Depuis quelques années, la diaspora congolaise connait un nouveau phénomène qui marque son histoire, appelé « mouvement des combattants». Si selon certains, ce mouvement est apparu en 2004, c’est depuis 2009-2010 qu’il est réellement connu suite aux différentes actions menées par ses membres. Initialement basé en Europe, le mouvement s'est élargi rapidement aux autres continents notamment, en Afrique (particulièrement en Afrique du sud) et en Amérique (particulièrement aux Etats-Unis). Si le phénomène a fait l’objet de quelques réflexions, peu sont d’analyses qui ont essayé de faire une perspective critique de la trajectoire suivie par ce mouvement, du profil de ses membres et de leurs moyens d’action (Guy AUNDU MATSANZA, Politique et élites en RDC, Ed. Academia, 2015). C’est l’exercice que nous essayons de réaliser dans cet article.
Par ailleurs, il nous semble important de préciser que, la perspective critique est comprise ici comme le fait de trouver un juste milieu. Il s’agira de faire un examen raisonné, objectif, qui s'attache à relever les côtés positifs et négatifs de l’objet d’analyse. Par cette démarche, nous voulons objectiver notre réflexion afin d’éviter toute forme de penchant quelconque.
Point 1 : Conceptualisation
Il serait nécessaire avant de se lancer sur le fond de l’analyse, d’exposer nos vues sur deux mots importants lié au phénomène : mouvement et combattants.
- Le mouvement
Il n’existe pas une définition unique du mot mouvement. Celui-ci peut être compris deux manières, dans le sens d’un déplacement ou d’une organisation. S’agissant d’une organisation, le mouvement peut être défini comme un groupe de personnes qui aspire à un changement (d'ordre social, artistique ou politique). Un mouvement peut aussi être une réaction collective ou un comportement de groupe. Sous cet angle, un mouvement est compris alors comme un courant de pensée qui marque un changement des idées dans le domaine politique, artistique, intellectuel, littéraire. Il s’agit d’une action collective qui vise à infléchir une situation sociale ou politique (mouvement de grève; mouvement d'insurrection) ou encore d’un groupement, parti et organisation qui animent des actions visant au changement politique ou social (mouvement politique, syndicaliste; mouvement de résistance, de libération).
- Les combattants
Les combattants sont des personnes qui participent ou se livrent à toute espèce de combat : politique, social, environnemental etc. Le mot combattant donne lieu à l’existence d’une situation d’opposition, de contradiction ou de revendication.
Au regard de cette approche conceptuelle, le mouvement de mécontentement d’une partie de congolais de la diaspora peut bien avoir le qualificatif d’un mouvement des combattants puisque, ces congolais sont organisés dans les structures et émettent les idées qui constituent une réaction d’opposition et de revendication dans le domaine socio-politique.
Point 2 : Trajectoire suivie par le mouvement des combattants
Lorsqu’une partie de la diaspora congolaise monte au créneau pour fustiger la gouvernance et la gestion de l’Etat au Congo, l’identification réelle du mouvement et de ses aspirations s’est avérée très ambiguë. Pour certains, il s’agissait d’un mouvement de révolution et pour d’autres, d’un simple mouvement de revendication (Voir supra). Une révolution est un renversement soudain d’un régime politique ou du gouvernement d'un Etat par un mouvement populaire, le plus souvent sans respect des formes légales et entraînant une transformation profonde des institutions, de la société et parfois des valeurs fondamentales de la civilisation. En s’attachant à cette définition, il apparait évident que, le mouvement des combattants n’est pas un mouvement de révolution puisque non seulement, l’élément de la soudaineté n’existe plus, le mouvement en soi n’a pas permis un renversement de régime politique en République Démocratique du Congo. Un mouvement de révolution aboutit globalement à un changement de régime politique ou de situation. Les révolutions en Egypte et en Tunisie apparaissent comme de belles illustrations de ce cas de figure. Par contre, le mouvement des combattants apparait comme un groupe qui fait un état de lieu et qui revendique. Lorsque les congolais de la diaspora faisant partie de ce mouvement tiennent le gouvernement congolais pour responsable des viols des femmes à l'Est du pays, de la probable balkanisation du pays, de la pauvreté galopante, de la régression de la qualité de vie et de l’absence de l'eau et de l'électricité, ceci apparaît plus comme un état de lieu de la situation telle que vue par ces derniers. De même, lorsqu’ils prônent la chute du régime politique actuel, la libération du territoire national qui est sous occupation étrangère selon leurs propos et le relèvement moral contre les antivaleurs de la société congolaise, il s’agit d’un ensemble de revendications. Donc, dans la trajectoire suivie par ce mouvement depuis 2004, on semble être en face à ce jour, à un groupe qui fait un état de lieu en essayant d’éveiller la conscience collective et qui revendique en même temps toute une série de choses.
Point 3 : Analyse sur le profil des combattants
Le profil des combattants est très varié. Ceci constitue un énorme désavantage et un atout. Le plus gros désavantage est lié à l’hétérogénéité des membres qui constituent ce mouvement qui vont des animateurs de médias aux musiciens en passant par les blogueurs, les intellectuels, les hommes politiques, des anciens militaires et policiers jusqu’aux jeunes délinquants membres de bandes urbaines issues de l’immigration (Guy AUNDU MATSANZA, Politique et élites en RDC, Ed. Academia, 2015, p.281). Cette conglomération de personnes venant de catégories différentes ne permet pas une certaine canalisation des revendications et des aspirations de ce mouvement, tout le monde parle comme il veut, personne ne contrôle personne, difficile d’avoir une cohérence et une coordination qui restent très importantes dans la réussite de tout mouvement de revendication. Cette diversité constitue en même temps un atout de ce mouvement. En effet, la participation active d’anciens militaires, d’adeptes des arts martiaux, de jeunes des gangs urbains, de musiciens, de blogueurs et d’animateurs des médias a donné un nouveau visage au mouvement en termes de visibilité (Guy AUNDU MATSANZA, Politique et élites en RDC, Ed. Academia, 2015, p.281). On constate que leurs revendications ont pris une autre dimension à travers les réseaux sociaux et les actions violentes contre les élites du pouvoir.
Ces différents profils montrent évidement que, le mouvement des combattants compte une grande diversité d’acteurs. Il y a les frimeurs à la recherche de vedettariat, les ambitieux à la recherche de la notoriété, les sympathisants suivistes à la recherche de la mode contestataire, les fougueux-patriotes à la recherche de la popularité, les sans-papiers à la recherche de la reconnaissance sociale et les maitres penseurs à la recherche de source de manipulation ou actions spectaculaires (Guy AUNDU MATSANZA, Politique et élites en RDC, Ed. Academia, 2015, p.281). Mais, au-delà de ce qui vient d’être dit sur les profils de ces combattants, l’efficacité dont ils ont fait montre dans les pressions, la sensibilisation de l’opinion publique, la contestation politique ainsi que l’engagement de certaines figures bien connues de la politique congolaise ont poussé les autorités congolaises et celles des pays d’accueil de prendre au sérieux leurs revendications (Guy AUNDU MATSANZA, Politique et élites en RDC, Ed. Academia, 2015, p.281).
Point 4 : Réflexion sur les moyens d’action
D’après Guy AUNDU MATSANZA, les combattants disposent de plusieurs moyens d’action mais, qui concourent tous à faire pression tant sur le régime que sur ses soutiens occidentaux. Leur objectif est d’une part, créer un climat d’insécurité pour les élites qui se trouvent en dehors du territoire national et d’autre part, leur faire perdre crédit auprès de l’opinion nationale et occidentale avec pour finalité, faire en sorte que ces élites soient considérées comme complices et responsables de la mauvaise gouvernance et de la mauvaise gestion de l’Etat. Le premier moyen d’action utilisé par les combattants est sans doute l’internet du fait de l’accessibilité facile d’une grande partie de congolais de la diaspora à ce canal d’information. A cet effet, plusieurs web sites ont été créé (Debout congolais, Ingeta, Apereco.org, Congo-indépendant etc). Malheureusement, d’autres images et vidéos diffusées par ces web sites sont loin des revendications initiales de ce mouvement. Beaucoup sont de vidéos d’insultes qui sont diffusées par les membres de ce mouvement, ce qui a terni gravement leur image et leur ancrage dans les milieux congolais de la diaspora.
Un autre moyen d’action utilisé par les combattants est l’agression physique des élites du pouvoir et des artistes musiciens congolais considérés comme à la solde du régime du président Joseph KABILA. A notre avis, le mouvement des combattants étant un groupe de revendication, l’argumentaire serait le meilleur moyen de faire appréhender leurs désidératas auprès des congolais de la diaspora et ceux se trouvant au pays. L’agression physique tout en créant un climat de terreur auprès des élites du pouvoir, a entamé également en partie l’image du groupe. Un mouvement de lutte et de revendication pour arriver à ses finalités doit divulguer ses idées au moyen des mécanismes appropriés. Il s’avère alors que l’agression physique n’a aucun fondement et ne se justifie pas au regard du fait surtout de la préméditation de l’acte.
A travers cette petite analyse, nous avons voulu tout simplement réfléchir sur un phénomène de société au sein de la diaspora congolaise qui a pris un tournant politique. Notre objectif étant de faire une perspective critique de ce mouvement des combattants dans un esprit d’objectivité. Nous reconnaissons également le fait que, tout n’a pas été dit.
Kiana Nsiabar Hervé
Université de Liège/Belgique
hknsiabar@alumni.ulg.ac.be