*1995-2015 : Didier MUMENGI célèbre les 20 ans de sa carrière d’écrivain. A cette occasion, l’ancien Ministre de l’Information et presse a accordé une interview exclusive à votre journal, au cours de laquelle il s’illustre en véritable légende de la littérature congolaise et référence attitrée pour la génération montante qui aspire à un avenir meilleur du métier d’écrivain en RDC. Retrouvez, ci-dessous, l’intégralité de cet entretien.



La Prospérité : Monsieur le Ministre honoraire, plusieurs fois vous avez occupé de hautes fonctions politico-administratives sous le régime de Mzee LD. KABILA. Exceptionnellement, notre entretien de ce jour va tourner autour de la littérature. Car, vous êtes aujourd’hui réputé parmi les Grands écrivains congolais. Quand et comment êtes-vous arrivé dans cet univers littéraire ?

Didier Mumengi : La source de mon goût pour l’écriture est si lointaine qu’elle se perd dans les limbes. Dans ma tendre jeunesse, la timidité m’était tellement maladive que la solitude m’était familière et le livre, mon plus grand compagnon. C’est dans ce repli sur soi que s’est forgé un style de vie fondé sur le contact épistolaire comme mode privilégié de nouer et d’entretenir des relations avec autrui. Je peux vous faire une confidence : pour dire mon amour à celle qui est devenue aujourd’hui mon épouse, j’ai dû utiliser une lettre… J’avais 12 ans, en 1974, quand le désir d’écrire un livre ou plutôt le rêve de devenir écrivain s’est installé dans ma conscience. C’était après avoir lu Le Cid, une pièce de théâtre tragi-comique en vers de Pierre Corneille, écrite en 1637. Au début des années 90, après avoir lu mon premier manuscrit, le professeur MABIKA KALANDA me dira : « mon petit Didier, tu seras un grand écrivain » ! Cette parole, prononcée par celui que je considérais comme étant mon modèle intellectuel et mon maître à penser, avait résonné dans mes oreilles comme un « permis d’écrire », ou plutôt : un devoir de devenir écrivain…



LP : La RDC a décerné les médailles de mérite des Arts, Sciences et lettres aux artistes congolais dont l’écrivain Didier Mumengi. Quelles sont vos impressions par rapport à cette récompense ?

DM : Rendre hommage aux écrivains, dont le métier consiste à inviter les compatriotes au monde du savoir et de la pensée, c’est célébrer le génie national. Je remercie le Chef de l’Etat pour cette reconnaissance de la République par le biais de ces médailles d’or et d’argent qui couronnent de la plus belle manière mes vingt ans de carrière d’écrivain.

LP : Bien avant, vous avez remporté le prix «LOVO» du Livre en sa 1ère édition pour le compte de votre roman «LE BAPTEME des BAPTISES ». Est-ce qu’on peut dire que l’œuvre commence à nourrir son auteur ?

DM : Le jury du Prix «Lovo», en portant son choix sur mon livre, m'a fait à la fois un grand honneur et un grand bonheur. Mais, être lauréat ne signifie nullement qu'on est au sommet de l’acte d’écriture. C’est une invitation à faire mieux, à écrire davantage. Un prix littéraire n'est pas un lit pour s’endormir sur ses lauriers, c'est un starting-block pour un nouveau départ vers la perfection littéraire. Cependant, la plume ne nourrit pas son homme comme beaucoup d’autres nobles métiers ne nourrissent guère leurs impétrants en RDC. Comme les enseignants, les médecins, les journalistes, j’en passe et des meilleurs, qui recourent à d’autres activités professionnelles pour survivre, les écrivains congolais écrivent en guerriers de la culture, en combattants de la littérature, en passionnés du livre, sans autre espérance que de voir leurs œuvres nourrir le savoir collectif. Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas prêts à déposer les armes…

LP : Combien d’ouvrages avez-vous déjà mis sur le marché du livre ?

D.M : « Le baptême des baptisés » est mon seizième ouvrage. Le premier, écrit en 1995, c’est « L’esprit de rupture ». Et cette année 2015, j’ai fêté mes vingt ans de carrière d’écrivain.

LP : Que voulez-vous véhiculer comme message à travers votre dernière publication ?

DM : J’ai voulu, dans mon dernier ouvrage, « le Baptême des Baptisés », partager cette conviction qui me tient tant à cœur, selon laquelle le plus grand défi de notre société congolaise est celui de renouer avec une histoire précoloniale dont nous avons perdu le sens et le contact. Cet ouvrage en appelle au sens de la continuité et de la rupture, de l'identité et de l'altérité. En sachant d'où viennent la République Démocratique du Congo et l'Afrique noire et en sachant les situer dans le monde d'aujourd'hui, les Congolais se projetteront plus lucidement dans l'avenir. Or ; quand on a collectivement perdu contact avec son passé, il ne peut que s’ensuivre un déséquilibre terrible qui vide le cortex collectif de sa substance cognitive. Mon roman, « Le Baptême des Baptisés » essaie humblement de combattre ce déséquilibre, en explorant les notions essentielles de réhabilitation des hauts faits d’antan pour donner aux consciences d’aujourd’hui des «illustres figures-souvenirs », en vue de construire une « mémoire collective », de sustenter une «mémoire culturelle», afin de permettre à la société de se donner un avenir en s’appuyant sur une « construction sociale du passé ».

LP : Quelle est la place du livre dans la société où près de 80% de la population est analphabète ?

DM : Le rôle du livre, c’est justement de combattre cet analphabétisme qui, au 21ème siècle, relègue les peuples et les sociétés dans la périphérie de l’humanité. Je ne sais pas si 80% de la population congolaise est analphabète, mais je suis de plus en plus persuadé qu’est analphabète - par les temps qui courent - non pas seulement celui qui n'aura pas appris à lire, mais surtout celui qui refuse d’apprendre tous les jours comme il mange tous les jours.

LP : Comment faire pour devenir un grand écrivain dans la vie ?

DM : Pour devenir un grand écrivain, il faut tout simplement décider de le devenir, en se rappelant de ce qu’a dit le philosophe et poète allemand Nietzsche, à savoir : «Deviens ce que tu es. Fais ce que toi seul peux faire. Sois le maître et le sculpteur de toi-même ». C’est-à-dire : on devient grand dans la littérature comme dans n’importe quel domaine après avoir fait un compromis entre ce que le caractère et l’autodiscipline permettent à un homme de devenir et ce que l'idéal lui fait pressentir.

LP : Est-ce qu’il est possible de faire une carrière littéraire comme écrivain professionnel en RDC ?

DM : Le développement économique et social d’un pays se calcule par le nombre de livres lu par an et par habitant, comme la qualité et la quantité des écrivains révèlent le degré de développement économique et social atteint par une société. Comment ne pas être tenté de faire carrière dans un métier aussi prééminent, quand on sait, par exemple, que de tout ce qu’a été la Grèce Antique, on en a gardé que le souvenir de ses écrivains : Platon, Solon, Démocrite, Hérodote, Pythagore, Hippocrate, Homère, etc.

LP : Quel est l’avenir de la littérature africaine, après les grandes légendes telles que CHEIK ANTA DIOP, ZAMENGA, CESAIRE, CAMARA LAYE… ?

DM : L’avenir de la littérature africaine dépend de la réponse que les intellectuels africains donneront à cette lancinante question : Pourquoi les cultures de la Grèce antique ou de l'ancien Israël continuent-elles d'irriguer la pensée contemporaine alors que les civilisations de l'Egypte, de Méroé, de Napata, dont les artisans sont nos lointains aïeux, semblent mortes, en tout cas étrangères et sans incidence réelle sur nos cultures africaines d’aujourd’hui ?

LP : Avez-vous déjà une publication en gestation ?

DM : J’aime beaucoup recomposer la réalité, lui donner une force meilleure, à la lumière de ce qu’à dit Aimé Césaire au Congrès des Écrivains et Artistes noirs de 1959, à Rome : « Il faut que nous soyons des catalyseurs, des inventeurs d'âme ». Voilà pourquoi mon prochain ouvrage sera utilitaire et citoyen. Il s’intitulera : « Bréviaire de la construction du bien-vivre national congolais ».

LP : Comment réagissez-vous lorsqu’une certaine opinion soutient que le secret de l’unité nationale est culturel ?

DM : Dans ses composantes essentielles, c’est-à-dire les langues, les techniques, les savoir-faire, les savoir-être, les arts, les connaissances, les croyances, les sciences, l’organisation économique, sociale et politique…, la culture est le lieu où les sociétés humaines se comprennent, s’analysent, se construisent et se projettent. En sous-tendant la manière dont les hommes façonnent leur manière de vivre en société, non seulement la culture détermine le potentiel, les possibilités, le style et le contenu de toute intelligence de construction du bien-vivre collectif, elle constitue le fondement de toute existence viable en communauté. Aussi, par la force créative et innovatrice qu’elle recèle, ainsi que par le rôle essentiel qu’elle joue dans les processus de préparation de l’avenir, en tant que levain des politiques d’éducation, de santé, de protection de l’environnement, de l’aménagement du territoire ou du développement économique et social, la culture forme le soubassement spirituel des nations. Elle est aux nations ce que les gènes sont aux individus.

LP : Avec tout ce que vous êtes en train de fournir comme effort pour la promotion de la lecture en RDC, peut-on toujours accepter qu’on dise que le livre reste encore un lieu idéal pour cacher une vérité aux Congolais ?

Didier Mumengi : Ces insultes, dénuées de tout fondement, mais qui, malgré tout, nous couvrent d’opprobre, renforcent le combat que je mène, celui de faire en sorte que le livre fasse notoirement partie de notre quotidien, que nous soyons nombreux dans l’exercice de quête d’enrichissement personnel à travers la lecture, et que nous prenions conscience que la lecture investit d’un pouvoir : celui de comprendre le monde, de se l’approprier, de s’en inspirer pour réaliser des miracles sociaux et économiques, dans cette mondialisation qui veut dire fusion des intelligences et relégations des peuples inintelligents à la poubelle de la planète.

Propos recueillis par Jordache DIALA

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