On le surnomme Dicap la Merveille, El Maravilloso, El Magnifico et on en passe. La marque des grands de la scène musicale congolaise. Autant de « galons » pour ce général 5 étoiles de la rumba gagnés sur ce champ de bataille de Kinshasa où la concurrence entre artistes est aussi impitoyable qu’aux Etats-Unis, où les groupes apparaissent et prennent fin aussi vite qu’une pluie tropicale.
Fally Ipupa va fêter cette année ses dix ans de carrière solo et celui qui fait partie du club très privé des stars du continent s’est donné pour objectif d’être la première vedette de son pays à conquérir le marché mondial. « J’ai fait le tour de l’Afrique, je n’ai plus rien à y prouver, affirme-t-il. Je veux aller de l’autre côté, donner du plaisir aux publics asiatiques, européens ou américains. »
Rumba survitaminée
Le jeune homme introverti né à Bandal, le quartier des musiciens de la capitale, après des débuts timides dans une myriade de formations, s’est mué en beau gosse ambitieux au fil des ans. En 1999, son transfert, à l’âge de 22 ans, dans le groupe Quartier Latin, la célébrissime formation du non moins célébrissime Koffi Olomidé, fit déjà couler beaucoup d’encre.
Le temps d’affiner son talent exceptionnel de chanteur et en 2006, il se lance dans une carrière solo avec son premier album Droit chemin ; du ndombolo (cette rumba survitaminée qui branche les jeunes) aux accents neufs et un succès énorme : plus d’un million d’exemplaires, pirates ou non, écoulés sur le continent et dans la diaspora (dont un disque d’or en France). Deux autres opus, Arsenal de belles mélodies (2009) et Power-Kosa Leka (2013) l’imposeront définitivement.
Lire aussi : La rumba, bande-originale des mutations de la société congolaise
« La musique congolaise a été l’histoire d’un véritable gâchis, lâche Fally Ipupa. Mes aînés, les Tabu Ley, Kanda Bongo Man, Werrason et autres JB Mpiana n’ont jamais voulu s’exporter hors du continent puisqu’ils y gagnaient énormément d’argent. » A quelques nuances près toutefois : Franco avait esquissé le grand saut vers le marché mondial avant de mourir en 1989. Papa Wemba avait, lui aussi, tenté une approche avec trois albums (Le Voyageur, Emotion et Molokaï) réalisés sous la houlette de la rock-star tiers-mondiste, Peter Gabriel, entre 1992 et 1998 ; et puis il y eut la chance exceptionnelle offerte à Koffi Olomidé quand les feux de l’actualité française et européenne se braquèrent sur son concert (une première pour une star africaine !) en 2000 dans la salle parisienne de Bercy archi-comble, une chance qu’il ne sut ou ne voulut pas saisir.
Mais pourquoi les rumberos d’antan auraient-ils eu à se soucier du marché occidental, eux qui régnaient alors en maîtres absolus sur les hit-parades de Dakar à Johannesburg, eux qui, accueillis tels des chefs d’Etat, remplissaient des stades et passaient (en option) par la case palais présidentiel toucher des bonus sonnants et trébuchants ? Il est loin, ce temps, semble dire Dicap la Merveille, 39 printemps au compteur. Papa Wemba a maintenant 66 ans, Koffi 60, Werrason 51. Une nouvelle génération a pris le pouvoir. Une génération qui a connu la mondialisation dès le plus jeune âge et pour qui surfer sur Internet est aussi naturel que taper dans un ballon de foot et résider à Paris aussi simple que vivre au pays, entouré des siens et immergé dans les traditions.
Les réseaux sociaux pour entretenir le buzz
« Dès l’âge de 17 ans, je fréquentais les kiosques de rue dans Kin pour jouer sur Nintendo, se rappelle Fally. Mais j’ai vraiment commencé à me servir de l’ordinateur en 2004 quand j’ai gagné un peu d’argent. » A l’instar d’un artiste français ou britannique, il se met à l’heure numérique, s’appuie sur les réseaux sociaux comme un élément majeur de sa stratégie pour entretenir le buzz, « même si le Web est encore un luxe pour nous ». « J’ai ouvert un blog en 2006 à l’occasion de la sortie de Droit chemin. Je dispose d’une page Facebook depuis 2007. Quant à mon compte Instagram, il est le plus visité de la RD Congo, avec plus de 3 000 visites par jour ! », s’exclame-t-il fièrement.
Lire aussi : Ray Lema, le grand frère de la musique congolaise
Nouveau pas en avant en avril 2013 : il signe un contrat portant sur trois albums avec la multinationale AZ/Capitol/Universal. Et depuis la mi-2015, il travaille sur son prochain CD en studio à Paris, en quête de la pierre philosophale qui lui ouvrirait les portes de la gloire mondiale. Et plus question de centaines de fans se faufilant dans les couloirs de ces « temples du son », à quêter des miettes de chansons ou un mot de la vedette comme c’est la coutume lorsqu’un un Koffi ou un JB Mpiana grave un nouveau disque, mais juste le staff nécessaire… le travail à l’occidentale autrement dit !
« Je veux qu’on écoute de la musique africaine car j’ai cette culture dans le sang, mais modulée pour les oreilles du monde entier », confie-t-il. Et très logiquement, Fally a réuni les ingrédients nécessaires à cette conquête internationale : un producteur, Skalpovitch (alias Skalp), qui s’est imposé dans le show-biz français comme un hit-maker (Magic System, Indila, Black M, Kendji Girac…), des textes en lingala, anglais et français, une musique entre european dance, rumba et ndombolo. Et surtout un nombre substantiel de featurings, ces produits d’appel indispensables à la réussite d’un album en 2016 : Black M, R.Kelly, la star de la soul-love américaine, et bien d’autres encore. On raconte même que Stromae, M. « Papaoutai », grand admirateur de l’idole kinoise, serait de la partie ! « Il peut conquérir les charts français, européens, voire au-delà, estime Skalp, j’y crois. »