*«On verra que même le Conseil de Sécurité de l’ONU n’est pas libre d’appliquer des sanctions à un Etat. La Charte soumet l’Organisation, elle-même, au respect des principes du droit international, en particulier, au respect de l’indépendance et des affaires intérieures des Etats. En conséquence, le Conseil ne peut engager l’Organisation à sanctionner un Etat sans savoir si la question appelant l’application des sanctions est du domaine du droit international ou du domaine national des Etats. Une autre question est de savoir si, même s’il concerne le droit international, le comportement reproché à un Etat membre menace la paix et la sécurité internationales». Cette thèse est tirée du livre intitulé : «les sanctions ciblées américaines violent le droit international », écrit par Auguste Mampuya Kanunk’a-Tshiabo.

Quelle est la trajectoire de cet auteur ?

Auguste Mampuya est Docteur d’Etat en droit de l’Université Nancy 2 (France) depuis 1972, avec une thèse en droit international public ; il est titulaire d’un D.E.S. de droit européen de la même Université. Nommé professeur des universités en France, il y a enseigné à l’Université de Nancy, à l’Université de Metz, à l’Université de Reims, notamment des cours tels que le Droit international public, droit constitutionnel, justice internationale, etc. et il y a dirigé de thèses de doctorat. Auguste Mampuya a également donné cours au Grand-Duché de Luxembourg, à l’Université de Belgrade, … Ce digne fils de la République démocratique du Congo est un ancien juge ad hoc à la Cour Internationale de Justice (CIJ), et il est officier de l’Ordre national des Palmes académiques de la République Française. Actuellement, Auguste Mampuya est professeur ordinaire émérite de l’Université de Kinshasa où il est entré en 1972 comme professeur associé. Dans l’interview exclusive ci-dessous, cette éminence grise recadre scientifiquement les impérialistes, particulièrement des européens à qui il a donné cours, qui s’évertuent à fouler aux pieds le droit international. Hormis la correction juridico-diplomatique que son pays, la RDC, vient d’infliger à l’Union Européenne (UE) au niveau du Conseil des Droits de l’ONU à Genève en Suisse, à la manière dela victoire de David contre Goliath, Auguste Mampuya aborde clairement d’autres dossiers brûlants. Lisez-le !

Entretien

Professeur Auguste Mampuya, votre ouvrage « les sanctions ciblées américaines violent le droit international » est continuellement d’actualité. Comment l’expliquez-vous?

Parce que la problématique qu’il développe est toujours d’actualité, surtout si tous ceux qui recourent à ce genre de sanctions le font de manière unilatérale, en dehors des normes prescrites, sans que ce soit au sein ou par l’autorisation du Conseil de sécurité. Mais, aussi, rappelez-vous que les premières sanctions américaines parmi celles visées ici, dataient de juin 2016, d’autres avaient suivi en septembre 2016 ; tandis que jusque-là personne en RDC n’en parlait, les « victimes » abandonnées à leur triste sort. Les gens ont en quelque sorte découvert cette question grâce à cet ouvrage ; il a fallu ce livre pour que beaucoup d’intérêt soudain se réveille et que les bonnes volontés comprennent que même les criminels de la pire espèce ont des droits que leurs juges doivent respecter avant de les condamner et, même, quand on doit les exécuter. Mais il a également réveillé les auteurs des politiques de puissances, c’est-à-dire, l’impérialisme, qui ont, comme d’habitude, recruté des compradores de tous bords pour justifier et défendre leur œuvre, qui l’ont fait en vilipendant l’auteur de l’ouvrage, ils se sont organisés en une sorte de secte des adorateurs de l’impérialisme. Vous savez quoi ? Le congolais « moyen », lui, a compris, qui, partout dit avoir ouvert les yeux, jusque dans le « parlement debout », même si certains disent regretter que l’ouvrage donne l’impression de défendre le régime. Qu’ils se tranquillisent ; mon ouvrage défend le droit mais celui-ci défend tout le monde, y compris ceux que nous n’aimons pas.

Comment jugez-vous les sanctions de l’Union Européenne contre certaines autorités congolaises au regard du droit international?

Juridiquement, elles violent triplement le droit international. D’abord, en ignorant le cadre juridique des relations internationales qu’est le droit des Nations Unies à travers la Charte de l’ONU. Dans le cadre de son Chapitre VII, celle-ci parle de « mesures coercitives » (ces fameuses « sanctions »), qu’elle divise en « mesures faisant appel à la force armée » (article 42) et « mesures ne faisant pas appel à la force armée », utilisant les voies économique, diplomatique et politique (article 41). Ces deux groupes de « sanctions », « militaires et non militaires, sont soumises au même régime juridique : la responsabilité en est remise au Conseil de sécurité de l’ONU qui ne peut y recourir en vue du maintien ou de rétablissement de la paix qu’après avoir constaté qu’il y a menace à la paix, rupture de la paix ou acte d’agression (article 39). Mais le Conseil peut autoriser le recours à ces mesures à des groupes d’Etats ou à une organisation régionale comme l’Union africaine ou l’Union européenne. Autrement dit aucun Etat ni groupe d’Etats ni aucune organisation régionale ne peut décider ce genre de mesures que dans la mise en œuvre d’actions décidées par le Conseil de sécurité ou qu’avec son autorisation. Il en découle que des mesures prises unilatéralement par un Etat, un groupe d’Etats ou une organisation régionale sont illégales ; c’est aussi simple que cela. Or, l’Union européenne ne fonde pas ses mesures sur la Charte des Nations Unies qu’elle ignore superbement. Ensuite, en méconnaissant le Chapitre VII, ces mesures violent, à travers le principe de l’égalité souveraine des Etats, la souveraineté et l’indépendance politique des Etats qu’elle vise. Par ailleurs, dans les relations bilatérales Union européenne – Etats africains, le cadre juridique de nos relations est la Convention de Cotonou ou l’Accord de partenariat UE-Etats ACP. Le partenariat prévoit, notamment concernant « l’Etat de droit, les principes démocratiques et les droits de l’homme », considérés comme « éléments essentiels » du partenariat un système de conditionnalités dont la violation par un partenaire entraîne la prise de « mesures » (articles 8 et 9) ; mais celles-ci, qui peuvent aller jusqu’à, en dernier ressort, l’exclusion du partenaire fautif du bénéfice du partenariat (suspension…), sont prises dans une procédure de consultations organisée par l’article 96. Or, l’Union européenne ne fonde pas ses mesures sur la Convention de Cotonou, elle aussi objet d’un mépris souverain. L’Union européenne ne s’est pas crue obligée de recourir à quelque base juridique valide que ce soit. On le sait, elle se fonde sur le Traité de l’Union Européenne (TUE), lequel est, pour les !africains, « res inter alios acta », tout comme est pour les Européens l’Acte constitutif de l’Union africaine est res inter alios acta, c’est-à-dire littéralement « une chose étrangère » qui ne les regarde pas. En effet, une organisation régionale ne concerne que ses membres, c’est le cadre dans lequel les membres ont organisé les rapports entre eux et les rapports avec leur organisation ; à la limite, une organisation régionale peut conditionner l’admission en son sein comme membre au respect de certaines conditions mais nous ne sommes pas candidats au membreship de l’Union européenne. Ainsi donc, n’ayant fait aucune référence ni à la Charte ni à la Convention de Cotonou, les 2 seuls cadres qui régissent nos rapports avec elle, l’Union européenne a laissé ses mesures sans aucun fondement juridique et, donc, illégales.

Tout le reste n’est que prétention impériale. J’ai déjà mis ces puissances ainsi que leurs affidés au défi de démontrer la justesse juridique de leur politique ; s’ils se croient dispensés de justifier juridiquement ce qu’ils font, c’est qu’ils se considèrent, dans un mépris frisant un sentiment raciste, comme supérieurs aux autres Etats, aux autres continents et aux autres races, l’Union européenne étant supérieure à l’Union africaine, les Américains et Européens aux Africains. Qu’est-ce, sinon, pour le moins, l’impérialisme.

Mais, en sanctionnant des violations des droits de l’homme, ces mesures ne sont-elles pas légales ou, tout au moins, légitimes?

Nous sommes, ici, dans un domaine où le « légitime » découle du « légal » ; étant illégales, ces mesures ne peuvent être légitimes. Par ailleurs, s’il est vrai que les droits de l’homme et la paix et la sécurité internationales sont deux biens supérieurs de l’humanité, ils concernent toute la communauté internationale. Mais qui a dit que les Etats-Unis ou l’Union européenne constituaient, chacun individuellement, la communauté internationale ou la représentaient par eux-mêmes. L’intérêt général international touchant ce que la Charte dans son préambule appelle « intérêt commun » justifie justement, selon la Charte, que la responsabilité d’un tel intérêt soit attribué au Conseil de sécurité : c’est bien ce dernier le garant et le gendarme de la paix et des droits de l’homme ; c’est, donc, en cas de violations massives des droits de l’homme, au Conseil qu’il revient de constater que ces violations constituent une menace à la paix et de prendre les mesures coercitives nécessaires. C’est, d’ailleurs, cette règle qui a régi ce qu’on appelait « l’ingérence humanitaire » et ce qu’on appelle aujourd’hui « la responsabilité de protéger ». Le traité européen ne nous lie nullement même quand il parle des droits de l’homme ; notre obligation de respecter les droits de l’homme et les principes démocratiques ne découle pas du Traité européen mais du droit international général tel que traduit par la Charte de l’ONU et les conventions et traités des droits de l’homme auxquels nous sommes parties.

Quant aux membres de la secte des adorateurs de l’impérialisme, ils ne trouvent aucune réfutation que cette grande découverte du genre « ça c’est de l’ancien droit ». Ignorants du droit, ils croient que la Charte et la Convention de Cotonou ont changé, sans doute déjà révisées en secret par leurs supérieurs occidentaux. Ignorant que le système des Nations Unies lui-même (par le Conseil des droits de l’homme en personne) condamnent les sanctions ciblées, quel qu’en soit le prétexte, y compris celles prises par le Conseil de sécurité lui-même, parce qu’elles violent elles-mêmes les droits des personnes visées. Ils ignorent, concernant l’Union européenne, que les deux cours européennes (CEDH et CJCE) ont déjà, pour la même raison, condamné et annulé certaines de ces mesures.

Soutenue par les Etats africains et latino-américains, la RDC sort victorieuse au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU en rapport avec l’enquête dans l’espace kasaïen. Qu’en dites-vous?

C’est une bonne chose. Mais, ne limitez pas cela à une sorte de victoire diplomatique, ça l’est, mais la RDC a surtout obtenu la victoire du droit, lequel garantit la souveraineté des Etats ; ce n’est pas évident quand on est habitué à des violations quotidiennes de la souveraineté des Etats par des puissances. Car c’est cela l’enjeu : la responsabilité première revient à chaque Etat. Respecter et faire respecter les droits de l’homme sont le contenu d’une obligation incombant à chaque Etat sur son territoire, c’est l’autre face de sa souveraineté ; des mesures administratives ou, même judiciaires, de la nature d’une enquête sur quelques allégations d’infractions ou de crimes, relèvent de la souveraineté territoriale de chaque Etat et aucun Etat ni, même, l’ONU, ne peut s’y ingérer (l’article 2§7 le lui interdit expressément). Mais, savez-vous comment une partie de la presse occidentale a présenté cette décision ? En disant que les Etats africains ont empêché le Conseil d’adopter sa résolution ; non, le Conseil n’a pas été empêché, il a fonctionné et voté, rejetant une résolution violant la souveraineté de la RDC.

Comment jugez-vous la dernière déclaration de l’épiscopat congolais?

Déplorable, non pas que la CENCO n’ait pas le droit citoyen de dire ses sentiments ou son opinion sur la situation dans notre pays ; mais, elle est allée trop loin dans son jugement. Elle a, en effet, ce qui n’est nullement son rôle au contraire, pris parti entre les protagonistes politiques, soutenant sans nuance les positions des plus extrémistes, faisant incomber toute la responsabilité du « blocage » actuel à un seul camp sans reconnaître la part de responsabilité de ceux qui ont à 2 reprises rejeté les calendriers proposés par la CENI alors qu’ils n’avaient aucune alternative, ceux qui, par leurs divisions et rivalités pour des postes, ont conduit le processus dans l’impasse actuelle ; plus grave, alors que les plus extrémistes n’en ont pas encore clairement donné le mot d’ordre, la CENCO a ouvertement pris la responsabilité d’appeler sans ambages la population à l’insurrection, une outrecuidance irresponsable mais qui se justifie par la surenchère d’apparaître comme ceux qui auront le plus violemment combattu le pouvoir, plus que les opposants politiques, remplaçant ainsi ces derniers et, donc, sortant de son rôle pastoral, s’écartant de la parole prophétique de paix et de réconciliation. J’ai été excédé d’entendre un quidam quelconque accuser mon Eglise d’être corrompue ; je me dois, moi, de distinguer mon Eglise des individus qui sont pour l’heure à sa tête, ne me sentant pas concerné par cette allégation malveillante, mais celle-ci me fait honte. Mais, je crois aussi que c’est le moyen pour la CENCO de dissimuler son cuisant échec, elle qui, incapable de réussir le rôle qu’elle avait revendiqué et obtenu de rapprocher et de concilier les points de vue. A force de partialité, elle a déçu tout le monde et été incapable de recoller les 3 ou 4 morceaux du « Rassemblement » ; de fait, après avoir préféré le Rassemblement » à tous les autres groupes politiques, elle a, au sein de celui-ci, déclaré sa préférence pour un seul individu désigné de jure divino, en rejetant tous les autres. Tout cela sans aucune raison logique. Je fais enfin remarquer que, constatant son échec, la CENCO a rendu le tablier, confiant au Président de la république, qu’elle reconnaît enfin comme « le garant de la nation », de jouer un rôle que ne lui donnait pas l’accord, de résoudre les questions de désignation du Premier ministre et du président du CNSA, alors qu’il devait être lié par les propositions dont l’initiative revenait au Rassemblement, mais lequel de ses morceaux ? Voilà l’explication de l’impasse actuelle que, exerçant sa prérogative constitutionnelle à laquelle s’est finalement résigné l’épiscopat, le Chef de l’Etat s’emploie actuellement à résorber.

Que pensez-vous de la controverse sur la double nationalité en RDC, en particulier par rapport à la double nationalité dénoncée de Moïse Katumbi?

Ce cas n’est certainement pas le seul ; nombreux, au sein des institutions, sont ceux qui détiennent une double nationalité, voire, comme semble-t-il le cas évoqué ici, une triple nationalité. C’est une question de très grande importance juridique qui va au-delà de ce cas, si je me limite à ce terrain sans méconnaître son importance politique. De toutes les façons, la constitution (article 10alinéa 1er) et la loi sont claires : la nationalité congolaise est une et exclusive, elle ne peut être détenue concurremment avec aucune autre ; en conséquence, si un Congolais acquiert une nationalité étrangère, il perd ipso facto la nationalité congolaise, un étranger obtenant la nationalité congolaise est considéré comme n’ayant plus sa nationalité d’origine. Mais, cette situation concerne un nombre impressionnant de compatriotes, y compris et surtout au sein des institutions. Lors de son adoption, la loi sur la nationalité prévoyait ce qu’on a appelé « moratoire » de trois mois pour permettre ceux qui s’étaient retrouvé avec « deux » nationalités de se mettre en règle en renonçant expressément à la nationalité étrangère. Je sais que cette problématique est largement dépassée dans les esprits des Congolais qui ont évolué sur ce point, et personnellement je suis de ceux que la double nationalité ne choque pas, tellement les jeunes Congolais ayant pris une nationalité étrangère restent attachés à leur pays et à leur peuple et pourraient être plutôt un enrichissement ; il faudra sans doute changer la législation comme souhaité aussi bien aux Concertations nationales qu’au récent Dialogue. Toutefois, la loi demeurant ce qu’elle est encore, nous devons considérer que beaucoup de gens se trouvent encore dans une situation irrégulière. Il y a quelques années, lors de controverses semblables à celle d’aujourd’hui, on a évoqué ce moratoire ; c’était oublier que la loi ne prévoyait ce fameux moratoire que pour les trois suivant son adoption, ces trois mois passés depuis, il n’y a plus de moratoire et toutes les personnes détenant la nationalité congolaise concurremment avec une nationalité étrangère sont purement et simplement des étrangers. Cela doit faire craindre que nombre de nos lois, que dis-je ? Toutes nos lois, aient été adoptées par des étrangers qui se sont glissés à l’Assemblée nationale et au Sénat et que nombre des membres de nos différents gouvernements, nationaux et provinciaux, soient simplement des étrangers ; en fait chacun obtient si facilement le certificat de nationalité, qui se donne en dehors de tout processus fiable d’identification.

Cette question contient un deuxième aspect très important. Celui de la notion de « nationalité congolaise d’origine », définie dans la constitution (article 10 alinéa 3) par l’appartenance aux groupes ethniques dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu la République Démocratique du Congo…De plus, par les modes d’acquisition de la nationalité congolaise, un enfant dont l’un des parents a la nationalité congolaise d’origine hérite de la nationalité de ce parent, sauf bien évidemment renoncement ; en conséquence et a contrario, un enfant dont aucun parent n’est congolais ne peut avoir la nationalité congolaise que par adoption, naturalisation, parfois par le mariage, … En combinant ces dispositions, les autorités compétentes pour apprécier les candidatures aux différentes fonctions publiques doivent faire extrêmement attention pour bien comprendre et bien appliquer la loi en la matière. En l’occurrence, la seule exhibition du certificat de nationalité ne devrait pas suffire, notamment pour l’élection à certaines fonctions spécifiques. Sait-on, par exemple, que les présidents des deux chambres parlementaires sont soumis à la même condition de nationalité que le président de la République, à savoir, « avoir la nationalité congolaise d’origine » ? Les règlements intérieurs de ces deux chambres permettent-ils aux députés et aux sénateurs de véritablement vérifier « la nationalité d’origine » des candidats aux fonctions de président de l’Assemblée nationale et de président du Sénat, y a-t-on toujours pensé ? Il ne me semble pas, à ce que je constate. En tout cas, il vaut la peine de mieux se pencher là-dessus dans l’avenir pour ne pas commettre d’erreurs.

Propos recueillis par James Mpunga Yende
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