Plusieurs fois annoncé et ajourné, le rendez-vous entre la presse nationale et le Chef de l’Etat a finalement eu lieu hier jeudi 18 juin 2015 au Palais de la Nation. Joseph Kabila, avec en retrait le ministre de la Communication et Médias, Lambert Mende, son directeur de cabinet, Néhémie Mwilanya, l’ambassadeur Nkulu et l’Administrateur Général de l’ANR, Kalev, a fait face au patronat de la presse nationale à huis clos.

Dans son mot d’introduction, Boucar Kasonga, président de l’UNPC (Union Nationale de la Presse du Congo), a commencé par souligner la présence, dans la délégation de la presse, des médias du pouvoir, de l’opposition et neutres. Il a ensuite résumé les principaux points figurant dans le mémorandum élaboré à l’intention du Président de la République, à savoir le soutien du projet de Dialogue destiné à réunir les filles et fils de ce pays autour d’une même table en vue de réfléchir sur les pistes de solution aux questions brûlantes de l’heure (retour de la paix durable, compromis autour du calendrier électoral), un appui financier spécial des pouvoirs publics aux médias en période électorale, afin de les mettre à l’abri des manipulations, la réouverture des médias fermés, la libération des journalistes emprisonnés. S’agissant de ceux-ci, il a fait part au Chef de l’Etat de l’existence, au sein de la
corporation, de structures chargées de traiter des dérapages des professionnels des médias et de les sanctionner. C’est dans le même ordre d’idée que Boucar Kasonga a sollicité du Chef de l’Etat la mise en œuvre d’un moratoire fondé sur l’interdiction de faire arrêter ou emprisonner les journalistes durant tout le processus électoral.
« Dire la vérité, rien que la vérité aux Congolais… »

Répondant au mot du président de l’UNPC, le Chef de l’Etat s’est dit surpris d’apprendre qu’il existait au pays des médias du pouvoir, de l’opposition et neutres. Il s’est d’emblée déclaré partisan d’une presse nationale sans coloration politique. Il a rappelé, à cet effet, son message à la presse nationale en 2012, au moment où la guerre de l’Est, provoquée par le M23, faisait rage. A l’époque, a indiqué Joseph Kabila, il l’avait exhortée à faire preuve de responsabilité et d’objectivité dans la relation des faits, à éviter de verser dans l’exploitation des rumeurs.
Dans le contexte actuel des consultations, son souci est de voir la presse nationale « dire la vérité, rien que la vérité aux Congolais », aider la nation congolaise à retrouver la voie de la paix, de la cohésion nationale, de la prospérité.

Consultations : ni un rêve… ni une vision

Pourquoi les consultations ? A cette question qu’il s’est posé à lui-même, il a répondu qu’il ne s’agit ni d’ « un rêve, ni d’une vision », qui l’aurait traversé un matin, au moment où il n’avait rien à faire. Le Chef de l’Etat a indiqué que l’idée de consulter la Société civile et la classe politique (Majorité et Opposition) remonte à 2012, pour réfléchir autour de la gestion de la guerre de l’Est, surtout après la chute de la ville de Goma entre les mains des rebelles du M23.
D’où l’idée de mettre les filles et fils du pays autour d’une table, afin d’analyser les causes profondes de cette guerre et de dégager des pistes de solution. On devait notamment chercher à savoir le pourquoi de cette guerre, qui était derrière et ce que l’on devait faire pour résoudre le problème. Joseph Kabila s’est dit surpris de voir, après la convocation des concertations nationales, certains députés nationaux partir de Kinshasa pour le front de l’Est (Bunagana), dans l’intention bien arrêtée de pactiser avec l’ennemi, puis poursuivre leur route jusque dans des pays voisins pourtant étiquetés comme commanditaires. Aujourd’hui, ces ennemis de la paix errent entre l’Europe et l’Afrique, a-t-il signalé. «Comment des responsables politiques peuvent-ils abandonner leurs électeurs, leur peuple en danger ?» s’est-il interrogé, avant de noter que bon gré malgré, les Concertations nationales étaient
finalement convoquées, avec pour finalité de construire une paix durable, de recréer la cohésion nationale, de réconcilier les Congolais.
Il a confié qu’il était déçu de voir une partie de l’opposition, notamment celle dite radicale, rejeter les concertations et exiger la tenue d’un dialogue inclusif. Cette rhétorique, a-t-il déploré, a continué à être soutenue en 2012, 2013 et 2014, de même qu’après la mise en place du gouvernement de cohésion nationale (Matata II), début janvier 2015, qui s’inscrivait dans la droite ligne des résolutions des Concertations nationales.
Le Chef de l’Etat a confié que dans son esprit, il ne voyait pas l’utilité d’un nouveau Dialogue, mais compte tenu de l’insistance et des pressions d’une partie de l’Opposition (UDPS, UNC) et même de l’Eglise catholique et d’une partie de la Communauté internationale, il a jugé bon de ne plus faire la sourde oreille, au risque de voir l’opinion l’accuser de ne pas vouloir écouter les gens.

Ne pas confondre consultations et Dialogue…

Au bout du compte, a-t-il dit, il a accepté de se mettre à l’écoute des autres. Après avoir chargé son émissaire de prendre les contacts préliminaires avec des membres de la classe politique, de la société civile et des confessions religieuses, il a décidé de lancer, il y a trois semaines, le round des consultations. Mais, l’on ne doit pas confondre « consultations » et « Dialogue » car, à l’étape actuelle, il se contente d’écouter, de recueillir les avis des uns et des autres. D’où ses rencontres avec la Société civile, la classe politique (la Majorité et une partie de l’Opposition), les institutions publiques. Bientôt, ce serait des organisations de la jeunesse. En principe, il devrait boucler la boucle ce week-end ou au début de la semaine prochaine.
Sa déception du moment est que ceux qui réclamaient à cor et cri le « Dialogue » inclusif » ont fait volte-face. Joseph Kabila a indiqué ne pas être trop surpris par ce qui arrive car c’est propre à la classe politique congolaise, capable de dire « oui » le matin, et « non » le soir face à un même problème.

Nostalgie du Zaïre…

Face à la culture politique actuelle, le chef de l’Etat a stigmatisé l’incapacité de nombreux acteurs politiques à faire la mutation de l’ex-Zaïre vers la RDC. Beaucoup se croient encore à l’époque du Zaïre, a-t-il regretté. « Le Congo et les Congolais méritent mieux », a-t-il soupiré, avant de marteler qu’il va poursuivre les consultations jusqu’au bout.

Quatre points essentiels

Livrant sa pensée sur le futur Dialogue, dans l’hypothèse où il se tiendrait effectivement, le Président de la République a souligné qu’il aimerait voir quatre points essentiels figurer à l’ordre du jour : 1) Elections ; 2) Sécurisation des élections ; 3) Financement des élections ; 4) Nouveaux majeurs.
S’agissant des élections, Joseph Kabila a noté que le calendrier global était une exigence de l’Opposition, à laquelle la Ceni avait fini par se plier. Mais, une fois publié, le document a rencontré l’approbation des uns et le rejet des autres. Maintenant, l’Opposition radicale exige un calendrier consensuel. Mais comment y parvenir sans dialogue ? « Attend-on que Kabila écrive à la Ceni pour cela » ? s’est-il demandé, avant de relever que c’est à l’ensemble de la classe politique de lever une option au sujet de ce calendrier électoral car il ne s’agit ni d’une initiative du gouvernement, ni du président de la République, mais plutôt de la CENI.
Parlant des élections, il a relevé qu’en Afrique en général et dans la région en particulier, elles ont toujours été problématiques. Il a rappelé qu’en 2006, les élections s’étaient terminées dans la violence, avec l’incendie de la Cour Suprême de Justice, la prise en otage des magistrats et la mort des policiers. Après la publication des résultats, une « petite guerre » avait même eu lieu à Kinshasa car l’un des candidats à la présidentielle, l’ancien vice-président de la République Jean-Pierre Bemba, les avait contestés.
Il a révélé avoir dit à Bemba que si ce dernier gagnait, il viendrait chez lui le féliciter et si c’était le contraire, il le ferait tout de même… et il l’avait fait, dans l’espoir de le rassurer. Malgré cela, il y a quand même eu la «petite guerre» de Kinshasa.
En 2011, a-t-il également rappelé, l’on avait connu des violences avant, pendant et après les élections. Un candidat à la présidentielle s’était même permis de prêter serment et de s’autoproclamer commandant suprême d’une armée fictive.
Par conséquent, il est impérieux de dialoguer pour éviter de retomber dans les violences préélectorales, électorales et post-électorales.
Au chapitre du financement des élections, le Chef de l’Etat a remonté encore à 2006 pour constater que la communauté internationale avait contribué à hauteur de 85 %, laissant les 15 % à la charge de la partie congolaise, qui venait de sortir de la période de transition du régime 1+4. En 2011, la communauté internationale, pas du tout disposée à accompagner le processus électoral, n’avait pas honoré ses engagements, laissant presque toute la facture à la charge du trésor public congolais.
Pour ce qui est du processus électoral en cours, la CENI a présenté un budget d’un milliard deux cent millions de dollars. Est-on capable de faire face à la facture ? « Oui », a dit le Chef de l’Etat, si l’on considère les élections comme une question de souveraineté et qu’il faut absolument mobiliser des ressources internes pour ce faire. « Non », car la CENI avait présenté sa facture après l’adoption de la loi des finances pour l’exercice 2015. Encore une fois, le Dialogue s’impose pour en débattre.
Quant aux nouveaux majeurs, mineurs en 2006 et 2011 et majeurs en 2015, ils ont le droit de voter mais se trouvent sans cartes d’électeurs. Joseph Kabila a cité les statistiques en circulation : 5 millions, 10 millions. Mais, en réalité, on ne connaît pas leur nombre exact. « Faut-il mettre une croix sur eux » ? Il a rappelé que la Ceni a déjà donné « une réponse technique ». Mais, la situation exige « une réponse politique ». D’où, il faut dialoguer pour ne pas donner l’occasion à certains de torpiller le processus électoral.

« Ingérences » de la communauté internationale

Faut-il accepter ou non les «ingérences» de la communauté internationale dans le processus électoral en cours ? C’est aux Congolais de lever l’option. «Mais au Congo, n’y a-t-il pas d’hommes et de femmes suffisamment intègres et intelligents pour jouer le rôle de facilitateurs ? s’est interrogé le Chef de l’Etat. A son niveau, il va apprêter une synthèse des données des consultations avant de lever l’option d’organiser ou non le Dialogue. Dans l’hypothèse où celui-ci serait impossible, faut-il aller tout droit aux élections, quelle que soit la situation ? Kabila a recommandé la voix de la sagesse, celle qui pourrait convaincre les filles et fils de ce pays de se mettre autour d’une table afin d’éviter l’impasse. «Y a-t-il des sages dans ce pays ? Je formule l’espoir d’en trouver », a-t-il déclaré.

Médias : ne pas attiser le feu

Revenant sur le cas de la presse, le Chef de l’Etat a mis en garde des journalistes souvent tentés d’attiser le feu, d’intoxiquer leurs compatriotes, particulièrement sur la situation sécuritaire de l’Est. « Il ne faut pas s’amuser avec cette question sensible » ? a-t-il prévenu, condamnant en particulier les médias de Beni fermés pour n’avoir pas rendu compte de la situation réelle du front. « Qui envoie les officiers et soldats au front » ? « Qui envoie les moyens » ? a questionné le Chef de l’Etat, en soulignant que certains ne saisissent pas la portée réelle des interventions du gouvernement, des sacrifices des combattants, dont plusieurs milliers ont déjà versé leur sang pour la patrie. « On n’a pas besoin d’une presse qui divise, qui attise le feu mais d’une presse responsable, nationaliste…
Car, si tout brûle, même l’église qui se trouve au milieu du village disparaîtra ».

Amour du Congo et des Congolais

Joseph Kabila a tenu à terminer par un message fort, celui que tout congolais devrait intérioriser, à savoir celui de l’amour du Congo et des Congolais. Car, en dehors du Congo, on n’a pas un autre patrimoine commun. Il a mis en garde tous ceux qui s’accrochent aux propos des diplomates en postes à Kinshasa, qui prétendent aimer le Congo mieux que les Congolais. Il a cité le cas du Soudan, hier le plus grand pays d’Afrique mais aujourd’hui éclaté en deux. Sous prétexte de sauver les Chrétiens contre les menaces des Musulmans, les occidentaux ont tout fait pour faire naître le Sud-Soudan. Cible réelle visée : le pétrole. Le chef de l’Etat a indiqué que dès qu’ils ont eu accès au pétrole, les avocats des Chrétiens d’hier se comportent comme s’il n’y avait pas une guerre civile dans ce petit Etat.
Moralité : les Congolais doivent faire très attention. La menace de balkanisation de leur pays est permanente, à cause principalement des richesses de son sous-sol. « Si un voisin vous dit qu’il aime vos enfants mieux que vous-même…il est très dangereux », a-t-il illustré.

Reportage de Jacques Kimpozo




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