Il s’est tenu du 20 au 21 avril 2018 à l’Université Protestante au Congo, les journées scientifiques de la Faculté d’administration des affaires et des sciences économiques. Celles-ci a connue de nombreuses interventions y compris celle du Docteur en économie, Matata Ponyo, ancien Premier Ministre de la RDC (2012-2016) au sujet des « Qualités des Institutions économiques en RDC ». Notre rédaction a approché le Docteur en sciences juridiques, Kodjo Ndukuma pour une interview, afin de recueillir quelques précisions sur la branche du savoir, assez orpheline en RDC, dont il est le spécialiste. Au cours des journées scientifiques de l’UPC où il est Professeur de droit du commerce électronique, il a développé le sujet : « la régulation de l’économie numérique en RDC ».

C’est quoi l’économie numérique ?

L’économie numérique concerne l’utilisation des TIC dans la chaîne de production, de distribution et de consommation des richesses. C’est aussi bien les télécoms non seulement comme contenant des flux des communications électroniques et audiovisuelles, que les ressources numériques auxquelles elles donnent accès : données personnelles, commerce électronique, signature électronique, cryptographie, monnaie électronique, etc. Particulièrement, le commerce électronique est l’activité par laquelle une personne propose ou assure à distance et par la voie électronique, la fourniture des biens et des services.

Quelle est sa contribution dans l’économie numérique ?

Selon le discours prononcé le 19 mars 2015 par le représentant résident de la Banque mondiale lors du lancement officiel du projet CAB5 (connexion des pays de la région par Fibre optique), le secteur des TIC contribue à 5% au PIB national. En RDC, l’observatoire (ARPCT) du marché a révélé qu’en 2017, l’utilisation de la monnaie électronique concernait 9.032.032 souscriptions d’abonnements téléphoniques, sachant que les quatre réseaux cellulaires GSM présents dans le pays comptent au total 35.366.547 abonnés téléphoniques, dont 13.198.592 ont souscrit l’Internet mobile. Le total des revenus générés pour le 4e trimestre 2017 par les opérateurs de téléphonie mobile, tous services confondus (Voix, SMS, Internet mobile, mobile money et autres) est de 304.587.654 $ contre 296.734.910 $ au 3e trimestre (2,65% de variation), au cours de l’année. Ces chiffres sont éloquents lorsque nous observons que les capacités mensuelles de mobilisation générales des recettes du Trésor sont entre 300 et 350 millions de dollars, tandis que les réserves de change du pays ont dépassé de quelque peu le milliard de dollars. Cependant, il n’est pas encore mis à jour une étude quantitative en RDC se rapportant à tous les effets induits des TIC dans d’autres secteurs régulés, étant entendu qu’elles constituent l’artère de l’économie et le sang de la compétitivité. L’Internet est une plateforme planétaire. Il apporte également ce phénomène d’enchaînement des parties du monde, du fait de la globalisation de l’économie et de la mondialisation des marchés. C’est ainsi que le défi de contrôle de l’assiette fiscale de l’économie numérique, telle que définie pose problème, à cause précisément de l’extra-territorialité et de la dématérialisation des activités numériques. Les grands groupes comme Google, Apple, Facebook, Amazon (GAFA) ont des chiffres d’affaires supérieures au budget des États. Mais ce sont des résultats réalisés sur l’ensemble des économies vers lesquelles leurs services sont dirigés, tandis que ces géants de l’Internet sont domiciliés fiscalement à Silicon Valley (Californie, États-Unis).

Comment arriver à prendre en compte L’économie numérique congolaise, les paramètres de l’économie numérique dans la législation ?

Depuis le 16 octobre 2002, le droit positif congolais comporte une législation sectorielle constituée de deux textes, à savoir : la loi-cadre n°013/2002 sur les télécoms et la loi n°014/2002 sur l’Autorité de régulation des postes et des télécommunications. Comme première critique : la loi-cadre sur les télécoms autorise la concurrence sur les services des télécoms, tandis qu’elle confère des droits exclusifs à l’exploitant public pour les infrastructures du « réseau de base ». A plusieurs égards, la réalité libérale du marché congolais contraste avec l’idéologie colbertiste que sa législation entretient encore. La « concession des services publics » est encore la conception dominante dans le pays, quinze ans après la législation de 2002. La loi est en inadéquation avec la réalité internationale du marché local, depuis sa promulgation. Légalement, le marché congolais reste encore dual comme ce le fut en France jusque 1996 : semi-ouvert (équipements et services) et semimonopolistique (infrastructures). La liberté de l’offre est garantie pour les services électroniques au détail (retail sale). En revanche, pour l’offre des services de transmission, constituant l’offre de gros (whole sale), l’exploitant public est désigné comme « opérateur de monopole ». Les premiers opérateurs privés exploitaient déjà le marché congolais des services des télécoms depuis 1989, avant leur libéralisation officielle par les lois sectorielles de 2002. De facto, la libéralisation s’avère totalement acquise. De jure, l’exploitant public bénéficie (symboliquement) de l’exclusivité de principe relative à l’exploitation des infrastructures de transmission des signaux de télécoms. À l’ère numérique, la régulation étatique sectorielle se trouve bouleversée et débordée. « régulation privée de l’Internet » s’est installée dans l’économie numérique, avec la propension pour la gestion privée de l’« ordre public numérique ». « Toute l’architecture technique de la « Toile » repose en effet sur une standardisation privée relevant d’un groupe informel : l’Internet Engineering Task Force » (IETF). Les idées de « contre-culture » du New Age et des thèses « anarcho-capitalistes » des libertariens alimentent l’économie numérique. netiquette, Aussi, les « sources pseudo-formelles privées » sont principalement la lex mercatoria et la lex electronica, mais aussi les règles émanant des géants américains de l’Internet (GAFTAM) ou encore de l’Internet corporation for assigned names and numbers (ICANN) quant à l’attribution, dans le monde entier, des noms de domaine, comme le TLD « .cd » pour la RDC encore hébergé et géré hors de son territoire. Indéniablement, l’économie est tributaire des progrès de la technique et de l’architecture de l’Internet, dont le fonctionnement dépend des normes fonctionnelles émanant d’entités privées comme l’ICANN, le W3C ou l’IETF. Et pourtant, l’ICANN n’est qu’une ASBL de droit californien, dont l’emprise technique est planétaire et répulsive des prétentions sur l’ONU. Il n’en demeure pas moins que même dans le monde numérique, l’État est là et doit toujours être là.

Quand vous parler de la régulation, comptez-vous créer une autre instance en dehors du ministère de l’économie, des PTNTIC et de l’ARPTC ?

Effectivement, la régulation connaît une nouvelle génération de difficultés propres à l’économie numérique. En effet, le site web implique l’utilisation de divers éléments tels que le texte, des éléments graphiques, sonores ou audiovisuels et nombre de ces mêmes sites exploitant la base de données, des recueils d’information . De ce fait, « la régulation de l’Internet » dépasse les seules questions d’équilibres du marché (des télécoms). Les opérateurs, transporteurs, hébergeurs, fournisseurs d’accès à l’Internet, en tant que prestataires techniques établis, demeurent sous l’autorité de régulation des télécoms. Les fournisseurs des contenus éditoriaux sont en principe sous la régulation des médias audiovisuels. Cependant, plusieurs autorités et entités nationales, internationales ou transnationales sont désormais impliquées dans la gestion de l’Internet concernant leurs objets techniques. Rien qu’en France, on compte moult régulateurs étatiques pour divers aspects de l’économie 2.0 : HADOPI, Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, DGCCRF, Direction générale du contrôle de la concurrence et de la répression de la fraude, ARJEL, Autorité de régulation des jeux en ligne, CSCE, Conseil de surveillance du commerce électronique, CNIL, Commission Informatique et liberté (pour les données personnelles), ARCEP, Autorité de régulation des communications électroniques et de la poste, CSA, Conseil supérieur de l’audiovisuel, etc. Pour la RDC, l’étroite collaboration entre tous ces types de régulateurs relève de l’interrégulation. Plus encore, des régulations de plusieurs natures interviennent dans la transversalité de l’économie numérique.

Est-ce que le pays a totalement basculé vers l’économie numérique pour qu’on le régule ?

Les chiffres sus-évoqués démontrent la popularisation de l’Internet dans le pays (avec plus de 13 millions d’abonnés à la télématique mondiale) ou encore celle du recours à la messagerie financière mobile (avec plus de 9 millions de souscriptions à la monnaie mobile, alors que le taux de bancarisation est de 21%). La convergence des industries est également une réalité avec l’entrecroisement des moyens de production et de consommation, liées à la mise en donnée des biens, des services et des valeurs grâce à la numérisation. L’administration électronique qui est le recours à l’informatisation dans les services publics de l’État est aussi un domaine balbutiant mais dans lequel l’État a engagé des réformes : Guichet unique de création d’entreprises, guichet unique intégral du commerce extérieur, génération des passeports biométriques, etc. Il se constate cependant un retard dans la migration la migration technologique de la télévision analogique vers la Télévision Numérique Terrestre (TNT). L’Arrêté interministériel n°CAB/M-CM/LMO/2015 et n°CAB/VPM/PTNTIC/TLL/0002/2015 du 25 avril 2015 porte la définition du paysage audiovisuel congolais, la récupération par l’État congolais des fréquences analogiques octroyées aux chaînes de télévision et l’interdiction d’importation en RDC des récepteurs analogiques. 21 Cette exigence découle de l’article 4 de l’Accord régional Genève GE-06 de l’Union internationale des télécommunications, mais oblige une extinction du signal analogique des chaînes de télévision actuelle en les obligeant de trouver des dispositions d’hébergement, de multiplexage et de diffusion numériques.

Le pays regorge-t-il des capacités nécessaires pour réguler l’économie numérique ? Quelle proposition ?

Dans son rapport 2016 sur le développement dans le monde, la Banque mondiale commande de renforcer le socle analogique des dividendes numériques. Cela signifie qu’il faut comprendre les transformations numériques de l’économie et intégrer les nouvelles dimensions et phénomènes des TIC : ubérisation de l’économie, usages applicatifs de l’intelligence artificielle (informatique embarquée), souveraineté numérique et intelligence économique. Il faut développer un groupe d’experts en TIC qui soit orienté vers la phénoménologie sociétale et le pragmatisme scientifique. Ces deux axes mêleraient, sur le plan organique, les atouts cognitifs de la technique, de l’économie, du droit du numérique pour des politiques publiques efficientes et des objectifs stratégiques de souveraineté sur les TIC, sans omettre la place de l’homme dans la trame de développement durable du pays. La grille des propositions est cumulative, pour une régulation de l’économie numérique efficace : la mise en cohérence des politiques publiques des secteurs régulés, la surveillance du marché et de la concurrence, la veille technologique, la réflexivité et la transversalité de l’interrégulation, l’académisation de la formation sur les enjeux de souveraineté numérique et d’intelligence économique. C’en fut autant et bien plus encore l’essence et le sens de notre thèse soutenue en Sorbonne et reçue avec les félicitations du jury pour un « droit de l’économie numérique en R.D.Congo à la lumière des expériences européennes et françaises ».

Rachel Kitsita
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