Minute après minute, heure après heure, la matinée s’étire dans la salle d’attente décrépite de l’ambassade de la République démocratique du Congo (RDC) à Paris. Et les chaises se remplissent. Un léger brouhaha anime la pièce. Sous l’œil bienveillant de Joseph Kasa Vubu, Joseph Désiré Mobutu et Laurent Désiré Kabila, les trois chefs d’Etat passés, les demandeurs de visa prennent leur mal en patience, guettant l’arrivée d’un officiel porteur de documents. Alors le silence s’installe, religieux, pour la liste des heureux élus dont le dossier a abouti, lue d’un ton bougon. Le bruit revient immédiatement, pour demander des explications, un passe-droit, ou tenter de comprendre pourquoi le précieux sésame est encore en souffrance.

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Depuis deux ans, pourtant, l’ambassade de la RDC à Paris ne traite que par correspondance. Les dossiers sont à retirer et à remplir sur Internet, envoyés et renvoyés par la poste. L’instauration de ce schéma a permis de fluidifier les demandes et d’apaiser les couloirs de la représentation, où des bagarres émaillaient les files d’attente.
Depuis, trois semaines étaient nécessaires pour que la demande soit traitée. Mais les délais s’allongent à mesure que la fin du mandat de Joseph Kabila approche. Le grain de sable dans la mécanique des visas congolais semble avoir été l’arrivée à Kinshasa, en mars 2015, de militants du collectif sénégalais Y en a marre et des Burkinabés du Balais citoyen. Ayant chacun fait tomber le régime dans leurs pays respectifs, ils étaient allés prêter main-forte à leurs homologues congolais du mouvement citoyen Lutte pour le changement (Lucha), qui exigent le départ du président Kabila au terme de son mandat, en décembre 2016.
Visas d’artistes

Pour se rendre à Kinshasa, les militants ouest-africains sont passés par les ambassades congolaises à Paris et à Bruxelles. Des visas d’artistes leur ont été accordés. « L’Agence nationale de renseignement (ANR) n’a découvert leur venue qu’après leur arrivée, sourit une source au gouvernement congolais. Alors évidemment, ils n’ont pas fait dans la finesse. Ils les ont arrêtés durant leur meeting et ont repris en main la délivrance de visas. »
A présent, tous les dossiers déposés dans les ambassades sont envoyés à Kinshasa pour être analysés par une commission tripartite où siège le ministère des affaires étrangères, l’ANR et la Direction générale des migrations (DGM) du ministère de l’intérieur. Un processus d’autant plus lourd que les trois administrations ne jouent pas sur un pied d’égalité. « Les affaires étrangères sont à l’agonie, assure un diplomate occidental basé à Kinshasa. Quant à l’ANR et la DGM, ils sont en guerre larvée. Les dossiers validés par l’un sont bloqués par l’autre. »
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Et la situation se durcit à mesure que la tension politique augmente, sur fond de glissement du calendrier électoral et des pressions internationales exercées sur le président Kabila pour qu’il quitte le pouvoir le 19 décembre, comme prévu par la Constitution. « Les procédures mises en place pour attribuer les visas sont classiques mais elles peuvent être parasitées par des rivalités dans les instances décisionnelles », avance une source gouvernementale congolaise.
Réputé proche des Américains, en pointe pour demander le départ du chef de l’Etat, le directeur de la DGM, François Beya, a été mis sous surveillance par le clan présidentiel. L’ANR enquête même pour déterminer son rôle dans le dossier des « mercenaires » de Moïse Katumbi, l’ancien gouverneur du Katanga. Ce dernier a rejoint l’opposition et déclaré sa candidature à la présidentielle. Pour assurer sa sécurité, M. Katumbi, qui affirme avoir été empoisonné par des agents du gouvernement et se trouve en Europe « pour raisons de santé », a fait appel à un certain Daryll Lewis, un spécialiste américain.
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Lequel, pour entrer au Congo, a demandé un visa en tant qu’exploitant agricole, visa renouvelé en RDC par la DGM elle-même. « Il y a eu deux problèmes avec M. Lewis, détaille un proche de l’ANR. Son premier visa lui a été délivré en Afrique du Sud. Or les représentations consulaires ont ordre de ne délivrer des documents de voyage qu’aux ressortissants des pays où ils sont installés. M. Lewis aurait dû demander son visa à notre ambassade aux Etats-Unis. Ensuite, le renouvellement de son visa est assez invraisemblable. » Arrêté fin avril, Daryll Lewis a été libéré après un mois de détention.
Corruption et pots-de-vin

Mais il y a une autre raison au ralentissement de la délivrance des visas congolais aux Occidentaux : une certaine réciprocité face aux difficultés que connaissent les Congolais pour voyager à l’étranger, notamment en Europe.
Pour les visas de court séjour, 17 états membres de l’Union européenne ainsi que la Norvège ont délégué leur pouvoir à la Belgique, qui pilote à Kinshasa la Maison Schengen, un bâtiment aux murs gris collé à une station-service Engen sur le grand boulevard du 24-Novembre. « C’est un abandon de souveraineté qui peut être gênant, glisse un diplomate européen. Surtout que beaucoup de rumeurs courent sur la gestion de ces services. »
Des bruits de corruption et autres pots-de-vin pour obtenir des autorisations de voyage viennent régulièrement entacher la réputation de la Maison Schengen. Sans preuve jusqu’à maintenant, ni investigation officielle. Mais le souvenir plane de l’ancien ambassadeur d’Espagne, condamné en mai 2016 par la justice de son pays pour avoir vendu des visas à des entrepreneurs et à des hauts responsables congolais à 3 000 dollars pièce (2 700 euros).
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La centralisation des visas pour l’Europe à la Maison Schengen présente néanmoins un avantage. « Elle permet de rendre plus efficace certaines sanctions, ou des interdictions de territoire, en prévision de la fin de l’année. » Selon les informations obtenues par Le Monde Afrique, plusieurs membres de la famille Kabila et des membres du gouvernement pourraient être empêchés de séjourner en Europe dès le lendemain du 19 décembre, dernier jour du mandat de Joseph Kabila. « On travaille à cela, non seulement au niveau européen mais également avec les Américains au sein de l’Alena (zone de libre-échange réunissant le Canada, le Mexique et les Etats-Unis). » La guerre des visas en RDC ne fait que commencer.
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