ENTRETIEN. Membre éminent de l'opposition à Joseph Kabila, Raphaël Katebe Katoto confie son rejet du scénario qui est en train de s'écrire en RD Congo.Le dialogue national proposé par le président Joseph Kabila a débuté le 1er septembre avec comme facilitateur le Togolais Edem Kodjo. Alors qu'il est sur le point de s'achever, il se traduit par un échange entre la majorité présidentielle et une partie de l'opposition qui a accouché d'un projet d'accord en discussion et qui prévoit la mise en place d'un gouvernement de transition avec un Premier ministre issu de l'opposition et Joseph Kabila toujours à la tête du pays, et ce, jusqu'à la tenue de l'élection présidentielle prévue en avril 2018.

En face, réunie en conclave à Kinshasa, le 4 octobre dernier, l'opposition dite radicale, regroupée autour du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement, prévoit la tenue d'un dialogue inclusif pour décider des modalités de mise en place d'un régime spécial devant diriger le pays après le 19 décembre 2016, et ce, jusqu'aux élections. Pour le Rassemblement, le président Kabila doit quitter le pouvoir le 19 décembre, jour de la fin de son deuxième et dernier mandat, selon la Constitution de 2006.

Pour tenter de trouver une issue politique à la crise actuelle en RD Congo, un sommet international se tiendra le 26 octobre prochain à Luanda (Angola). Il est organisé conjointement par la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), les Nations unies, la SADC et l'Union africaine.

Co-signataire des accords du Rassemblement issus du conclave tenu en juin dernier en Belgique, Raphaël Katebe Katoto, par ailleurs frère de Moïse Katumbi, ex-gouverneur du Katanga et figure de l'opposition, est membre du « conseil des sages » du Rassemblement des forces politiques et sociales. Il s'est confié au Point Afrique alors qu'entre le pouvoir en place et le Rassemblement, présidé par Étienne Tshisekedi, le leader de l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), la situation est de plus en plus tendue.
Le Point Afrique : Le « glissement » voulu par le régime de Joseph Kabila est quasiment acquis puisqu'à l'issue du dialogue national un gouvernement de transition avec un Premier ministre issu de l'opposition sera mis en place jusqu'à la tenue des élections. Dans ces conditions, le dialogue inclusif que souhaite le Rassemblement est-il toujours à l'ordre du jour ?

Raphaël Katebe Katoto :Le dialogue inclusif prôné par le Rassemblement est toujours à l'ordre du jour si l'on veut la paix en RD Congo. Le dialogue national tenu par le camp présidentiel est un monologue. Les résolutions qu'il prend ne peuvent pas engager l'opposition et la population. Si le pouvoir veut continuer dans ce sens, contre la volonté du peuple qui aspire au changement, c'est de la pure provocation. Tout ce qui va dans le sens du glissement est une trahison envers le peuple congolais qui est souverain.

Comment pouvez-vous inverser les choses ? Quelle est la stratégie que vous allez mettre en place pour obtenir la tenue du dialogue inclusif ?

Ce gouvernement de transition n'aura aucune légitimité auprès de la population. Celle-ci réagira si le pouvoir veut le mettre en place. Dans le dialogue inclusif que nous préconisons, nous prendrons en compte le point de vue du gouvernement et nous donnerons le nôtre. C'est sur cette base que nous allons dialoguer et que nous trouverons une solution équitable dans l'intérêt de la nation.

Un sommet va se tenir à Luanda le 26 octobre prochain. Le Rassemblement prendra-t-il part à ce sommet ? Qu'attendez-vous d'un sommet comme celui-ci ?

C'est un sommet de chefs d'État. Le Rassemblement ne peut donc pas y assister. Cela dit, que ce soit l'Union africaine ou toute autre organisation, tout partenaire animé de bonne volonté et voulant nous accompagner dans le processus actuel doit tenir compte en priorité de la volonté du peuple congolais, qui est le détenteur du pouvoir. Lui seul donne mandat. Si ce sommet se réunit, c'est pour la RD Congo. La moindre des choses est donc de tenir compte de la volonté de notre peuple.

Comment va s'exprimer le peuple congolais ? Quels types d'actions avez-vous prévus ?

Si Joseph Kabila s'entête et veut continuer à rester à la tête du pays après le 19 décembre, ce sera un défi à la population. Celle-ci réagira.

Le pouvoir ne va pas se laisser faire. Il n'hésitera pas à réprimer les manifestants comme il l'a déjà fait. De son côté, la rue est déterminée à défendre la Constitution jusqu'au bout. Ne craignez-vous pas un bain de sang ?

Le pouvoir en place n'a jamais eu de scrupules pour réprimer la population. En janvier 2015 et en septembre dernier, lors d'une manifestation autorisée, les forces de l'ordre ont tiré à balles réelles sur la population. Il faut en tirer les conclusions.

Dans une interview récente, vous avez dit que le peuple congolais n'est plus ce qu'il était il y a dix ans. Êtes-vous donc optimiste sur sa détermination à imposer le changement ?

Tout à fait. Je suis convaincu aujourd'hui de la maturité politique du peuple congolais auquel nous devons beaucoup de respect. Le peuple congolais ne va pas se laisser faire. Il est conscient et déterminé. Il aspire au changement. Le pouvoir doit en tenir compte. En outre, la Constitution que le régime a fabriquée, mais qu'il viole, lui donne le droit de se prendre en charge, dans son article 64.

Lors du conclave qui s'est tenu le 4 octobre dernier, le Rassemblement a préconisé un « régime spécial devant assurer la gestion du pays après le 19 décembre pour organiser les élections ». Que répondez-vous à ceux qui disent que ce régime spécial serait une violation de la Constitution ?

Ne pas organiser les élections dans le délai constitutionnel, n'est-ce pas une violation et un non-respect de la Constitution ? Le Rassemblement défend la Constitution, mais celle-ci a été violée. Ce ne sont pas ceux qui l'ont violée qui vont nous donner des leçons. Après le 19 décembre 2016, nous allons vivre une situation spéciale qui appelle des solutions spéciales. Ce n'est pas nous qui avons provoqué cette situation, mais le pouvoir en place. Ce dernier a eu cinq ans pour préparer les élections. Il n'a rien fait. Le dernier mandat de Joseph Kabila arrive à sa fin. Après le 19 décembre, Kabila n'aura plus de légitimité. Pour combler ce vide politique, nous allons envisager une solution exceptionnelle qui va nous permettre d'organiser des élections crédibles et transparentes.

Quels seront les contours de ce régime spécial ?

Ce n'est pas à moi de les définir. Ce sera aux participants du dialogue inclusif de tracer les contours de ce régime spécial.Le dialogue inclusif ne peut pas se tenir sans la participation de votre frère Moïse Katumbi. Où en est le procès fait à ce dernier à propos d'un immeuble qu'il aurait spolié au Grec Alexandros Stoupis ?

Ce procès est fabriqué de toutes pièces. Je suis propriétaire de la maison depuis 40 ans. Moïse, qui est mon petit frère, a grandi dans cette maison où il a habité à l'âge de six ans. Aujourd'hui, on invente une histoire à propos d'un citoyen grec qui aurait acquis cette maison par héritage. Tout cela est faux. De plus, la loi congolaise prévoit qu'après trois ans, un titre de propriété n'est plus attaquable. Or, mon titre a 40 ans.

Cela dit, n'y aurait-il pas un risque pour Moïse Katumbi de se rendre à Kinshasa pour participer au dialogue inclusif ?

Si le régime en place veut trouver une solution à la crise actuelle, il n'a aucun intérêt à arrêter Katumbi, ni lui ni un autre. Vous voulez dialoguer, mais vous empêchez quelqu'un de participer à un Dialogue. Dans ces conditions, avec qui allez-vous dialoguer ?

Vos liens avec Étienne Tshisekedi sont anciens. Avez-vous parfois des divergences sur les décisions prises et la manière de gérer le pays à l'avenir ?

En politique, et surtout dans la période actuelle, il est normal d'avoir des points de vue différents sur certains points. Nous pouvons en avoir, mais cela est très rare. Nous nous concertons et nous arrivons à nous mettre d'accord. Ce qui nous réunit, c'est la volonté de sortir le peuple congolais de la misère, de chasser la dictature, de mettre en place une vraie démocratie et de respecter la Constitution. Sur l'essentiel, il n'y a pas de divergences.

Êtes-vous souvent en contact avec Tshisekedi ?

Tshisekedi et moi sommes toujours en contact et nous travaillons ensemble depuis plus de 16 ans. Lors du dialogue inter-congolais en Afrique du Sud, nous étions ensemble. Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba avaient tenté alors de faire un coup d'État*. Mais nous nous y sommes opposés. Étienne Tshisekedi et moi-même avons créé l'Alliance pour sauvegarder le dialogue (ASD). C'est grâce à cette action que Kabila et Bemba ont été obligés de ramener leurs membres au dialogue de Sun City. Cela a donné Sun City 2 d'où est sorti l'accord global qui a régi la transition entre 2003 et 2006. On a évité ainsi l'intensification de la guerre, car le RCD, un mouvement rebelle qui contrôlait alors une grande partie du territoire congolais, avait été écarté de l'accord entre Bemba et Kabila.

Avez-vous des alliés dans la sous-région ? Pouvez-vous compter sur des chefs d'État dans votre lutte ?

Nous avons fait le tour des chefs d'État impliqués dans le dossier congolais pour expliquer clairement la situation et donner notre point de vue. Ils nous comprennent. Tous ceux qui sont de bonne foi nous donneront raison, car nous défendons la Constitution congolaise. Notre arme, c'est la Constitution, notre armée, c'est le peuple. C'est l'histoire qui se répète. Lors du dialogue en Afrique du Sud, nous avions rencontré des chefs d'État impliqués dans le dossier congolais. Nous les avions sensibilisés et nous avions même fait venir les 15 membres du Conseil de sécurité de l'ONU. Cela a permis de ramener Kabila et Bemba à la table des négociations.

Pourquoi récusez-vous Edem Kodjo ? Disposez-vous de preuves de son allégeance à Joseph Kabila ?

Selon son mandat, un facilitateur est censé être neutre. Edem Kodjo n'est pas neutre. Quand il est arrivé à Kinshasa, avec le mandat que lui avait donné la présidente de la Commission de l'Union africaine, madame Nkosazama Dlamini-Zuma, sa première déclaration a été de dire « je viens faciliter le dialogue initié par le président Joseph Kabila ». Du coup, la confiance que pouvait lui accorder l'opposition a été rompue. Par ailleurs, son comportement montre qu'il est proche du chef de l'État congolais. Il assiste aux manifestations et aux fêtes de la femme de Kabila. Edem Kodjo a confondu le rôle de facilitateur avec celui de médiateur. Le facilitateur est la personne qui facilite le dialogue et met les deux camps autour d'une table pour dialoguer. Il n'a pas voix au chapitre, il ne peut pas proposer. En revanche, un médiateur peut faire des propositions et intervenir dans la discussion. Ceux qui ont donné mandat à Kodjo n'ont peut-être pas compris le rôle du facilitateur. Nous ne pouvons donc pas accepter le rôle que joue Kodjo. Nous voulons rester dans la légalité.

Quel serait le profil du facilitateur idéal ?

Un facilitateur est une personne qui doit être acceptée par les deux camps. Il faut qu'il ait un crédit moral irréprochable.

* Lors des pourparlers de Sun City en 2002, Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba avaient conclu secrètement un accord prévoyant la nomination de Bemba au poste de Premier ministre pendant la transition qui devait déboucher sur les élections. Cet accord a été rejeté par les autres participants.
PAR MURIEL DEVEY MALU-MALU
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