulier dans la priorisation des actions, les stratégies opérationnelles, le séquencement des interventions, et leur financement.

Pouvez-vous expliciter davantage les différents défis ?
Il y a d’abord l’impératif de priorisation. Tout ce que le Premier ministre a dit est pertinent. Mais tout ne pourra pas être fait en même temps. Qui trop embrasse mal étreint, c’est bien connu. Il s’agit donc de choisir. Or choisir, c’est sacrifier. Que sacrifier, que choisir, sur la base de quels critères ? À mon avis, les actions ayant le plus grand impact pour le plus grand nombre dans les délais les plus courts devraient recevoir le plus d’attention. Voilà déjà trois critères pour déterminer des mesures-phares. C’est cela qui peut orienter ce par quoi il faut commencer, car il y a des actions dont la réalisation entraîne ou facilite la mise en œuvre d’autres actions. Le manque de chronogramme ne permet, malheureusement, pas d’apprécier le caractère réaliste des mesures proposées par le Premier ministre. D’autre part, il est important d’être le plus spécifique possible, et de quantifier ce qui peut l’être. Cela permettra de faire le suivi, et d’apprécier le degré de réalisation des objectifs. En ce qui concerne le financement, on verra si la proposition budgétaire du Premier ministre reflète la priorité du social reconnue dans son Programme. Ce qui est sûr, c’est que pour mobiliser les ressources nécessaires, en plus des ressources nationales, il existe des mécanismes internationaux de financement du social. Il faut noter aussi que la mise en œuvre du social suppose d’autres éléments du contexte général qui sont hors du champ social.

Vous venez d’évoquer le fait que la mise en œuvre du social suppose d’autres éléments. Lesquels ?
Il s’agit notamment des éléments relatifs à la gouvernance économique et à la gouvernance politique. Toutes les mesures relatives à la maximisation des recettes et à la lutte contre la corruption et les détournements des fonds devraient mériter une attention spéciale. Le Premier ministre en a parlé, comme bien d’autres de ses prédécesseurs. L’impunité qui gangrène la gestion des affaires publiques devra être un chantier prioritaire. Plus spécifiquement, il faudra que des cas emblématiques de malversations financières connus de tous soient portés devant la justice. Cela serait un message dissuasif très fort à la population (pour lui montrer que ses intérêts sont protégés) et aux détourneurs (pour leur signifier la fin de la récréation). Quant à la gouvernance politique, elle veillera en particulier aux mesures relatives à la sécurité nationale, à la décrispation politique, et à la cohésion sociale.

C’est comme si vous avez des regrets par rapport à ce volet social ?
Pas à proprement parler. J’ai plutôt été attristé par la réaction des députés à la proposition de l’un d’entre eux de reconduire la mesure du gouvernement précédent sur la gratuité de la maternité. Ils ont soit crié leur refus, soit ri à gorge déployée. Est-ce à dire qu’ils trouvent que cette mesure n’est ni pertinente ni utile ni efficace ni faisable ? Est-ce un manque d’ambition ou de volonté politique ? Est-ce qu’ils n’apprécient pas la valeur politique, l’importance en santé publique, et même la signification symbolique d’une telle mesure ? À quoi sert un Gouvernement qui ne veut même pas assurer un accueil décent à la naissance à ses citoyens ? De grâce, épargnez-moi le refrain de l’insuffisance de moyens, car les gaspillages dans d’autres domaines sont connus de tous. Il y a des pays africains, plus pauvres que nous, qui le font avec plus ou moins de réussite.

Qu’en est-il de votre proposition de Programme Présidentiel d’Urgence Sociale ?
Il ne s’agit pas de créer un nouveau programme ou de multiplier de nouvelles structures. C’est plutôt un mécanisme pour répondre à la nécessité et à la clarification du « comment » du social. Comment faire pour répondre aux besoins sociaux prioritaires identifiés et autour desquels il y a un consensus. C’est aussi un mécanisme pour maintenir le social sur l’écran radar du gouvernement en le plaçant sous le regard direct du Président de la République. Il s’agit aussi d’un mécanisme de coordination des interventions, afin d’éviter l’éparpillement et le saupoudrage sans impact réel. Le cadre formel d’un programme présidentiel d’urgence faciliterait enfin le financement et la mobilisation des ressources pour tous les secteurs sociaux prioritaires : santé, éducation, eau, assainissement, électricité, travaux à haute intensité de main d’œuvre. C’est une approche qui a fait ses preuves ailleurs et dont les résultats peuvent être visibles à très brève échéance.
Je dois rappeler que le Programme Présidentiel d’Urgence devrait fonctionner en synergie avec d’autres piliers du social, notamment les interventions humanitaires, et les mesures de protection sociale.

Un message pour terminer ?
Peut-être juste pour dire que ce gouvernement n’a, en principe, que six mois, soit, moins de 200 jours. Pour convaincre, pour faire la différence. Six mois, c’est peu, face aux nombreux défis, et à notre culture de procrastination. Mais six mois, c’est beaucoup, si on se focalise sur un nombre limité de priorités et de cibles, si on mobilise les énergies de tous, et si on procède avec un sens d’urgence.
Propos recueillis par Dina BUHAKE
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