GRAND ANGLE. Deux mois et demi après la disparition d’Étienne Tshisekedi, le Rassemblement est confronté au problème Katumbi: des cadres sont systématiquement chassés du mouvement pour avoir officiellement trahi ou plus simplement, pour avoir tenté de s’opposer à l’ex-gouvernement du Katanga.Ancien gouverneur du Katanga et cadre du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) devenu opposant en octobre 2015, à la suite d’une longue série de couacs entre lui et le président congolais Joseph Kabila, Moïse Katumbi s’est allié à Étienne Tshisekedi en juin 2016, dans la création de cette large coalition de l’opposition en République démocratique du Congo. Depuis, le candidat déclaré à la présidentielle vit en exil en Europe, après sa condamnation à trois ans de prison ferme dans une affaire de spoliation des biens immobiliers.


A l’issue du conclave de Genval qui a vu naître le Rassemblement, Étienne Tshisekedi boycotte finalement un dialogue avec Kabila, auquel il avait pourtant donné son accord, à l’issue des négociations dites d’Ibiza: une série de rencontres avec des représentants du pouvoir en Espagne et en Italie, qui ont abouti à la mise sur pied de la médiation de l’Union Africaine pour des pourparlers avec l’opposition, que devraient diriger l’ancien Premier ministre togolais Edem Kodjo. Le leader de l’UDPS réclame alors un « Dialogue sous l’égide de l’ONU » et récuse le facilitateur africain. Le Rassemblement demandera la mise en place d’un « régime spécial » pouvant conduire le pays aux élections sous un an.

Richard Kiyambu, analyste politique et consultant à POLITICO.CD explique que M. Katumbi a passé un marché avec Etienne Tshisekedi, obtenant le soutien du leader de l’UDPS à sa candidature pour la présidentielle qui devrait se tenir l’année dernière. « En ce moment-là, Moïse Katumbi avait simplement compris qu’il n’avait aucun poids politique pour prétendre prendre le leadership au sein de l’opposition. De plus, les attaques du pouvoir l’avaient beaucoup affaibli. Alors il finançait l’UDPS, après avoir conclu un deal avec Étienne Tshisekedi qui faisait de lui le candidat de l’opposition à la présidentielle à venir, alors qu’Etienne Tshisekedi devait lui diriger la transition« , renseigne M. Kiyambu.



Des pourparlers de la Cité de l’Union Africaine au Dialogue de la CENCO, qui aboutira à l’accord signé le 31 décembre, l’alliance entre Tshisekedistes et Katumbistes aura tenu bon. « C’est la mort d’Étienne Tshisekedi qui est venu tout bouleverser. Tshisekedi pouvait contrôler tous ses alliés comme Jean-Pierre Lisanga, ou Bruno Tshibala. A son absence, l’emprise de Moïse Katumbi sur le Rassemblement s’est retrouvée menacée« , ajoute l’analyste congolais basé en Europe.

Le Rassemblement a connu en effet un éclatement depuis la mort d’Étienne Tshisekedi le 1er février à Bruxelles, à l’âge de 84 ans. Plusieurs cadres ont alors contesté « l’hégémonie » de Moïse Katumbi sur cette coalition, à la suite d’une restructuration qui a porté Pierre Lumbi à la présidence du Conseil des sages et Félix Tshisekedi à celui du Bureau politique. Joseph Olenghankoy a été désigné à la présidence du Conseil de sages d’une aile dissidente, alors que Bruno Tshibala et Valentin Mubake, des poids lourds de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS, parti d’Etienne Tshisekedi) ont été simplement écartés.

M. Tshibala qui a été nommé Premier ministre par le président Joseph Kabila, dénonçait pour sa part la même emprise de Moïse Katumbi sur le Rassemblement. « Le Rassemblement est aujourd’hui divisé en deux courants. Le premier est le courant katumbiste-affairiste, composé par les hommes sans idéal et le courant tshisekediste incarné par nous. Le premier courant ne comprend pas le principe et les idéaux pour lesquels le Président Tshisekedi s’est battu durant toute sa vie. Ce rassemblement ne voit que les postes avant même que l’initiateur du Rassemblement ne soit enterré. C’est immoral ! Même la récente restructuration n’a été faite rien que pour avoir les postes. Nous nous avons dit non à cette aile du Rassemblement matérialiste et affairiste« , a expliqué Bruno Tshibala dans une interview au magazine Geopolis, trois jours avant sa nomination à la Primature.

Comme Bruno Tshibala, plusieurs autres cadres du Rassemblement qui soutenaient jusqu’alors l’aile Félix Tshisekedi commencent à hausser le ton pour dénoncer le président du Tout-puissant Mazembe. L’un deux, Jean-Pierre Lisanga, a même créé un « courant » au sein de cette coalition, soutenant la candidature de Félix Tshisekedi à la Présidentielle. Selon lui, la nouvelle structure a pour objectif de stopper la montée de ceux qu’il appelle « des Katumbisites », en référence à l’opposant Moïse Katumbi, qu’il accuse de vouloir imposer sa candidature à la Présidentielle à tout le Rassemblement.

Tshisekedistes vs Katumbistes ou excuses?
« La Coalition des Alliés d’Etienne Tshisekedi, CAT en sigle, a annoncé officiellement la création d’un courant tshisekediste au sein du Rassemblement pour perpétuer la vision, les valeurs que le Président Tshisekedi a toujours incarné, en vue de faire un contrepoids à la tendance hégémoniste des Katumbistes », fait savoir Jean-Pierre Lisanga dans un communiqué publié le 13 avril à Kinshasa.

Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour le voir destitué de ce mouvement où il était coordonnateur. « La Coalition des Alliés de feu Étienne Tshisekedi dénonce avec poigne les déclarations perfides de Monsieur Lisanga Bonganga faisant croire qu’il existerait au sein du Rassemblement deux courants« , dit un communiqué lu par la député Henriette Wamu devant la presse à Kinshasa.

« Moïse Katumbi veut mettre le Rassemblement au service de ses propres ambitions« , rétorque Jean-Pierre Lisanga dans une interview accordée samedi à POLITICO.CD. Se considérant toujours comme coordonnateur la CAT, M. Lisanga se dit victime d’une tentative des proches de Moïse Katumbi de vouloir museler tous les opposants qui « osent » lui dire nom.

« Ce qui se passe au sein du Rassemblement aujourd’hui doit interpeller tout le monde. Nous ne pouvons pas laisser ce Monsieur [Moïse Katumbi] fouler au pied le combat de notre leader Étienne Tshisekedi à ces propres fins. Il utilise son argent pour faire partir tout le monde qui s’oppose à lui au sein du Rassemblement, c’est inacceptable« , ajoute M. Lisanga.

Entre temps, Freddy Kita, Secrétaire général de la Démocratie Chrétienne qui osait se présenter aux consultations lancée lundi dernier par le Premier ministre Bruno Tshibala, a lui aussi été exclu de son parti et du Rassemblement pour « vagabondage politique« . Ce dernier affirme néanmoins avoir eu l’autorisation d’Eugene Diomi, le président de son parti et traditionnel allié à Étienne Tshisekedi, emprisonné depuis quatre ans.

Dans une conférence de presse tenue samedi à Kinshasa, M. Kita, qui est aussi signataire de acte de Genval, appelle à l’union au sein du Rassemblement, tout en affirmant que Bruno Tshibala « n’est pas le diable dans ce pays. » « Ce n’est pas un démon. C’est un camarade de lutte. Nous avons milité ensemble. Et c’est l’un des sages du Rassemblement comme moi« , a-t-il dit.

Un de ses proches de l’ancien gouverneur à néanmoins réfuté ces accusations. « Tout le monde peut voir que tous ceux que vous avez interrogé sont avec Kabila. Les gens ont besoin d’accuser Moïse Katumbi de quelque chose pour avoir une récompense auprès de Kabila« , dit ce proche de Katumbi qui a requis l’anonymat.

Le député Martin Fayulu, cadre du Rassemblement aile Félix Tshisekedi, affirme pour sa part que cette question est « un faux débat ». Pour lui, Bruno Tshibala est un « traître« , démentant une quelconque tension au sein du mouvement qu’il qualifie « des vrais opposants« .

« Nous avons pris tout le monde. C’est peut-être ça le problème. Aujourd’hui nous payons ce prix-là. Des gens corruptibles qui ont prétendu être des opposants. A la première offre, les voilà en train de courir derrière des biens matériels« , explique M. Fayulu.

Souvent accusé de vendre leurs âmes au pouvoir, les dissidents du Rassemblement proche de Félix Tshisekedi commencent néanmoins à devenir nombreux, alors que la situation de cette coalition s’empire de plus de en plus. Moïse Katumbi qui a plusieurs fois promis revenir au pays pour « continuer le combat » semble de plus en plus constituer un problème au sein de ce mouvement où beaucoup réclament « plus de démocratie ». Le tout, sans compte sur le Pouvoir qui n’hésite pas à saisir chaque occasion de divergences chez les opposants.
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