Avec le décès du Prof Pierre Akele Adau intervenu à Paris en France le 14 décembre et son inhumation le 31 décembre à Kasangulu en RDC, l’année 2014 vient de se terminer sur une note bien triste non seulement pour la maigre communauté universitaire et intellectuelle congolaise, mais aussi pour l’ensemble du pays et du continent.
         Au moment où le Doyen honoraire de la Faculté de Droit et le chef de Département de Droit pénal et Criminologie de la plus grande Faculté de Droit de la RDC fait son entrée dans l’éternité, je voudrais lui rendre hommage en tant que l’un de ses anciens étudiants devenus par la suite l’un de ses collègues.
Etudiant à l’Université de Kinshasa (UNIKIN), j’avais eu le privilège de suivre certains de ses enseignements lorsqu’il avait réintégré la Faculté comme Professeur associé après de brillantes études en France où sa thèse de doctorat avait été reçue comme l’une de meilleures de sa génération. Je l’avais rejoint avec une dizaine d’années de retard comme Professeur ordinaire, le grade le plus élevé qui soit décerné à un enseignant d’université au Congo. Le Doyen Akele était devenu un proche. Je l’avais rencontré en Afrique du Sud lorsque la maladie avait déjà failli l’emporter il y a plus d’une décennie. Il s’était rétabli et rien ne présageait qu’il pouvait nous quitter avant 2015. Je l’avais vu dominer la maladie et même la mort de son imposante stature. Par la suite, l’histoire nous a davantage rapprochés comme chercheurs, universitaires et intellectuels résolument engagés à la cause du peuple.
L’un des meilleurs étudiants  de sa génération et de sa promotion, le Doyen Akele avait brillé de l’école primaire à l’Université. Aussi, peu de gens savaient qu’il avait obtenu une licence en droit international à l’Université Nationale du Zaïre (UNAZA) avant de se spécialiser en droit pénal et en criminologie en France. Le Prof Akele était capable de se prononcer avec autorité sur toutes les questions juridiques allant du droit public interne au droit public international et du droit pénal au droit constitutionnel et au droit des droits de l’homme. Avec le Prof Akele, la RDC perd un immense universitaire, un colosse intellectuel et un chercheur  massif dont le vide ne sera pas comblé demain.
Avec lui,  par-delà les disciplines et transcendant les barrières disciplinaires dans un monde où le philosophe camerounais Marc Ela avait prédit la multidisciplinarité et l’interdisciplinarité comme étant le futur des sciences sociales, y compris le droit, nous avions noué ces dernières années des relations particulièrement étroites justifiées par son « invasion » du champ des droits de l’homme, du droit international, et du droit constitutionnel et de ma propre intervention comme constitutionnaliste dans le champ du droit pénal. L’avènement d’un Etat de droit démocratique dans notre pays était notre objectif commun et l’engagement intellectuel actif quoi qu’en était le prix à payer était notre constante préoccupation.
Déjà, au lendemain de la promulgation de la Constitution du 18 février 2006 qui jetait les bases d’un véritable Etat démocratique en RDC, après plusieurs décennies de pouvoir autoritaire, le Prof Pierre Akele et la Prof Sita Akele, son épouse, étaient parmi les tout premiers juristes et universitaires à en appeler à l’application de cette Constitution, en recensant toutes les lois organiques exigées par cette application. Le Prof Akele s’était également signalé avec le Prof Nyabirungu comme l’un des maîtres incontestés du droit pénal congolais avec la publication de ses trois tomes. Il est clair que le nouveau droit pénal congolais en gestation, différent du droit pénal actuel hérité des régimes autoritaires colonial et post-coloniaux et inspiré des développements les plus récents intervenus dans le domaine des droits de l’homme, du droit pénal international et fondé sur l’actuelle constitution congolaise, portera une empreinte digitale indélébile du Doyen Akele.
Notre dernière rencontre au croisement des sciences juridiques où le droit pénal s’enrichit du droit constitutionnel et ce dernier se nourrit du premier, était intervenue en deux temps particulièrement chaleureux. De prime abord, lorsque j’avais présenté une proposition de loi tendant à abolir la peine de mort considérée comme une torture, un traitement cruel, inhumain et dégradant contraire aux articles 16, 67 et 61 de la Constitution ainsi qu’à plusieurs traités et accords internationaux régulièrement conclus par la RDC. J’avais reçu du Doyen Akele et de son lointain successeur, le Prof Raphaël Nyabirungu, tout le soutien scientifique et intellectuel que j’étais en droit d’attendre des collègues dans un environnement politique fort hostile. Il va de soi que lorsque la peine de mort sera enfin abolie en RDC – et elle le sera certainement-, il faudra également reconnaître, à part ma modeste contribution, celles de mes deux ainés et collègues professeurs. Ensuite, c’est sur mon propre terrain de prédilection, le terrain périlleux de la défense du constitutionnalisme, que le Doyen Akele avait choisi de me rencontrer moins de cinq mois avant sa disparition.
Après un article publié dans le journal Le Phare du 12 août 2014 contre la révision de la constitution, le Doyen Akele acceptait de le fignoler pour la communauté scientifique africaine et internationale en le publiant dans les Nos 2 et 3 (pages 43-62) de la Revue africaine de la démocratie et de la gouvernance (http://www.idgpa.org/publications/Numero2) dont je suis le rédacteur en chef. Dans cet article d’une extraordinaire beauté et d’une rare profondeur scientifique qui constitue un véritable testament intellectuel, le Doyen Akele donnait des « Réponses pénales au discours du désordre ou au désordre du discours constitutionnel en RDC », mettant « la Cour constitutionnelle à l’épreuve » avant même le démarrage de ses activités.
Pour le Prof Akele, le discours en vue de la révision ou le changement de constitution en vue de déverrouiller l’article 220 était une « hérésie », une « trahison intellectuelle », une « polémique » et un « bavardage » inutiles, une « rébellion contre la constitution » et « un coup d’Etat constitutionnel » dénotant d’un « refus systématique de donner plein effet à la constitution » ou une « violation délibérée » de celle-ci  dans la logique de ce que François Mitterrand appelait naguère le « régime de  coup d’Etat permanent » contre l’ordre constitutionnel car  « respecter la constitution », ce  n’est pas d’abord la réviser ou la changer, mais plutôt l’appliquer.
Avec le Doyen Akele, nous avions choisi de militer pour l’avènement dans notre pays d’un Etat de droit véritablement démocratique, en nous inscrivant en faux contre toutes les velléités d’autoritarisme. Nous comprenions que « science sans conscience » n’était que « ruine de l’âme » et emportait sa propre négation car notre science était vaine si elle était détournée des intérêts de notre  peuple pour ne servir que nos petits et égoïstes intérêts de pouvoir et d’argent. Pour lui aussi, un intellectuel était nécessairement un homme engagé aux côtés du peuple et non pas contre celui-ci, partageant ses peines, ses frustrations, ses déceptions et aussi ses espoirs. Intellectuel organique de son peuple et non d’un système œuvrant en permanence pour l’empêcher de s’alimenter, le Prof Akele n’était pas un simple porteur de diplômes ou de titres académiques.
Bien qu’ayant comme d’autres un ventre à nourrir, il rejetait la science et la politique du ventre pourtant adorées dans son milieu ambiant. Il  refusait de danser pour le Léviathan ou de devenir un garçon de course. A la culture de l’«avoir», il préférait celle de l’« Etre », ayant depuis toujours fait le choix entre « l’Etre et le Néant ». La question pour lui, comme pour Shakespeare dans Hamlet, c’était « to be or not to be », être ou ne pas être  et non pas « avoir ».
Le Prof Akele était un homme de pensée, un cartésien au sens vrai du terme, qui avait intériorisé la pensée de René Descartes déjà bien connue dans nos sociétés traditionnelles africaines avant même l’ère coloniale : « cogito ergo sum » ou « je pense, donc je suis ». L’homme est d’abord un « roseau pensant ». Autrement dit, le Prof Akele était d’avis que ce n’est pas parce que l’on « a » (le pouvoir, l’argent, les honneurs…) que l’on « est » un humain, mais plutôt parce que l’on « pense ». Et le Doyen Akele était un penseur, l’un des rares intellectuels qui privilégiait la « profondeur » à la « superficie » des idées, les « valeurs éternelles» aux « biens matériels périssables». Par conséquent, il portait l’immortalité en lui.
Comme juriste, il était également l’un des rares à avoir compris Montesquieu dont les idées s’enseignent dans toutes les écoles de droit du monde car pour lui, ce qui importait, c’était d’abord « l’esprit des lois » et non pas la « lettre des lois ».
Le Prof Akele rejetait Machiavel dont les disciples se recrutent actuellement parmi les personnes désireuses  des hommes forts plutôt que des institutions fortes et des changements de constitutions ou des Républiques. Véritable patriote et républicain qui avait choisi de ne jamais trahir le peuple, il se rangeait plutôt dans le camp de Jean-Jacques Rousseau pour qui la politique ne saurait se comprendre en dehors de l’éthique, de la morale, et de la vertu.
Pour le Doyen Akele comme pour nous-mêmes, le pouvoir n’a de sens que s’il est conçu et exercé comme un service rendu au peuple et non par défi comme une punition contre le peuple dont on se réclame. Lorsque l’histoire toujours reconnaissante honorera ceux qui auront le plus milité pour le constitutionnalisme et le respect de la constitution dans ce pays, elle n’oubliera pas l’immense contribution de cet intellectuel intègre, courageux et engagé au service du peuple que fut le Doyen Akele.
Pendant plusieurs décennies, il a aussi contribué au rayonnement de la recherche à travers Congo-Afrique, l’une des rares revues scientifiques congolaises de renom où il a publié des dizaines de travaux de haute facture intellectuelle reconnue dans le monde entier. On n’entendra plus la voix limpide de l’un des intellectuels congolais les plus respectés lors des conférences scientifiques internationales ou dans les auditoires de certaines de plus grandes universités du monde comme celle de La Sorbonne (Paris l).
Mon dernier échange avec le Doyen Akele date d’octobre 2014, soit deux mois avant son décès. Alors que « la polémique et le bavardage inutiles » faisaient rage en RDC sur la révision ou le changement de constitution, il estimait « inadmissible » le silence ou  l’indifférence des professeurs d’universités congolaises comme un corps dont notre peuple attendait légitimement l’éclairage sur ces questions en dehors de quelques, communiqués sommaires de l’Association des Professeurs de l’Université de Kinshasa (APUKIN). Pour ce chrétien catholique pratiquant,  nous étions « le sel de la terre » et des « lampes qui devaient éclairer » le peuple. C’est ainsi qu’il m’avait demandé de préparer un texte qui devait être partagé avec d’autres collègues pour permettre aux professeurs d’universités d’assumer pleinement leurs responsabilités sociales. Communiquée à plusieurs membres de  l’APUKIN, cette initiative du Doyen Akele restera à jamais une interpellation à l’endroit des professeurs d’universités et des intellectuels « par acclamation » ou « par auto-proclamation » en RDC.
Ancien étudiant devenu un collègue pour qui il ne cachait pas non plus son respect, je me devais de rendre ce vibrant hommage à ce chercheur, cet intellectuel et cet universitaire exceptionnel que fut le Doyen Akele, qui aura marqué durablement son temps et inspiré plusieurs personnes de ma génération au Congo et en dehors du pays.
André Mbata Mangu
Professeur
des Universités
Email: amangu@idgpa.org



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