*Dans une réflexion tirée de L’Afrique Unie, que La Prospérité se propose d’assurer une large diffusion, un intellectuel congolais s’interroge à haute voix sur les conséquences d’une déstabilisation des Institutions de la République. La Primature est au centre des visées politiciennes. Si Matata Ponyo arrivait à quitter ses fonctions, sous la pression des politiciens qui veulent tantôt se maintenir au pouvoir ou ceux qui cherchent à le conquérir, le pays se trouvera encore face aux graves incertitudes. L’économie sud-africaine, récemment, a fait les frais d’une gestion clientéliste du Président Zuma qui a tenté de placer, sans succès, son proche sans profil au ministère des Finances. En RDC, la relance économique est incarnée, selon L’Afrique Unie n°008 de mars 2016, par un homme : Matata Ponyo Mapon.
RDC : le péril de la déstabilisation de Matata
Près d’un demi-siècle après l’indépendance, le Congo offre un spectacle on ne peut plus sidérant de ses inepties politiques cycliques. Considéré comme le principal moteur de la propulsion économique de l’Afrique, ce pays, qui pourtant commençait à émettre les signaux de sa mutation avec le Gouvernement de Matata, fait encore face aux graves incertitudes. Celles-ci sont produites par une crise politicienne menaçant la cohésion nationale. Aux yeux des leaders internationaux et des experts en développement économique, dans les organisations et think tanks, tant à Washington, Londres que Bruxelles, c’est la relance économique du Congo qui incarnait l’espoir de sa Renaissance. Maintenant, les politiciens veulent sacrifier cet exploit sur l’autel des stratagèmes liés au pouvoir. Les uns veulent le maintenir quoi qu’il advienne, les autres cherchent à l’arracher à tout prix. Amnésie généralisée sur la scène politique. Que des guerres, que du sang coulé, que des vies humaines ruinées pour une démocratie (qui s’évanouit à l’horizon) et un développement que nous voulons encore étioler. RDC, le pays de l’éternel recommencement…
Aujourd’hui, comme en 1960-1961, en pleine crise débilitante entre Kasa Vubu et son camp, d’une part, Lumumba et ses camarades de l’autre part, mais aussi comme dans l’impasse de la dictature Mobutienne versus l’opposition en 1994-1997, la nation est au bout du gouffre. On a tout oublié ! Que dis-je ? Amnésie antérograde, aveuglement rétrograde. Des négociations couteuses pour la paix à Sun City et à Pretoria, ainsi que des élections ayant englouti prêt de $2 milliards (cout d’une autoroute Mwanda-Ituri et d’un chemin de fer Sakania-Zongo!). Du jour au lendemain, on revient à la case du départ. L’avenir est sombre car le pire des cataclysmes n’est pas à écarter.
Sur cette toile pathétique, dans cette crise vertigineuse, l’une des dimensions les plus irrationnelles de cette crise politicienne est relative à la démarche de plus en plus explicite et burlesque de l’extension de cette problématique à la Primature de la République. D’un géni méphistophélique, maitres dans l’art des entourloupettes les plu sordides, certains politiciens, tant de la Majorité Présidentielle que de l’opposition, commencent à jeter leur dévolu sur la Primature.
On veut faire tabula rasa et décréter la transition sur toutes les institutions. Ainsi, on veut rendre aussi la Primature disponible pour y placer un « politicien » (comme on le dit dans les officines des charlatans politiques). Comme libre-penseur souscrivant à la démocratie substantive et expansive, je ne rejette pas les ambitions des uns et des autres. Mais, comme intellectuel Congolais passionné par le développement économique, fils d’une nation destinée à sa transformation en puissance économique (socle de toute démocratie durable), ll m’a semblé d’une impérieuse nécessité de proposer cette réflexion sur cette tendance illogique à vouloir étendre l’équation électoralo-constitutionnelle à la Primature.
La crise est fondamentalement politicienne et non inhérente au fonctionnement intrinsèque du gouvernement
Force est de souligner, de prime abord, que la crise actuelle, dans sa stricte quintessence, relève des machinations politiciennes. Elle participe des machinations et des ambigüités de la classe politique. Les turpitudes de ceux qui se disent politiciens (et reprochent à Matata de ne pas être «politique ») imposent à toute une nation une navigation à contre courant de l’histoire, vers le gouffre. En d’autres termes, sur le plan strictement analytique et technique, la crise n’est pas intrinsèque au fonctionnement endogène direct du gouvernement, ou d’une quelconque incompétence avérée du Premier Ministre. Cette crise découle d’une volonté extra-gouvernementale. Elle a été orchestrée dans les officines politiciennes.
Mieux encore, aucun politicien fut-il de la majorité ou de l’opposition n’a en privé ou en public, au pays ou à l’étranger, formulé son argumentaire sur la crise politique actuelle avec comme trame de fond les déficiences de la Primature. Ce qui logiquement et politiquement justifierait la nécessité de changer de Premier Ministre pour résoudre le problème ainsi cerné. Donc, il est irrationnel de chercher à déstabiliser la Primature pour résoudre un problème qui est ailleurs.
Le contre-argument instantané est : le Gouvernement aurait du, par sa propre initiative, mettre les ressources à la disposition de la CENI et lui donner les instructions d’organiser les élections dans les délais. Une telle pensée est non seulement réductionniste, mais complètement déconnectée de la réalité politique Congolaise. Pour trois raisons majeures. Primo, on est dans un régime semi-présidentiel.
Donc même le plus « politiquement zélé » des premiers ministres (comme ceux qui pérorent qu’il faut un Premier Ministre politique, comme si c’était une panacée pour le Congo) ne peut pas prendre une telle décision seule. Secundo, dans un pays post-conflit, l’organisation des élections procède de l’harmonisation des vues entre les acteurs politiques. Secundo, force est de souligner, à cet égard, que dans beaucoup de pays Africains même la stricte conformité au calendrier électoral a été un stratagème de maintient des présidents au pouvoir, particulièrement lorsque l’opposition estime que les conditions ne sont pas réunies pour des scrutins crédibles. On ne se tromperait pas en affirmant que si la Primature avait seule pris l’initiative d’impulser la CENI à organiser les élections, sans le dégagement préalable d’une volonté générale des politiciens, il y aurait eut une stridente levée des massues…plutôt que des boucliers. Et tertio, à elle seule, la disponibilité des fonds ne suffisait pas : il fallait que les parties prenantes s’assurent d’un calendrier raisonnable et des conditions apaisées. Ceux qui se targuent d’être des politiciens patentés, eux, se sont fourvoyés dans les contradictions incongrues. Dans une certaine mesure, les Congolais, et surtout les politiciens, doivent tirer toutes les conséquences de leurs choix des régimes : nous avons voulu un Premier Ministre aux pouvoirs contraints. Nous en subissons les conséquences. Le vrai champ du pouvoir, la plaque tournante des stratagèmes, surtout ceux qui ont provoqué la désorientation électorale, constitutionnelle et politique, est extra-gouvernementale. Donc chercher à déstabiliser la Primature pour résoudre ce problème qui est ailleurs, c’est absolument adopter une démarche totalement pétrie d’ineptie.
Les leçons de l’Afrique du Sud : la déstabilisation des acteurs politiques incarnant la performance économique a ses conséquences :
Le 9 Décembre 2015, pour des raisons patrimoniales, le Président Jacob Zuma de l’Afrique du Sud avait relevé le Ministre de Finance Nhlanhla Nene de ses fonctions pour le remplacer par un illustre inconnu du nom de David Van Rooyen (Reuters Décembre 13, 2015). Nhlanhla Nene était très intransigeant contre la gabegie dans les entreprises publiques et les transactions financières mafieuses. Perçue dans la sphère financière nationale et internationale comme une manipulation politicienne pour rendre possible la gabegie, l’éviction de Nene provoqua la chute du Rand de près de 10 % et une perte à la prestigieuse bourse de Johannesburg de l’ordre de 169 milliards de Rand (www.theguardian.com. South Africa).
En plus, la prévision de la croissance fut directement revue à la baisse. Le rang de l’Afrique du Sud sur le registre de crédibilité de paiement des dettes fut aussi rabaissé. Face à cette catastrophe, le Président Zuma fut obligé, en moins de 48 heures, de faire revenir un autre ministre de finance crédible du nom de Pravin Gordan. Le Rand récupéra 5 % de sa valeur par rapport au Dollar Américain. Mais l’économie et l’image de l’Afrique du Sud furent profondément affectées.
Quelles sont les leçons de ce drame politique et économique de l’Afrique du Sud ? Première leçon : Nous les Congolais, à cause de nos politiciens dont la conscience économique est encore très embryonnaire, nous ne réalisons pas que les operateurs économiques, les investisseurs internationaux et les organisations financières internationales, ainsi que les stratégistes planétaires, forment essentiellement leurs opinions sur nos pays et nos gouvernements en fonction des performances économiques. Nous sommes dans un monde du capitalisme triomphant : tout s’apprécie par rapport à la productivité économique. De telle sorte que pour chacun des pays, ces acteurs internationaux, et même les investisseurs nationaux, identifient les personnalités qui impulsent ces nouvelles dynamiques économiques. En Afrique du Sud dans le régime de Zuma ce fut Nhlanhla Nene et Pravin Gordan. Ils sont perçus comme incarnant la rigueur budgétaire, l’intransigeance contre la gabegie, et surtout la performance économique (Michael Cohen et Amogelegang Mbatha, www.bloomberg, Décembre 10, 2015).
En RD Congo, on peut ne pas aimer Matata Ponyo, mais c’est lui qui, aujourd’hui, aux yeux des investisseurs, des operateurs économiques, des organismes financiers internationaux et des stratèges planétaires, incarne la performance économique du régime Kabila (The World Bank. http://live.wordlbank.org/experts/matata-ponyo). Nous devons nous dire certaines vérités, même lorsqu’elles froissent nos egos hypertrophiés. Dans cette génération de politiciens, dans la majorité et l’opposition, les personnes porteuses de cette perception de performance sont à repérer sur la pointe d’une épingle.
La deuxième leçon est que lorsque les personnes incarnant la performance économique et la discipline financière/budgétaire sont déstabilisées pour des raisons politiciennes relatives à l’accès aux finances par les courtisans et autres patrimonialistes, les experts internationaux et les investisseurs décryptent ce stratagème rapidement. Inéluctablement, l’économie en pâtit. Ce qui fut le drame en Afrique du Sud. En RD Congo c’est un secret de polichinelle : la hargne contre Matata est liée à son blocage de la mangeaille politique. On veut profiter de cette confusion de la crise politicienne pour le remplacer par un « pseudo-politicien » qui, lui, va permettre aux vampires politiques de cannibaliser l’Etat et laisser une carapace au régime de l’alternance – surtout pendant une transition nébuleuse.
Il est vrai que Matata Ponyo n’est pas indispensable et irremplaçable. Mais, il serait tout aussi irrationnel et périlleux de ne pas reconnaitre qu’il impulse le leadership gouvernemental ayant déclenché notre performance économique avec une remarquable accélération de la croissance en RD Congo. Et cela dans un contexte où les puissances économiques africaines telles que le Nigeria et l’Afrique du Sud enregistrent un ralentissement dramatique de leurs croissances économiques à moins de 5 % et 1 % respectivement. Alors que toute l’Afrique voit sa moyenne de croissance pour cette année plonger en dessous de 5 %, la RD Congo ne croule pas sous le poids de la chute des prix des matières premières. Bien au contraire, notre pays porte plutôt l’espoir d’une croissance autour de 8 % (Global Risk Insights, Djenabou Cisse, Mai 7, 2015). Il serait hasardeux de sacrifier tout cela au nom du partage du pouvoir.
Conclusion : la transition et l’organisation des élections n’impliquent pas nécessairement la désignation d’un nouveau Premier Ministre
Relevons d’abord que dans la Majorité Présidentielle l’argument est que la rentabilité politique de Matata est difficile à repérer. On soutient qu’il ne fournirait pas des dividendes politiques au Chef de l’Etat Joseph Kabila. Cette école de pensée est des plus absurdes. Elle étale une compréhension obsolète de la politique moderne dans le contexte de la globalisation. Je l’ai expliqué à plusieurs reprises, puisant dans un cadre conceptuel de pointe en la matière. Lorsqu’un régime est confronté à une crise de légitimité, comme c’est le cas avec le régime du Président Kabila, c’est la bonne gestion économique qui lui procure ce qu’on appelle en Science Politique moderne une légitimité de performance (Huntington, 1993).
D’ailleurs, les mêmes personnes qui crient que le Premier Ministre ne fournit pas des retombées politiques au régime, lorsqu’elles tiennent des meetings ou dans les débats, le seul discours qu’elles récitent c’est la performance économique, la croissance, les infrastructures. Mêmes les Américains au Senat, en dépit de leurs menaces, reconnaissent que le régime de Joseph Kabila possède une « legacy» qu’ils perçoivent dans la relance économique. Faisons preuve d’un minimum de rectitude intellectuelle : c’est le Premier Ministre qui par son leadership gouvernemental, sous la direction du Président de la République, a contribué à la réalisation de ces exploits. Aucun autre acteur de la Majorité Présidentielle ne donne à ce regime ses moyens de défense comme ceux que lui fournit l’économie.
Mais, on sait que dans l’entendement arriéré des «politicailleurs » Congolais, les dividendes politiques c’est l’ouverture des robinets des finances publiques pour donner des fonds aux opposants afin de les calmer. En plus, une rentabilité politique consisterait à attribuer ce poste de Premier Ministre à l’opposition pour qu’elle soit neutralisée. Ce n’est pas la solution intelligente et progressiste au problème de fond. En fait, ceux qui crient aux retombées politiques sont en réalité ceux qui fragilisent plus ce régime par leur politicaillerie que la population et la communauté internationale trouvent répugnante.
Puisque j’ai fait allusion à l’attribution du poste de la Primature à l’opposition, il convient d’y réfléchir un peu. Il convient de rappeler qu’au fond toute la crise porte sur la navigation à contre courant de la Constitution et l’intension de modifier ladite Constitution. Maintenant, comment va–t-on attribuer la Primature à l’opposition sans violer la Constitution ou sans la modifier? Celle-ci impose que le Premier Ministre soit désigné dans la Majorité Parlementaire. Par ailleurs, dans une majorité qui est déjà fissurée, comment va-t-on designer un autre Premier Ministre, à quelque mois de la fin de la législature, sans provoquer de graves remous inévitables compte tenu des luttes intestines qui minent cette alliance. Et plus déterminant, quelle sera la rationalité financière/budgétaire de la désignation d’un autre Premier Ministre, dans un contexte de crise où les élections doivent être réalisées dans les mois qui suivent.
Et ce n’est pas tout. Comment ce Premier Ministre va-t-il être validé par une assemblée dont la majorité est en désintégration ? Donc par élan de partage égoïste du pouvoir, on imagine des solutions qui vont produire davantage des problèmes et qui vont encore plomber le pays. Même dans l’opposition, il n’y a pas nécessairement lucidité et passion pour tirer le pays du bourbier. Il y a certains carnassiers politiques de notoriété publique, des girouettes patentées de longue date. Ils ne reniflent que les prébendes du pouvoir. Leur discours en faveur des élections et de la Constitution, on le sait, n’est que la rationalisation des stratagèmes de conquête du pouvoir par le truchement d’une transition.
Nous devons nous rendre à l’évidence : l’élection présidentielle ne peut plus être réalisée dans le délai constitutionnel. Les politiciens, de la majorité comme ceux de l’opposition, se trouvent devant l’obligation de trouver une modalité de résolution du problème assortie d’intelligence et de sagesse pour éviter à la nation une catastrophe. Par le dialogue ou par les négociations, la formule n’est pas importante. L’une des dimensions de cette catastrophe c’est la ruine de l’économie. La RD Congo n’est ni le Burundi, ni le Congo-Brazzaville. Nous avons plus d’investissements des multinationales enregistrées dans les plus importantes bourses mondiales que n’importe quel pays de la région. La déstabilisation de l’économie va provoquer des trépidations à la bourse de New York, de Londres, de Toronto et de Johannesburg où les entreprises telles que Free Port MCmoran, Banro et Anglo Gold sont enregistrées. Les fameux politiciens sont insensibles à cette dangereuse réalité stratégique.
La transition peut bien se réaliser en respectant la constitution, pour les postes dont les modalités d’attribution ne sont pas expressément définies dans la Constitution, tels que les Vice-Premiers Ministres. Et les acteurs gérant la transition devraient être exclus de l’élection résidentielle. Si transition il y a, il nous faut beaucoup de finesse et d’abnégation pour éviter qu’une telle transition ne soit l’occasion de ruiner l’Etat. On le sait, l’esprit et la pratique de la transition au Congo à travers notre l’histoire sont ceux de la mangeaille.
Démontrons au monde que nous avons évolué et que nous sommes matures. Le partage du pouvoir ne devra pas permettre de vider les finances publiques et d’affaisser l’économie. Une transition austère, lucide, courte, sans perturbation majeure.
Elle optera pour les ouvertures au niveau des vices-premiers ministres, éventuellement dans un réaménagent du Gouvernement Matata, en y intégrant un nombre raisonnable des acteurs de l’opposition et de la société civile. Une telle transition pétrie d’intelligence peut bien permettre de faire cheminer le Congo vers l’alternance sans cataclysme militaro-politique, sans ruiner son acquis vital et le piller de sa Renaissance, qui est l’économie.
Tiré de L’Afrique Unie n°008 de mars 2016