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Popole Misenga, un judoka congolais qui vit au Brésil, est l'un des dix athlètes, à concourir sous la bannière des réfugiés lors de ces Jeux olympiques de Rio. Il entre sur le tatami ce mercredi. Nous l'avions rencontré en avril dernier.
Les impacts de balle sont là et quadrillent l'entrée de la maison. « Cà ? C'est juste une opération de police qui a mal tourné », explique calmement Popole Misenga, 23 ans, en nous ouvrant la porte de son humble demeure. Nous sommes à l'entrée de la favela Cinco Bocas, quartier de Bras de Pinha, dans le nord de Rio de Janeiro. Ici, on est loin des plages et de la carte postale de la « Cité Merveilleuse ». Le lieu est considéré comme l'un des plus violents de Rio et très peu de Cariocas s'y aventurent. Les autorités locales ont d'ailleurs préféré dissimuler cette poche de misère sous un large mur longeant la très fréquentée Avenida Brasil. C'est pourtant dans ce lieu, oublié de tous, que le jeune Congolais Popole Misenga, a trouvé refuge depuis trois ans. Le judoka est l'un des dix athlètes qui participent aux Jeux olympiques sous la bannière des réfugiés. « C'est moi, Popole qui vais lutter, mais je le fais au nom des millions de personnes qui ont fui à travers le monde. Je veux être un exemple pour eux, leur donner du courage », explique le jeune homme en mélangeant le français et le portugais. « Nous, réfugiés, avons aussi le droit d'avoir des rêves et personne ne pourra jamais nous les retirer. Je veux prouver qu'en travaillant dur, on peut y arriver. »
Le jeune Congolais nous accueille dans sa cuisine qui sert également de salon. Un vieux téléviseur ayant rendu l'âme nous fait face. « Si je gagne les Jeux olympiques, j'aurai assez d'argent pour commencer une thérapie avec un psychologue », continue-t-il en se tapant sur les tempes. « Je veux enlever toute cette tristesse qui reste dans ma tête ». Son regard plonge et les souvenirs reviennent. Ils sont aussi sombres qu'une nuit sans lune et étoiles.



« Je suis arrivé dans une forêt et je n'ai plus jamais revu ma sœur »
Popole a 7 ans, lorsque sa vie bascule. « C'était la guerre au Kivu (NDLR ; région à l'Est de la république démocratique du Congo), ma région natale, et vers 7h du matin, alors que nous nous rendions à l'école avec ma sœur aînée, des militaires ougandais et rwandais ont commencé à bombarder notre village. Il y avait des chars, des lance-roquettes. Les bombardements ont duré toute la matinée. Puis, un moment quelqu'un a crié : il faut courir jusqu'à la rivière ». Popole mime la scène. Ses yeux s'écarquillent. « Autour de moi, je voyais beaucoup de morts, de personnes à qui on avait coupé le bras ou une jambe. J'ai fui avec ma sœur qui avait des problèmes respiratoires. Elle avait du sang qui lui coulait des narines. Elle m'a dit : « laisse-moi ici , je suis fatiguée ». J'ai commencé à pleurer et je l'ai prise dans mes bras pour la porter. Mais il y a eu un nouveau mouvement de fuite. Je suis arrivé dans une forêt et je n'ai plus jamais revu ma sœur ».
Pour sortir de l'enfer, celui qui est encore un petit garçon s'enfuit vers Kinsagani, d'où il embarque « en bateau » jusqu'à la capitale Kinshasa, à l'autre bout du pays. « Je voulais mourir. Arrivé à Kinshasa, un habitant de mon village m'a certifié que ma mère avait été tuée. J'avais perdu ma famille, mes amis et plus rien n'avait d'importance.Je dormais dans la rue, parfois dans des vieilles voitures abandonnées ». Popole grandit dans la misère de la capitale congolaise, entre passages par un orphelinat et « débrouille de la rue ». Mais son destin bascule, une nouvelle fois, lorsqu'un de ses amis le convainc de pratiquer le judo.

« Mon entraîneur est devenu comme fou et a dépensé tout notre argent dans des bordels »
Le garçon, une force de la nature, est très doué et, à peine 17 ans, il devient champion du Congo. Quelques années plus tard, il est même médaillé de bronze au championnat d'Afrique, ce qui lui offre des opportunités de compétitions internationales. En 2013, il fait partie de la délégation congolaise présente aux championnats du monde de Rio. Mais là, rien ne se passe comme prévu. «Dès que nous sommes arrivés sur le sol brésilien, mon entraîneur a disparu. Il était censé s'occuper de nous, mais il a oublié que nous étions là pour lutter. Il est devenu comme fou et a passé tout le séjour dans des bordels en dépensant notre argent dans des filles et des boissons. On ne l'a plus revu ».
Popole et Yolande Bukasa Mabika, l'autre athlète congolaise qui participe aux Jeux de Rio sous la bannière des réfugiés, se retrouvent ainsi sans argent durant leur séjour. « On n'a rien mangé pendant trois jours.C'était impossible de se concentrer sur la compétition dans des circonstances pareilles. Je devais penser à lutter, pas à ce que j'allais manger. On n'avait pas d'équipement. Rien. Le pire, c'est que notre entraîneur était parti avec nos accréditations et les organisateurs ne voulaient pas qu'on rentre dans le gymnase ». Popole s'interrompt un moment. Son flux de parole devient tendu. « Yolande était nerveuse, elle a commencé à pleurer. Elle est partie dans la rue et a disparu. Moi je me suis dit que si j'étais là, c'était pour lutter. Je ne voulais pas rentrer au pays sans avoir tout donné. J'ai combattu habillé d'un kimono d'un autre pays. J'ai perdu mon combat et je suis sorti du Maracanãzinho où avait lieu la compétition, très énervé ».
Tout comme Yolande, l'athlète congolais se retrouve dans la rue, sans un sou. « J'étais désespéré car je ne connaissais personne et ne parlais pas un mot de portugais. J'ai erré plusieurs heures, et par chance, j'ai rencontré un autre Congolais qui m'a immédiatement aidé ».


« Au Congo, on combat comme au Japon : on ne sourit pas et on reste concentré et renfermé »
Cet ami habite Cinco bocas, la favela où se regroupe la petite communauté congolaise (voir ci-contre) de Rio. « Je suis resté ici. Les premiers mois, j'ai dormi dans le salon de la maison de mon ami». Car le choix du judoka est fait : il ne veut plus retourner au Congo. « L'ONG Caritas m'a aidé dans mes démarches et j'ai finalement pu obtenir le statut de réfugié ». Un statut assez honorifique, puisque les réfugiés ne sont pas (vraiment) aidés financièrement au Brésil.
Dans la petite favela de Cinco Bocas, Popole se fait rapidement une place. « J'avais des jobs à la journée. Souvent j'aidais un garagiste et je pouvais gagner 40 reais ( un peu plus de 10 euros) par jour ».
Trois mois après son arrivée au Brésil, Popole rencontre Fabia, sa future épouse. Cette dernière travaille dans une boulangerie et gagne le salaire minimum. « Je ne parlais pas un mot de portugais et on avait besoin d'un traducteur en permanence. Après quatre mois de relation, elle est tombée enceinte. J'étais paniqué : comment allait-on éduquer cet enfant sans argent ? »
Peu à peu, le judo « revient dans la tête » de Popole. « C'est Caritas qui m'a ramené sur un tatami. L'organisation m'a proposé de m'entraîner au centre de Reação de Jacarapaguá (NDLR : à l'extrême Ouest de Rio). J'étais très content. »
A Reação, le jeune Congolais fait la rencontre de Geraldo Bernades, six fois médaillés olympique ( toujours en tant que coach), qui devient son entraîneur. « Geraldo, c'est un père pour moi. Il a canalisé mon énergie. Les premières fois que je me suis entraîné, j'étais très violent. J'envoyais mes adversaires en dehors du tatami. Geraldo m'a expliqué que je risquais de les blesser. Mais à Kinshasa, c'est comme ça qu'on m'a appris à combattre. Les Brésiliens, dès qu'ils font une belle prise, ils jubilent.Au Congo, on combat comme au Japon : on ne sourit pas et on reste concentré, sérieux et renfermé ».
« Je dois deux mois de loyer. J'ai peur qu'on m'expulse. Où j'irai après ? »
Même s'il a retrouvé le chemin de sa passion, la vie est loin d' être rose pour le jeune congolais qui passe près de quatre heures par jour dans les transports en commun pour rejoindre son lieu d'entraînement. « La vie au Brésil n'est pas facile. Je ne gagne absolument rien en m'entraînant. Que du contraire, je ne peux plus travailler et ma femme a perdu son emploi dans sa boulangerie. Je n'ai même plus d'argent pour payer du lait en poudre à mon fils. Je dois deux mois de loyer. J'ai peur qu'on m'expulse. Où j'irai après ? »
En habitant l'un des quartiers les plus pauvres de Rio, Popole a aussi fait connaissance avec les trafiquants du « Commando Vermelho », le gang qui domine la favela de Cinco Bocas. « Si on ne respecte pas leur loi, on risque de mourir, de se prendre une balle. Ils m'ont souvent demandé de rentrer dans le business du trafic de drogue, mais j'ai toujours refusé. Un Africain ne fait pas ça. La police vient souvent ici, il y a pas mal de confusion. Mais je n'ai pas peur. Après ce que j'ai vécu au Congo, ce genre de choses ne m'effraie vraiment pas. »
Pas toujours facile non plus de se faire une place pour un Congolais au Brésil : le judoka a ainsi souvent été confronté au phénomène du racisme. «Un jour, je me suis disputé avec une de mes voisines. Et elle m'a dit : « tu te prends pour qui l'Africain, espèce de singe ». Je suis un athlète, je ne pouvais pas la frapper. Ici quand il se passe quelque chose, il faut en avertir le chef des trafiquants. Il m'a dit qu'il allait arranger le problème et ma voisine ne m'a plus jamais insulté ». Le décalage culturel est parfois difficile. « Au Congo, on a du respect pour les anciens. Ici, au Brésil, tout le monde s'injurie tout le temps. Même les enfants insultent leurs mères, c'est incroyable ! »


« Quelqu'un nous reconnaîtra peut-être au Congo ? »


Du haut de ses six médailles olympiques en tant qu'entraîneur, Geraldo Bernades observe "ses" deux athl&egegrave;tes congolais « faire leur gamme ». Yolande Bukasa Mabika et Popole Misenga s'entraînent depuis des mois avec l'équipe brésilienne. Sans faire de bruit. « Aller chercher une médaille sera compliqué car il leur manque encore pas mal de techniques. Mais ils ont une volonté de fer et en sport tout peut arriver », explique Geraldo Bernardes, véritable légende du judo au Brésil. Geraldo est aussi l'un des rares à parvenir à faire décrocher un sourire à Yolande, en tentant des pas de danse très volontaires sur de la rumba congolaise. «Yolande est très renfermée, elle parle très peu », explique Popole. « Elle vient aussi du Kivu et elle s'est enfuie à la même époque que moi. Mais on ne parle quasiment jamais de ce passé douloureux entre nous. Je sais juste qu'elle a beaucoup souffert et que, comme moi, elle n'a plus aucune nouvelle de sa famille. On sait que ces Jeux olympiques vont être très suivis en Afrique. Et qui sait, peut-être que quelqu'un de notre famille a survécu et nous reconnaîtra. On voudra peut-être nous contacter !», explique avec un grand sourire d'espoir le jeune Congolais.


Une communauté congolaise « victime de racisme »



A Cinco Bocas. la samba se mélange allègrement au rythme de la rumba congolaise. D'après les médias brésiliens, près de 1300 Congolais vivent actuellement à Rio, soit trois fois plus qu'il y a trois ans à peine. Sur les 320 réfugiés, de 25 nationalités différentes, accueillis dans la « Cité Merveilleuse » l'an dernier, plus de la moitié était congolais. La très grande majorité possède le statut de réfugié et se retrouve dans cette favela de Cinco Bocas. Ici, à tous les coins de rue, on entend parler français ou lingala et l'on croise un salon de coiffure tenu par un Congolais. Egalement très nombreux, les Angolais complètent le panel de cette favela africaine Les profils de ces réfugiés congolais sont très divers. Si certains sont arrivés au Brésil en avion, d'autres ont passé des dizaines de jours enfouis dans des cales de bateaux pour traverser clandestinement l'Atlantique. La cinquantaine d'années, Augustin nous explique avoir fréquenté les bancs de l'université de Louvain-La Neuve. Mais malgré son diplôme en économie, il ne trouve pas de travail à cause du « racisme » des Brésiliens. «Quand un Allemand formé en comptabilité vient ici, il travaille dans son domaine. S'il est congolais, on lui demande de laver le sol », complète André Michel Kitambala, depuis un an au Brésil. Du côté de l'ONG Caritas, on déplore ce racisme envers les Congolais qui « ont pourtant un profil particulier parmi les réfugiés au Brésil ». « Souvent, ils ont un niveau d'éducation assez élevé, mais un réfugié blanc a plus de chance de trouver un emploi qu'un noir au Brésil », explique une coordinatrice de l'association. Les Syriens trouvent, par exemple, un travail beaucoup plus facilement que les Congolais ».