Il y a 20 ans, les 16 et 17 mai 1997, Kinshasa tombait aux mains des troupes de la coalition congolo-ougando-rwandaise à la tête de laquelle s’était hissé Laurent Kabila et, le 18, Mobutu fuyait en avion sa place-forte de Gbadolite (Equateur) pour le Togo et le Maroc. Aujourd’hui, de nombreux points de l’attitide de Joseph Kabila rappellent la politique du vieux « Léopard ». Mais jusqu’à quel point les deux Présidents se ressemblent-ils? Pour le savoir, La Libre Belgique a interrogé le politologue Jean Omasombo, chercheur au Musée royal d’Afrique centrale de Tervuren et professeur à l’Université de Kinshasa.
Cette ressemblance entre la politique de Mobutu et celle de Joseph Kabila, est-ce une impression ou la réalité?
Joseph Kabila reproduit la politique de Mobutu, c’est une évidence. Mais le Mobutu des dernières années, le Mobutu de la pagaille – car il y a aussi d’énormes différences entre les deux hommes. Laurent Kabila s’était présenté au pouvoir pour corriger ce que Mobutu avait fait – piller, détruire, être manipulé par les Occidentaux. Nationaliste proclamé, il prétendait reprendre l’Histoire au 5 septembre 1960, interrompue à l’éviction de Lumumba. Vingt ans plus tard, Joseph Kabila, le fils de Laurent, reproduit le modèle de Mobutu, celui des années de transition, du désordre. Avec le maréchal, le pouvoir était aux militaires; avec Kabila, il est aux affairistes. Sur le fond, le pillage n’a pas cessé.
Pourriez-vous nous donner des exemples des ressemblances entre les deux chefs d’Etat?
La promesse que répète Kabila de respecter la Constitution rappelle celle de Mobutu qu’il ne s’accrocherait pas au pouvoir. Il y demeura 32 ans ! Kabila y est depuis 16 ans. Comme Kabila aujourd’hui, Mobutu, en avril 1990, est sorti de la légitimité; ils demeurent chef dans un « entre-pouvoir ». Le cadre de l’Accord de la Saint-Sylvestre qui espérait contrôler la période après la fin du mandat de Kabila tend à ressembler à la Conférence nationale souveraine qui ouvrit la voie à la longue transition incontrôlée. Kabila n’étant pas tenu responsable de la non tenue des élections avant la fin de son mandat, son camp formule des exigences comme si le Président continuait à jouir d’un pouvoir légitime. Comme Mobutu qui, ayant autorisé le multipartisme, tenait à contrôler les événements, Kabila veut décider du moment où il lâchera les élections pour sa succession. Ainsi le voit-on jouer simultanément sur le temps long et par moment sur le temps court, pratiquant la stratégie du silence, utilisant tous les moyens possibles, qu’ils soient politiques ou abusivement répressifs, pour demeurer au pouvoir, profitant avec succès des failles et des difficultés de ses adversaires. Pas question de faire des concessions qui lui seraient fatales, quitte, pourquoi pas, à « vendre chèrement sa peau », comme le répétait Mobutu.
Par ailleurs, tous deux ont recours au même type de conseillers: Thambwe Mwamba, hier mobutiste, dirige aujourd’hui le ministère de la Justice; Omer Egwake, qui avait créé l’Alliance des Bangala pour soutenir Mobutu contre l’UDPS et ses Balubas, sert aujourd’hui Kabila. Ce dernier nomme deux premiers ministres balubas (Samy Badibanga puis Bruno Tshibala) en l’espace de cinq mois, alors que les provinces du Kasaï sont, de manière générale, anti Kabila. Comme il y avait « les Balubas de Mobutu » (Crispin Mulumba Lukoji, Honoré Mpinga Kasenda, Tshibombo Mukuna), aujourd’hui il y a ceux de Kabila. Ils usent de la même terminologie populiste (« souveraineté », « nation », « ingérence » …) et de mêmes tactiques (distribution des postes dans des gouvernements pléthoriques). Alors que chacun est associé à sa province d’origine, aucun des deux n’a contribué à son développement
Vous dites qu’il y a aussi d’énormes différences entre ces deux Présidents.
Certainement. C’est Mobutu qui avait fait de l’Equateur une province « politique ». Malgré la déliquescence de son régime, il a largement gardé la fidélité de sa province et de son ethnie, les Ngbandis. En revanche, les Kabila ont trouvé au Katanga des soutiens à leur survie politique. A présent que son autorité est contestée, Kabila fils n’ a plus l’appui de sa province ni même de son ethnie Lubakat.
En affichant son ambition présidentielle, Katumbi a ouvert une sorte de combat fratricide qui pose le problème du rôle des Katangais dans le développement du Congo. L’idée d’un Katanga ayant un statut particulier n’est jamais morte depuis l’indépendance du Congo, mais elle diminue brusquement chaque fois que les élites katangaises occupent des positions importantes ou dominantes à Kinshasa. Cela a commencé quand Moïse Tshombe était devenu Premier ministre 1964. On se rappelle aussi le comportement du couple Jean Nguz et Gabriel Kyungu, qui fondèrent le parti UFERI durant la transition de Mobutu. En 1997, les partisans du Katanga yetu (notre Katanga) pensaient que la défaite du régime Mobutu et la victoire de Laurent Kabila entraîneraient une domination du Katanga dans tout le Congo. C’est comme s’il existait un mouvement de balancier : un pouvoir important pour les Katangais à Kinshasa tend à réduire l’envie d’autonomie de la province; tandis qu’une perte d’influence à Kinshasa produit une recrudescence de sentiments séparatistes. Le phénomène récent des Bakata-Katanga illustre ce dilettantisme: les Mai-Mai, qui ont soutenu l’AFDL de Laurent Kabila, puis le mouvement armé contre la rébellion RCD qui s’était soulevée contre ce dernier, se sont rebaptisés Kata-Katanga (sécessionnistes), rompant la parenté ethnique avec Kabila.
Il y a aussi une différence dans la manière de communiquer des deux chefs d’Etat.
Mobutu est un communicateur omniprésent sur la scène politique, qui rendait publics les changements qu’il imposait aux structures de l’Etat. Kabila pratique le mutisme quant à ses projets; il s’affiche peu en public et dilue ainsi l’exercice de sa souveraineté, qu’il cherche à sauvegarder dans des « concertations », réunions de travail et autres « dialogues » – fallacieuses ouvertures camouflant ses intentions profondes.
Comme Mobutu, cependant, il ne sent plus le peuple congolais et devient de plus en plus, pour celui-ci, un sorcier qui hante le pays. Voit-il la misère des Congolais? Mobutu ne l’a vue que le 18 mai 1997, le jour de sa fuite de Gbadolite, lorsque sa garde exigera une rançon pour le laisser partir et que son épouse se fera voler le sac à main qui contenait les passeports du couple présidentiel. Comme Mobutu, Kabila semble atteint d’une sorte de paranoïa politique dans laquelle l’ambition de garder le pouvoir devient une obsession.
Au total, le passage du pouvoir de Mobutu aux Kabila père et fils n’aura pas constitué une avancée. Cela ressemble à une prolongation du passé. Les Congolais ont le sentiment d’un immense gâchis. La violence et l’argent terrorisent et corrompent deux générations de Congolais. Comme Mobutu finissant, Joseph Kabila ne s’élève pas toujours au-dessus des enjeux politiques, alors qu’il en est encore temps. Je crois qu’il ne quittera pas le pouvoir dans la dignité; il ne donnera pas l’image d’un homme gagné par la sagesse et préparant une succession en douceur. Avec un pouvoir qui alimente la crise pour justifier son maintien, Kabila apparaît comme un pompier pyromane. Ce que je ne comprends pas, c’est que pendant plus de 15 ans, les forces de l’Onu étaient présentes au Congo et ont laissé s’enraciner la crise – la même qu’on avait vue à l’oeuvre sous Mobutu. Il y a de quoi se poser des questions.
On dit de Kabila, comme on le disait de Mobutu, qu’il ne veut pas vraiment ce qui se passe, qu’il est l’otage de son entourage. Quel crédit accorder à cette idée?
Ils se nourrissent l’un l’autre. Mobutu était comme le grand fleuve Congo, qui a sa propre source mais reçoit l’eau de ses affluents; Kabila veut garder le pouvoir et trouve des gens qui l’y aident. Il prend en otage, comme il est pris en otage. C’est une association. Mais il en est l’acteur dominant parce que c’est lui qui recycle régulièrement ses otages. Pensez que Lambert Mende est la seule personne qui ait conservé un poste ministériel depuis 2007. Les autres vont et viennent pour faire place à tout le monde à la table du chef. Quelques faucons ont une certaine longévité. Régulièrement arrivent des nouveaux, parce qu’on s’adapte à la conjoncture. Ainsi, les Katangais cèdent la place aux Kasaïens au gouvernement…
Dans le camp kabiliste, on entendu dire que le Président devra le rester aussi longtemps que Mobutu. Qu’en pensez-vous?
Kabila est arrivé au pouvoir presqu’au même âge que Mobutu. Mais je ne crois pas qu’il durera 16 ans de plus. Aujourd’hui, il se trouve dans la phase finissante de Mobutu. Il pare les coups, comme un boxeur fatigué, sans réel horizon si ce n’est rester. Comme un animal dont la patte est prise au piège, il est coincé par la Constitution: pas mort, mais dans l’impossibilité de s’échapper. Qui peut dire quand viendront les chasseurs pour achever l’animal? Combien de temps résistera-t-il aux intempéries et à la faim?
afrique.lalibre.be
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