Le « coup d’Etat constitutionnel » que le « Front Citoyen 2016 » redoutait lors de sa sortie officielle le 19 décembre dernier – simultanément à Kinshasa et à Bruxelles – semble être en route. Dans un arrêt rendu, mercredi 11 mai, la Cour constitutionnelle a engagé le pari aux conséquences imprévisibles d’«autoriser » « Joseph Kabila » à demeurer à la tête de l’Etat congolais au-delà de l’expiration de son second et dernier mandat, le 19 décembre 2016, si l’élection présidentielle n’est pas organisée dans les délais légaux. La Cour invoque la nécessité d’assurer la « continuité de l’Etat ». Pour les opposants, le gouvernement est fautif et ne peut invoquer ses propres turpitudes. Il doit rendre compte pour avoir multiplié des entraves destinées à «bloquer» le processus électoral. Pour eux, le maintien du chef d’Etat en exercice dans ses fonctions – au-delà du 19 décembre prochain – équivaudrait à lui octroyer une «prime à la mauvaise foi».

« En droit public, l’interprétation ne consiste pas seulement à dégager le sens exact d’un texte qui serait peu clair, mais aussi à en déterminer la portée, c’est-à-dire le champ d’application temporel, spatial et juridique, ainsi que l’éventuelle supériorité vis-à-vis d’autres normes ». Telle est la définition de l’interprétation d’une norme juridique. (Voir Lexique des termes juridiques 2014-2015 Dalloz).

Deux questions méritent d’être posées à ce stade. Primo : la Cour constitutionnelle du Congo-Kinshasa est-elle un organe indépendant de toute influence politique? Secundo : Est-elle capable de mener une interprétation objective de la Constitution? Poser ces deux questions, équivaut à y répondre. Depuis le mois de septembre dernier, cette jeune institution s’est fait une sulfureuse réputation suite à son arrêt « autorisant » le gouvernement à nommer des « commissaires spéciaux » en attendant l’élection des gouverneurs de province.

Président du Groupe parlementaire PPRD à l’Assemblée nationale, Emmanuel Ramazani Shadari a sans doute été accueilli, mercredi 11 mai, en « héros » par ses camarades de la MP (Majorité présidentielle). Le champagne a sans doute coulé à flots. Et pour cause, l’homme serait l’initiateur de la requête, en interprétation de l’article 70 de la Constitution, introduite à la Cour constitutionnelle par des députés de la majorité. «C’est le peuple qui a gagné, parce que le peuple avait besoin de l’interprétation de l’article 70 de la constitution», exultait-il Ramazani, mercredi, à l’issue de la lecture, par le 1er président Lwamba Bindu, de l’arrêt « confirmant » le maintien de « Joseph Kabila » à son poste.

Que dit l’article 70? « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois », stipule le premier alinéa. « A la fin de son mandat, le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu », peut-on lire au second alinéa.

Donnant lecture de l’arrêt cité précédemment, le 1er président Lwamba a dit que la Cour a voulu « consacrer le principe de la continuité de l’Etat » conformément à l’article 69 de la loi fondamentale . Selon lui, le deuxième alinéa de l’article 70 « permet au Président de la République actuellement en exercice de rester en fonction ». Et ce « jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu ».

« Putschiste »

Fidèle à la logique du « glissement », Lwamba d’ajouter : « Bien que d’une durée de cinq ans renouvelable, le mandat des députés nationaux, sénateurs et députés provinciaux ne prend fin qu’à l’installation de la nouvelle assemblée nationale, d’un nouveau sénat ou d’une nouvelle assemblée nationale, d’un nouveau sénat ou d’une nouvelle assemblée provinciale en vertu de la continuité de l’Etat ». La Cour s’appuie sur les articles 103-2, 105 et 197-6.

Notons qu’en novembre 2011, « Joseph Kabila » a financé l’élection présidentielle et les législatives. Qu’en est-il des autres scrutins? « Il n’ y a pas d’argent », répondait Daniel Mulunda Ngoy, alors président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI).

Cette décision de la Cour constitutionnelle a fait bondir Eve Bazaïba Masudi, la secrétaire générale du MLC (Mouvement de libération du Congo). « La Cour n’a pas compétence de violer la Constitution », a-t-elle tempêté en soulignant que si, au 20 décembre, « Joseph Kabila » restait à son poste, il sera considéré comme un « putschiste » et sera traité en tant que tel.

Des juristes proches de l’opposition sont d’avis qu’il n’est pas nécessaire d’interpréter un texte qui brille par sa limpidité. « Lorsque la loi est claire, on l’applique », clament-ils en précisant que le chef d’Etat en exercice reste en fonction jusqu’à « l’installation effective du Président élu ». Pour eux, cela suppose que l’élection présidentielle a déjà eu lieu, 90 jours, avant le 19 décembre. De même, les juristes sont d’avis qu’il est question de la « compétence temporelle ». Une compétence qui commence à l’investiture et prend fin à la désinvestiture ». Ces avis sont loin d’être partagés par la « clientèle » de « Joseph Kabila » qui estime que celui-ci doit continuer à exercer ses fonctions jusqu’à la tenue de la présidentielle.

« Nul n’est entendu invoquant ses propres turpitudes »

Dans une récente interview accordée à Congo Indépendant, Félix Tshisekedi Tshilombo a déclaré que « s’il s’avérait que l’organisation des élections est impossible dans les délais constitutionnels, il faudra qu’on détermine les responsabilités ». « Il faut que ceux qui ont gouverné ce pays depuis cinq ans sans pouvoir organiser les élections puissent rendre compte ».

Selon lui, lors du « dialogue politique », il faudra constater qu’il ne sera pas possible d’organiser les élections. Par conséquent, après le 19 décembre prochain, « il faudra ouvrir une période de transition et mettre entre parenthèse la Constitution ». A l’UDPS, Etienne Tshisekedi sera proposé pour dirigé la transition.

Dans un registre purement juridique, le constitutionnaliste congolais André Mbata B. Mangu a précisé, dans une interview, que « l’article 70 ne parle pas de l’élection, mais de l’installation effective du nouveau Président élu ». Ce qui implique, selon lui, que « les élections doivent impérativement avoir lieu en 2016 et un nouveau Président doit avoir été élu avant pour être installé le 19 décembre 2016 ».

L’avocat Firmin Yangambi Libote qui est embastillé à la prison de Makala depuis 2009, va plus loin.

Dans une tribune publiée en avril dernier, il écrit : « La Cour constitutionnelle ne peut sous le prétexte d’une interprétation faire à la Constitution ce qu’elle n’a pas prévu. Ce serait une menace évidente au Droit ». « La Cour constitutionnelle n’a donc pas la prérogative de prolonger le mandat du Président de la République élu au suffrage universel direct par la seule et unique autorité compétente, à savoir le souverain primaire ». Me Yangambi de conclure : « Une constitution est adoptée comme loi fondamentale pour être scrupuleusement respectée coûte que coûte, sauf à considérer le cas de force majeure ».

Les contempteurs de « Joseph Kabila » accusent celui-ci d’avoir multiplié des artifices à l’origine du « blocage » du processus électoral. « Nul n’est entendu invoquant ses propres turpitudes », martèlent-ils. Agir autrement, disent-ils, revient à accorder au Président sortant une « prime à la fourberie ».

BAUDOUIN AMBA WETSHI/CI


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