Un vent de folie meurtrière souffle depuis plus de deux ans sur Beni, à la frontière avec l’Ouganda. Le cap du millier de victimes a été franchi. A Beni, on sait compter depuis des millénaires. C’est dans les forêts de la région qu’ont été exhumés les fameux Os d’Ishango, l’une des plus vieilles traces au monde de la pratique des mathématiques par les hommes. Alors, près de vingt mille ans plus tard, Beni compte mieux ses morts que toute autre région de la République démocratique du Congo (RDC) : des innocents qui meurent sans raison dans leur case ou dans leurs champs, le plus souvent égorgés, décapités, et parfois assassinés d’une balle tirée à bout portant. « 1 039 ou 1 040 tués depuis octobre 2014 en fonction des sources, calcule Oumar Kalisya, jeune responsable de la société civile d’une des bourgades désolées du territoire de Beni. Il y a en moyenne 40 tués par mois et plus de 119 maisons incendiées, avec parfois les occupants dedans. »

En cette matinée de janvier, Oumar va devoir ajouter une ligne supplémentaire sur les pages froissées de son cahier. Au bout d’un chemin de terre ombragé par une rangée de palmiers, des cris et des pleurs de femmes couvrent le chant des oiseaux. Elles sont assises dans la pièce sombre d’une masure aux murs de boue et de bambou, autour du corps de Mbusa Vitswamba, 45 ans. Sa jeune épouse hurle, le touche, le regarde de ses yeux d’amour et d’effroi, implore Dieu. Puis elle s’effondre aux côtés de celui qui fut le père de ses cinq enfants et qui gît, la gorge tranchée. Un paysan sans histoire parti la veille cultiver sa parcelle de café est la 1 040e ou la 1 041e victime de Beni.
« Cultiver la terre la peur au ventre »

Un vent meurtrier souffle depuis plus de deux ans sur cette contrée entourée de forêts denses, de collines et de terres fertiles tant convoitées. Des enlèvements d’abord, dès 2010. Puis des massacres à travers champs. « Ceux qui continuent de cultiver le font la peur au ventre, se lamente Nestor Banianire, président de l’Union des agriculteurs. De nombreuses parcelles sont à l’abandon, la terre est la seule richesse. Ce n’est pas pour rien qu’on est en première ligne. »

En attendant, ces mises en jachère forcées provoquent une envolée des cours du manioc, du maïs, de la farine sur les marchés et une pénurie de devises habituellement générées par l’exportation du café et du cacao. Il y a des exceptions. Comme Aminata, quadragénaire robuste et joviale, qui a échappé à plusieurs massacres et continue de bêcher la terre, où elle retrouve parfois des morceaux de chair. « Si je meurs, ce sera en travaillant pour nourrir mes enfants », lâche-t-elle simplement.

Du haut du champ d’Aminata, on distingue en contrebas la vaste forêt de Mayongose d’où proviennent le plus souvent ceux qu’on appelle ici « les assaillants », « les terroristes », « les ADF ». Le sigle des Allied Democratic Forces (Forces démocratiques alliées), un groupe armé ougandais d’obédience islamiste, se décline en « vrais », « faux » et « présumés ADF ». Les membres de ce mouvement en perdition errent depuis 1995 dans cette région vallonnée du Congo, frontalière de l’Ouganda. Ils ont cessé de croire qu’ils pourraient un jour renverser le régime de Yoweri Museveni et islamiser leur pays.

Maire d’un cimetière

A plus de 1 600 km à l’ouest, à Kinshasa, la capitale congolaise, les barons de la majorité présidentielle et de l’opposition continuent de négocier le partage du pouvoir. Le mandat du président Joseph Kabila, 45 ans, s’est terminé le 19 décembre 2016 mais il s’accroche. Son meilleur ennemi, le vieil opposant Etienne Tshisekedi, s’est éteint le 1er février, à Bruxelles, à l’âge de 84 ans.

Vue de Beni et de sa tragédie en cours, le théâtre politique kinois n’en est que plus cynique. Qu’attendre d’un pouvoir qui n’a jamais daigné offrir à la ville ne serait-ce qu’un seul kilowattheure d’électricité depuis l’indépendance de l’ex-Congo belge en 1960 ? Quant aux infrastructures, elles sont inexistantes. « Débrouillez-vous », dit l’article 15 de la Constitution, comme le veut une blague congolaise. Beni n’attend plus rien de Kinshasa. Mais elle n’en peut plus de ces politiciens soupçonnés, y compris par l’ONU et par le maire de Beni, Bwanakawa Nyonyi, de tirer les ficelles des massacres en cours.
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