La libération surprise de Jean-Pierre Bemba, leader du Mouvement de libération du Congo (MLC), par la Cour pénale internationale(CPI) n’était pas dans le schéma de la majorité au pouvoir. Et en se déclarant candidat à la présidentielle du 23 décembre 2018, Bemba a presque donné des insomnies à cette MP convertie en FCC. Depuis la semaine dernière, la MP a déployé sur le terrain ses sbires pour descendre le président du MLC dont le retour au pays est annoncé le 1er août prochain.
André-Alain Atundu, porte-parole de la MP, y est allé à cœur joie, déclarant, sans avis préalable des autorités compétentes, que Jean-Pierre Bemba n’est pas éligible à la présidentielle de décembre 2018. Sa déclaration, relayée par d’autres ténors de la MP, a suscité une réaction en chaîne sur les réseaux sociaux. Ainsi, après Moïse Katumbi, président l’Ensemble pour le changement, qu’elle tente d’éloigner de la RDC afin de le disqualifier à l’élection présidentielle prochaine, la MP s’acharne maintenant sur Jean-Pierre Bemba, sa nouvelle cible.
En effet, la MP a encore frais en mémoire la grande bataille électorale de 2006 lorsque son autorité morale, Joseph Kabila, a affronté au second tour de la présidentielle le leader du MLC, Jean-Pierre Bemba. La MP craint de vivre le même cauchemar en décembre 2018.
D’où, la campagne qu’elle vient de lancer en vue de disqualifier – par des arguments juridiques taillés sur mesure – la candidature de Bemba à la présidentielle.
Mois d’août de tous les enjeux
Cependant, il faut dire que la bataille n’est pas gagnée à l’avance. De Bruxelles où il se trouve, en attendant son retour en RDC – programmé sauf imprévu le 1er août prochain – Jean-Pierre Bemba a déjà annoncé les couleurs. Les déclarations des ténors de la MP sur son inéligibilité ne l’ébranlent pas, rassure son entourage. Subira-t-il le même sort que celui réservé à Katumbi ? La MP aura-t-il des reins assez solides pour écarter Bemba de la course présidentielle ? De prime abord, la tâche ne sera pas facile pour la famille politique du chef de l’Etat.
Derrière la démarche de la MP, il y a un danger. C’est celui d’avoir en décembre 2018 des élections au goût de la MP. En réalité, la MP veut choisir ses challengers à la présidentielle de cette fin d’année. Aussi se sert-elle de tous les moyens d’Etat à sa disposition pour exclure de sérieux prétendants au trône présidentiel. Après Katumbi, la MP s’attaque maintenant à Bemba. Une démarche suicidaire pour la jeune démocratie congolaise. Avec qui devrait-on alors organiser la présidentielle du 23 décembre 2018 ? C’est là toute la question.
En décryptant cette attitude confuse de la MP, qui se veut à la fois juge et partie, il se dégage une évidence : la MP n’est pas encore prête à aller aux élections. Bien plus, elle ne voudrait même pas de ces élections qu’elle ne serait pas sûre de gagner.
Quid ? En difficulté certaine pour imposer un 3ème mandat à son autorité morale, la MP multiplie des provocations pour faire dérayer le processus électoral.
Le credo, selon plusieurs observateurs, serait le suivant : soit Joseph Kabila est candidat, soit on renvoie les élections aux calendes grecques. Et des stratagèmes ont été imaginés pour arriver au blocage du processus électoral encours.
Auparavant, la seule bête noire de la MP était Moïse Katumbi. Affaires judiciaires en série, privation de passeport, tout est bon pour écarter celui qui a osé s’opposer au troisième pénalty de la MP, à savoir le troisième mandat de Joseph Kabila. Au moment où elle avait cru la voie déblayée, une nouvelle bête noire s’est ajoutée à son cauchemar, à savoir Jean-Pierre Bemba ; le leader du MLC, que la CPI venait d’acquitter à la surprise générale. Mais, restant égale à elle-même quant à sa détermination à écarter du jeu électoral tous les adversaires sérieux, la MP s’est lancée dans un juridisme désuet.
Cas Katumbi. L’avocat du candidat d’ensemble pour le changement à la prochaine élection présidentielle a démontré récemment, documents à l’appui, que rien ne pouvait empêcher son client de rentrer au pays ni de poser sa candidature. D’abord, l’affaire des mercenaires a été renvoyée en octobre, du fait des irrégularités flagrantes dont elle est entourée au niveau de la procédure.
Ensuite, la ville italienne de San vito dei normani a démenti avoir dans ses registres de l’Etat civil un nommé Moïse Katumbi ; ce qui a mis fin à l’affaire de double nationalité dont la MP s’était délectée. Enfin, l’affaire Stoupis est pendante en justice du fait de l’appel interjeté par la défense de Moïse Katumbi.
Cas Bemba. Le leader du MLC a été acquitté des charges principales pour lesquelles il a passé indument dix ans des les geôles de la CPI. Du coup, il a été relaxé, bénéficiant de la liberté provisoire en attendant que la Cour se prononce sur l’autre affaire dite de subornation des témoins et pour laquelle la défense de Jean Bemba est allée en appel en opposition au jugement rendu au niveau de chambre de 1ère instance de la CPI.
Au regard de ce qui précède, il est vraiment prématuré d’affirmer que les deux personnalités politiques congolaises seraient d’office disqualifiées aux prochaines scrutins. Il s’agirait d’une lecture sélective de l’article 10 de la loi électorale. Aucun de deux candidats à la présidentielle n’est frappé par les alinéas 1,2 et 3 de cet article. Ils ne sont pas concernés par des décisions de justice irrévocables. Il n’y a pas lieu d’invoquer, en ce qui les concerne, le principe de la force de la chose jugée.
Raison pour laquelle, les proches de Katumbi et de Bemba indiquent que la MP joue un mauvais jeu et n’a pas l’intention de favoriser les élections démocratiques, sans exclusive, apaisées et transparentes. Toutes les déclarations que les propagandistes distillent dans les médias sont le fruit d’interprétations erronées destinées à créer des tensions dans l’opinion nationale.
Le fond du problème c’est que la MP ne se repent pas d’avoir raté de faire sauter le verrou de l’article 220 de la Constitution qui disqualifie son autorité morale au prochain scrutin présidentiel. Son ire peut se comprendre mais delà jusqu’à vouloir tout bloquer ou faire sauter le processus électoral, il y a un sursaut d’éthique qui devrait interpeller la MP.
A tout prendre, sans Katumbi ni Bemba à la course présidentielle, on voit mal comment la RDC pourrait prétendre être un pays démocratique rassurer tous les partenaires quant à la tenue d’élections apaisées et véritablement inclusives à la fin de cette année.
Le Potentiel