Situation toujours très tendue dans la capitale congolaise : depuis deux jours, les violences ont fait au moins 42 morts selon la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), et elles se poursuivent ce mercredi. Des opposants au président Joseph Kabila manifestent et l'accusent de vouloir faire passer une nouvelle loi électorale qui lui permettrait de se maintenir au pouvoir. L'Union européenne a appelé mercredi au "retour au calme" et au "respect des échéances électorales".
Au moins 42 personnes ont été tuées depuis lundi en République démocratique du Congo (RDC) lors de manifestations contre un projet de révision de la loi électorale susceptible d'entraîner le report de l'élection
présidentielle de 2016, affirme mercredi la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme.Le gouvernement de Kinshasa, pour sa part, fait état d'un bilan de 15 morts, pour la plupart des pillards abattus par des vigiles privés.
D'après Paul Nsapu, secrétaire général de la FIDH pour l'Afrique, la majorité des victimes ont été tuées alors qu'elles participaient aux manifestations politiques.
Les heurts se sont poursuivis mercredi pour le troisième jour consécutif, la police tirant des grenades lacrymogènes afin de disperser les manifestants rassemblés sur le campus de l'université de Kinshasa et dans trois autres secteurs de la capitale.
"Ce matin encore nous sommes en pleine opération parce qu'il y a un mouvement (d'étudiants) près de l'Unikin" (université de Kinshasa) a déclaré le porte-parole de la police Israël Mutumbo. "Nous sommes en train de sillonner la ville car il y a des petits groupes qui se forment". Une journaliste de l'AFP a entendu deux coups de feu dans le campus universitaire, alors qu'un petit groupe de policiers faisaient face à quelques dizaines d'étudiants qui scandaient "Kabila dégage".
Dans le quartier de Ndjili, un poste mobile de police a été détruit par un groupe de jeunes qui scandaient des slogans hostiles au chef de la police de Kinshasa, le général Celestin Kanyama.
Tout la matinée, des affrontements sporadiques se sont poursuivis dans les environs de l'université, où les étudiants jouaient au chat et à la souris avec la police. Là aussi, les policiers tentaient de disperser les groupes de manifestants à coups de grenades lacrymogène, a constaté une journaliste de l'AFP.
Internet coupé
Internet était toujours coupé ce mercredi, les services 3G et les SMS indisponibles, et on ne captait plus la radio RFI, ont constaté des journalistes de l'AFP. La plupart des écoles de Kinshasa étaient fermées, selon des journalistes de l'AFP et des habitants.
Alors que des émeutiers incendiaient mardi après-midi une mairie à Kinshasa, l'opposant historique de Kabila, Etienne Tshisekedi, a lancé depuis Bruxelles un appel à chasser le "régime finissant" de l'homme fort de Kinshasa
Interrogé mardi soir par l'AFP, le porte-parole de la police Israël Mutumbo a estimé que les violences "sont juste des pillages, il n'est plus question de manifestations contre la loi électorale".
Kinshasa, où la quasi-totalité de la population se débat dans une grande pauvreté, a été mardi le théâtre de nombreuses scènes de pillages, observées par des journalistes de l'AFP ou rapportées par des témoins, dans plusieurs quartiers du sud et de l'ouest de la capitale.
Dans l'après-midi, une centaine de jeunes émeutiers ont pris d'assaut puis mis le feu à la mairie de la commune de Ngaba, un quartier sud de Kinshasa, et sont restés plus d'une demi-heure à regarder l'incendie ravager ce bâtiment symbole de l'Etat. Les forces de l'ordre étaient absentes, et les rues alentour désertes.
"Nous sommes fatigués de Kabila. Il faut qu'il parte", a déclaré à l'AFP un protestataire.
Les émeutes ont été déclenchées par un projet de loi électorale, qui a été examiné mardi par le Sénat. Le texte lie la tenue des prochaines élections législatives et présidentielle à la réalisation d'un recensement général devant commencer cette année.
L'opposition dénonce un "coup d'Etat constitutionnel" du président Kabila, au pouvoir depuis 2001, pour se maintenir à son poste au-delà de 2016, alors que la Constitution lui interdit de se représenter.
Le gouvernement argue que le nouveau décompte des habitants assurera aux élections un caractère pleinement représentatif, mais l'opposition s'inquiète du temps que cela prendra. Le dernier recensement général remonte à 1984.
Le gouvernement a reconnu que le projet de loi risquait d'entraîner un report de la présidentielle censée avoir lieu fin 2016.
Dans ce qui pourrait être un signe d'apaisement envers l'opposition, le ministre de l'Intérieur Evariste Boshab a affirmé mardi au Sénat que le projet de loi controversé n'était qu'une "ébauche".
"Il n'y a pas du tout de 'conditionalité'" entre la tenue des élections présidentielle et législatives et la réalisation du recensement, a-t-il assuré.
'Régime finissant'
Joseph Kabila est arrivé à la tête de l'État par succession héréditaire à la mort de son père, Laurent-Désiré Kabila, chef rebelle ayant pris le pouvoir par les armes. Il a été élu président en 2006 lors des premières élections libres du pays depuis son indépendance de la Belgique en 1960.
De Bruxelles, où il se trouve en convalescence depuis le mois d'août, l'opposant congolais Etienne Tshisekedi a lancé un "appel solennel" au peuple pour contraindre le "régime finissant" du président Kabila à "quitter le pouvoir".
"Le régime d'imposture, en place à Kinshasa, ne cesse de multiplier les actes irresponsables de provocation, plongeant ainsi la nation dans une impasse totale qui risque d'installer un climat de chaos généralisé", avertit M. Tshisekedi, qui assure n'avoir "jamais cessé" de demander au peuple de se "mobiliser pour réclamer pacifiquement ce qui lui revient".
L'UE appelle au "retour au calme"
"Toutes les forces politiques doivent rechercher un consensus qui permette un apaisement et un retour au calme", a indiqué dans un communiqué un porte-parole du service diplomatique de l'UE.
"Le respect des échéances électorales telles que fixées par la Constitution est au centre du débat" et "l'UE attend la publication d'un calendrier complet incluant les élections législatives et présidentielle qui s'inscrivent dans ce cadre constitutionnel", a-t-il ajouté.
"Les tensions politiques liées à l'examen du projet de révision de la loi électorale en République démocratique du Congo, ainsi que les violentes manifestations à Kinshasa et d'autres villes du pays ayant fait de nombreuses victimes, constituent un risque pour la stabilisation du pays", souligne l'UE.
RTBF avec AFP et Reuters