Depuis seize ans, Joseph Kabila règne sur ce pays riche et éruptif. Sa vie, ses secrets. La route plonge vers les eaux noires du Mai-Ndombe. Calés par des pierres, les camions en panne sont signalés dans les virages par des touffes de matiti, hautes herbes posées sur l'asphalte rongé. Au fond de la vallée, entre les collines dont le vert vire, au loin, au gris : un pont. La rambarde s'est effondrée, une pile de l'ouvrage précédent rappelle que rien, ici, ne résiste au temps. « Le président Joseph Kabila passe là toutes les deux semaines, raconte le chef du village. Il passe trop vite avec son escorte, en Jeep. C'est lui qui conduit. » Fera-t-il réparer le pont ? « Non. Il ne parle à personne, il ne s'arrête jamais. Il est faux », dit un villageois. 



Tout Kabila est là, à 105 kilomètres à l'est de Kinshasa, sur ce pont qui le mène de sa ferme de Kingakati à une autre, à Bukanga-Lonzo. Pressé de fuir la capitale, qu'il n'aime pas et qui le lui rend bien. Ivre de vitesse, hermétique au peuple derrière ses vitres teintées.
Secret



Ce président secret et haï a réussi un coup de maître : le 31 décembre, lors de pourparlers épiques entre sa majorité et l'opposition, sous l'égide de l'Église catholique, il a obtenu de rester au pouvoir, alors que son second mandat a expiré le 19 décembre 2016. L'élection d'un successeur n'a pas eu lieu. « Pas question d'une prolongation pour Kabila, même pour l'intérim », assurait pourtant Félix Tshisekedi, fils de feu l'opposant historique, Étienne Tshisekedi. L'élection est prévue dans un an. En principe. Mais avec « Tshi », décédé le 1er février, est mort le seul homme dont Kabila avait peur. Invisible, silencieux, il a gagné. Pour l'instant.



Alors que Denis Sassou-Nguesso, au Congo-Brazzaville, ou Paul Kagame, au Rwanda, ont modifié leur Constitution pour se maintenir au pouvoir, Kabila a trouvé plus simple : ne pas organiser d'élections. Selon sa majorité, c'est un malheureux concours de circonstances. Jean-Pierre Kambila, son directeur de cabinet adjoint, n'en démord pas : « Tout est passé dans la guerre. Quand votre maison brûle, vous ne touchez pas à la somme que vous aviez gardée pour acheter des pantoufles ? » De confortables pantoufles, puisque 250 millions de dollars par an ont été alloués, depuis 2012, à la préparation des scrutins. Un diplomate riposte : « Kabila est arrivé par les armes, il ne repartira que les pieds devant ou un fusil dans le dos. »



Joseph Kabila Kabange est un combattant. Il naît le 4 juin 1971 au Sud-Kivu. Son père, Laurent-Désiré Kabila, combat Mobutu Sese Seko, au pouvoir depuis 1965. Joseph connaît le maquis puis l'exil et la clandestinité à 5 ans, en Tanzanie. Les Kinois racontent qu'il a été chauffeur de taxi. En 1996, il rejoint son père dans l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL). Le « Mzee », le Vieux, en swahili, renverse Mobutu en mai 1997 et fait de son fils le chef d'état-major de l'armée de terre. Joseph suit une formation militaire en Chine, rentre pour la deuxième guerre du Congo, en 1998. Mais, le 16 janvier 2001, Kabila père est assassiné.



« À la radio, on nous dit qu'il est blessé, alors qu'il est mort, retrace l'historien Isidore Ndaywel è Nziem. On lit le testament : le fils doit prendre la relève. » Pour l'entourage, qui veut se laisser le temps de réfléchir, le général de brigade est d'une certaine façon le candidat idéal. Avec ses soldats, dont beaucoup d'enfants, il vient de prendre une raclée à Pweto, face au Rwanda, exaspérant son père. Il parle mal français et lingalala, langue de Kinshasa. On prend ses silences pour de la bêtise. L'homme à la fine moustache, encore mince, qui devient, à 29 ans, « coordonnateur de l'action gouvernementale en attendant », ne durera pas six mois, pensent les ministres.



Erreur. »Je ne suis pas sûr qu'il y ait deux hommes qui aient plus de maturité politique que lui dans ce pays, déclare Lambert Mende, ministre de la Communication. Pour avoir tenu quinze ans en maintenant l'unité, il faut une sacrée dose d'intelligence. » « Le Petit » hérite une nation déchirée par la « Première Guerre mondiale africaine ». En 2002, il obtient la paix avec l'accord de Pretoria. Il survit au gouvernement « 1 + 4 », avec quatre vice-présidents issus des factions de la guerre. Il survit au Comité international d'accompagnement de la transition, qui instaure un contrôle de l'Afrique et de l'ONU. « Il le vomissait, mais il a été assez malin pour le supporter », raconte un proche du dossier.

Désamour

Sa haine de l'Occident ne faiblira pas. La communauté internationale l'a pourtant porté. Elle croit à l'aubaine du bleu manipulable, à la tête d'une terre stratégique et riche d'or, de diamants, de cuivre, de manganèse, de coltan. Jacques Chirac le prend en affection. En 2006, on l'aide à doter le pays d'une Constitution. « Un mélange de gaullisme, avec le suffrage universel direct pour le président, et de régionalisme soufflé par les Belges, anciens colons, analyse Olivier Kamitatu, alors président de l'Assemblée nationale, devenu opposant. Une Constitution hybride, votée par 85 % des Congolais parce qu'elle représente la paix. » Ils en parlent avec passion, au point que le grand-œuvre de Kabila se retourne contre lui.


À Limete, près de chez Tshisekedi, se tient chaque jour une réunion des Parlementaires debout. Dauphin Katende, président de la cellule, s'enflamme : « S'il ne s'en va pas, on applique l'article 64 : « Tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d'individus qui prend le pouvoir par la force ou l'exerce en violation des dispositions de la présente Constitution. » » Dans la rue, sur les marchés, on le cite par cœur, de même que l'article 70 sur les deux mandats maximum du président.


La haine envers Kabila est l'histoire d'un désamour, surtout avec les jeunes. S'inspirant des Burkinabè, qui ont chassé Blaise Compaoré en octobre 2014, ils ont créé des groupes contestataires. Victor Tesongo, 27 ans, milite à la Lucha : « Je suis né dans l'Est, avec la guerre. Tu rentres de l'école, ta famille est morte. Nous avons cru à Kabila, jeune, venu avec la paix et la Constitution. Il s'est écarté du peuple. C'est une classe politique pourrie, il n'a rien fait pour nous. L'université de Kinshasa sort 5 000 licenciés par an, 10 ont du boulot. » Le régime répond en réprimant : Victor a été coffré d'avril à août 2016.
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