Dix-huit mois avant la présidentielle de 2023, le rabibochage surprise entre l’ancien président Kabila et Moïse Katumbi interroge. La paix des braves affichée par les deux frères ennemis à Lubumbashi augure-t-elle d’une nouvelle alliance en gestation ? Décryptage d’une poignée de main très politique qui rebat les cartes autant qu’elle les brouille. La photo a fait le tour des réseaux sociaux en quelques minutes. Sept ans après un divorce politique retentissant, la poignée de main entre l’ancien président Joseph Kabila et l’ex-gouverneur du Katanga a suscité de nombreuses réactions au Congo. La scène, à peine croyable il y a encore quelques mois, s’est déroulée ce dimanche dans la cathédrale de Lubumbashi.

 Officiellement, les retrouvailles entre Joseph Kabila et Moïse Katumbi se sont tenues dans le cadre du Forum de réconciliation des Katangais organisé par l’Eglise catholique. Mais en réalité, le message politique de cette « réconciliation » très médiatique, va bien au-delà des frontières du Grand Katanga. Dans dix-huit mois, la RDC devrait élire son président de la République, et les grandes manoeuvres ont déjà commencé dans la course à la magistrature suprême. Qu’est-ce qui a bien pu pousser les deux leaders politiques à fumer subitement le calumet de la paix ? 

Car il faut dire que depuis 2015 et le départ de Moïse Katumbi du PPRD de Joseph Kabila, les deux anciens alliés sont à couteaux tirés. A cette époque, Moïse Katumbi est persuadé que le président Kabila veut briguer un troisième mandat, pourtant interdit par la Constitution. Le riche homme d’affaires se serait bien vu en dauphin du Raïs, mais il préfère quitter le navire et présenter sa candidature à la présidentielle de 2016. Une décision qui lui vaut l’ire du président Kabila. Moïse Katumbi se voit aussitôt poursuivi par la justice pour « atteinte à la sûreté de l’État », après avoir soi-disant recruté des mercenaires américains. Puis, il a été condamné par contumace à trois ans de prison dans une affaire de « spoliation immobilière ». 

Un acharnement judiciaire qui le pousse à l’exil. Tshisekedi fait le ménage Les différents entre Kabila et Katumbi sont autant politiques que relationnels. Le patron du TP Mazembe arrive en politique dans les bagages d’Augustin Katumba Mwanke, l’éminence grise de Joseph Kabila, qui le place à la tête de la province du Katanga. A la mort de Katumba Mwanke, qui disparaît dans un accident d’avion en 2012, les rapports se dégradent rapidement entre les deux hommes… jusqu’à la cassure de 2015. Alors, pour comprendre ce retour à la case départ après sept ans de brouille, il faut se tourner vers l’actuel président congolais. Félix Tshisekedi a en effet réussi en quelques mois à se débarrasser, ou de prendre ses distances avec ces deux « alliés » Kabila et Katumbi. Fin 2020, le président rompt avec Joseph Kabila en mettant fin à la coalition avec le FCC. Plus tard, un projet de loi porté par la majorité présidentielle sort opportunément du bois. Le texte propose d’interdire l’accession à la magistrature suprême et à d’autres fonctions régaliennes à toute personne née d’un parent non congolais. Le projet vise clairement Moïse Katumbi qui serait ainsi inéligible. Trahison et débauchages Pour le politologue Alphonse Maindo, cette poignée de main est clairement un message envoyé à Félix Tshisekedi. 



« Le président les a trahi tous les deux. Joseph Kabila pensait que Félix Tshisekedi serait un allié manipulable. Il se rend compte maintenant qu’il a été berné. Moïse Katumbi a également rallié Tshisekedi au sein de l’Union sacrée, mais il se rend compte, lui aussi, qu’il n’est pas fiable ». Plusieurs ministres d’Ensemble, le mouvement de Moïse Katumbi, comme Christophe Lutundula et Muhindo Nzangi, ont annoncé qu’ils soutiendraient le président sortant en 2023. Ces « débauchages » ont clairement fragilisé Moïse Katumbi, « qui ne peut pas, pour l’instant, quitter l’Union sacrée sous peine de créer la division dans ses propres troupes » estime Alphonse Maindo. « Montrer que les Katangais peuvent reprendre le pouvoir » L’image de la réconciliation Kabila-Katumbi, même de façade, « sert à l’un et à l’autre », nous confie un observateur occidental. « Ils ont tous les deux le même objectif, de montrer une ouverture du Nord-Katanga vers le Sud et du Sud vers le Nord ». 

Le Katanga constitue un important réservoir de voix aux élections, aussi bien pour Joseph Kabila que pour Moïse Katumbi. « Une des résolutions du Forum de réconciliation affirme que les Katangais doivent jouer un rôle important tant au niveau provincial que national », analyse Alphonse Maindo. « Cela montre que les leaders Katangais peuvent s’unir et reprendre le pouvoir, notamment en agitant le spectre de la sécession de la riche province minière ». S’il est trop tôt pour dire si ce rapprochement peut déboucher sur une possible alliance politique, le politologue prévient. « Une alliance est tout à fait possible. Ce n’est pas la réconciliation de deux personnalités que nous avons vu à Lubumbashi, mais la réunion d’une bonne partie des leaders du Katanga. Des leaders qui ont montré par le passé qu’ils pouvaient faire bloc contre le gouvernement central de Kinshasa ». 

Un front anti-Tshisekedi pourrait ainsi voir le jour. Brouillage de piste politique Du côté de la population congolaise, cette réconciliation est surtout perçue comme un jeu de dupe, à l’image d’une classe politique sans idéologie, qui se compose, se décompose et se recompose en fonction du sens du vent. Dans la majorité présidentielle, on retrouve des ex-kabilistes devenus tshisekedistes d’un coup de baguette magique ou de liasses de billets verts. À la fin du mandat de Joseph Kabila, les deux derniers premiers ministres étaient issus de l’UDPS. L’opposant Martin Fayulu s’est allié avec Adolphe Muzito, ancien premier ministre de Joseph Kabila. Le conseiller de Moïse Katumbi, Olivier Kamitatu, est passé par le MLC de Jean-Bemba avant de devenir ministre sous Kabila et de rejoindre ensuite l’ancien gouverneur du Katanga après sa démission du PPRD. 

Le nomadisme politique est devenu l’unique stratégie des dirigeants congolais. La poignée de main Kabila Katumbi s’inscrit également dans ce brouillage de piste permanent qu’entretient le personnel politique… au détriment de l’intérêt général des Congolais. Un sondage du Berci et du Groupe d’Etude sur le Congo (GEC) a récemment montré une très forte baisse de la popularité des hommes politiques, toutes tendances confondues. L’étude met en garde contre un possible fort taux d’abstention aux prochaines élections. Cette rupture de confiance entre la population et la classe politique n’est pas nouvelle, mais elle semble se creuser depuis l’arrivée à la présidence de Félix Tshisekedi, venu de l’opposition, et qui emploie les même méthodes pour contrôler la machine d’Etat que son prédécesseur Joseph Kabila. 

 Christophe RIGAUD – Afrikarabia
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