La question traitée dans cet article est simple : en République démocratique du Congo, fait-on de la modernité sans développement ?

La « révolution de la modernité » constitue les leitmotivs des actions engagées par le gouvernement de la RDC. Ce pays n’est plus le même qu’il y a une décennie. Pour cela, il suffit d’orienter son regard sur les grands centres urbains pour s’en convaincre. Les travaux publics sont effectués (routes, ponts, etc.), le boom immobilier, la restauration et l’hôtellerie de luxe qui emplissent les centres urbains, l’utilisation des nouveaux produits. Cependant, l’économie congolaise conserve les principales caractéristiques d’une économie sous-développée : une forte majorité de la population vit sous le seuil de la pauvreté, grandes disparités de la production entre zones rurales et urbaines, chômage élevé, etc.

Développement et Modernisation

Le développement économique pouvant être assimilé au progrès technique se définit comme l’introduction de nouveaux procédés de production destinés à augmenter le rendement de ressources rares et/ou l’introduction de nouveaux produits pouvant être ajoutés dans le panier des biens de consommation (FURTADO,1978). Ce développement économique implique également la diffusion de l’emploi de produits déjà connus ou l’introduction de nouveaux produits dans le panier du consommateur. L’accès à ces nouveaux produits nécessite un revenu élevé de la part du consommateur. La modernisation, c’est le processus qui conduit à adopter des modèles de consommation correspondant à des revenus élevés sans qu’il y ait un développement économique.

Quid de la RDC ?

En RDC, la modernisation apparait sans développement économique, le processus d’industrialisation présente des traits particuliers. A cet effet, le marché de produits manufacturés est formé de deux groupes de consommateurs complétement différents : le premier, les consommateurs à faible revenu – là où se retrouve le gros de la population- et le second, consommateurs à revenu élevé, soit la minorité riche. Nous nous retrouvons face à un système dual, où il y a d’une part une industrie qui produit les biens du panier des pauvres, et d’autre part une industrie qui produit des biens pour le panier des riches.

En effet, le premier groupe de consommateurs n’a accès qu’à un panier des biens très peu diversifiés, surtout que le taux de salaires est très faible. Ce qui traduit une demande inadéquate pour obtenir la pleine utilisation des capacités productives de l’économie.

Tendance d’inégalité de revenus dans le secteur public

Par ailleurs, dans le second groupe de consommateurs, la minorité modernisée a accès à un panier de biens diversifiés. Mais la production de ce panier de biens nécessite un processus de production complexe. Ainsi, faute de progrès technique, les industries – essentiellement des entreprises multinationales - produisant les biens de la minorité riche, tendent à importer un flux d’innovations venant des pays riches. En fait, on assiste à une modification de la structure des importations.

Un tel système industriel orienté vers la satisfaction d’une minorité de la population tend à aggraver les inégalités sociales. Il s’observe une concentration des revenus dans la classe des riches, alors propriétaires du capital et ce, au grand désarroi de la classe des pauvres. On observe également cette tendance d’inégalité de revenus dans le secteur public. Ainsi, une étude datant de 2008 donnait une rémunération de 13 023 dollars par an, soit 1 085 dollar par mois pour une personne employée à l’Assemblée nationale. Alors que les personnels enseignants, de santé et agricole gagnent en moyenne 806 dollars par an soit 71 dollars par mois. Ce qui revient à 11 fois plus que la moyenne générale. Invraisemblable (!)

Pays qui ne dispose pas d’une véritable politique de protection sociale

La classe des riches, détenteurs des capitaux (pour la plupart des expatriés) rapatrient le profit-rémunération du facteur capital- généré par le processus de production dans leurs pays d’origine ; ce qui bloque toute amorce d’une accumulation du capital, condition nécessaire à tout développement économique en vue de faire face aux grands maux de la société congolaise.

Et parmi les fléaux majeurs qui gangrènent cette société congolaise, nous pouvons citer : la pauvreté, le chômage des jeunes, l’accès difficile aux services sociaux de base, la corruption, etc. En ce qui concerne la pauvreté, elle touche 70% de la population congolaise dans un pays qui ne dispose pas d’une véritable politique de protection sociale. L’enquête 1-2-3 (2007) renseigne que le nombre moyen de personnes dans un ménage congolais est de 5 personnes. Pour le chef de famille fonctionnaire touchant 71 dollar us par mois, divisé par l’effectif moyen qui compose la famille, soit 5 personnes par ménage, on a environ 15 dollars par personne par mois. Donc un Congolais issu d’une famille dont le père est fonctionnaire dans les secteurs précités vit avec 0,5 dollar par jour, soit deux fois monétairement pauvre conformément au seuil de 1,25 dollar/jour.

Le gouvernement ayant privilégié la stabilité monétaire

En outre, le chômage constitue l’un de fléau majeur de la société congolaise. Il touche plus 70% de la population active. La situation socio-économique du pays durant ces dernières décennies a eu des répercussions néfastes sur le secteur de l’emploi dont les quelques traits caractéristiques sont : (I) un développement anarchique du secteur informel (II) un faible revenu des travailleurs entraînant des grèves à répétition, sous-production (III) une absence d’une politique incitative pour l’encadrement adéquat de la promotion de l’emploi dans les entreprises et le secteur productif. Le gouvernement ayant privilégié la stabilité monétaire et la discipline financière, l’emploi – actuellement variable clé sur laquelle on juge de la performance d’un gouvernement – est mécaniquement passé au second plan des préoccupations, les autorités misant davantage sur la relance des activités qu’autoriserait le nouveau climat de confiance pour l’investissement, plutôt que sur des trains de mesures claires et fortes pour rendre la croissance inclusive, robuste et durable.

En conclusion, la RDC s’est glissée dans un processus de modernisation sans développement économique. L’industrialisation de l’économie congolaise démarre dans un contexte où les industries locales produisent majoritairement pour le premier panier des biens ? c’est-à-dire pour la classe des pauvres. Alors qu’il faille importer les biens du deuxième panier ; de la minorité riche ou modernisée. Parallèlement, à l’omniprésence des problèmes socio-économiques majeurs. Ce serait mieux de repenser ce système en définissant une politique de revenu efficace, ce qui permettrait de créer un profil de la demande adaptée aux industries locales et ainsi soutenir la croissance. De là permettre leur intégration dans le système industriel dominant d’où jaillissent les nouvelles techniques, mais aussi de sortir des millions de Congolais de la pauvreté.

Darly Kambamba et Mels Mbuyi
Economistes à l’université de Kinshasa.
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