La question sur l’éligibilité de Jean-Pierre Bemba continue à faire couler encre et salive.


 Elvis Mayo Bieme Ngalisame, avocat inscrit au Barreau de Kinshasa- Gombe et CEO de BIEME LAW FIRM, structure d’exercice libérale spécialisée en droit, finance et stratégie politique, démontre, à la lumière du droit, qu’il n’y a pas lieu à faire confusion entre la corruption et la subornation de témoin. « Prétendre la confluence de la subornation de témoin avec l’article 147 bis pt 7 du code pénal, qui range parmi les éléments constitutifs d’actes de corruption le fait d’utiliser la fraude pour échapper ou faire échapper autrui aux obligations fiscales, douanières et administratives, serait une entreprise scabreuse car ces dernières obligations sont à mille lieues de l’affaire Bemba à la CPI », conclut-il.

 Diplômé de HEC Liège, de l’Université de Kinshasa et de l’Académie de droit international de La Haye, cet avocat inscrit au Barreau de Kinshasa- Gombe a accepté de répondre aux préoccupations de l’opinion, à travers TIMES.CD, sur les contours de ce débat préélectoral.

TIMES.CD : Des théoriciens du droit et des personnalités politiques se contredisent sur l’éligibilité ou non du Sénateur Jean-Pierre Bemba à la magistrature suprême pour les élections du 23 décembre 2018. Maître, que dites-vous de l’interprétation de l’article 10-3 de la loi électorale dans le cas d’espèce ?

 Me Elvis Mayo: Complémentaire à l’article 72-4 de la Constitution sur les cas d’exclusion à l’éligibilité, l’article 10-3 de la loi électorale met en relief les personnes condamnées par un jugement irrévocable du chef de corruption. C’est sur cette infraction de corruption, prévue par les articles 147 et suivants du code pénal, que les partisans de l’inéligibilité du sénateur Bemba s’attachent en faisant usage d’une interprétation analogique avec l’infraction de subornation de témoin figurant à l’article 129 du même code.

Certes, cette disposition claire et précise présente peu de problèmes, mais devant les enjeux de l’heure, elle nécessite une interprétation aux fins de lumière du passage de la règle abstraite au cas concret à résoudre ; il n’est donc pas question ici de prétendre qu’une loi claire ne s’interprète pas en évoquant la maxime latine « interpretario cessat in claris ». Une démonstration est requise.

En effet, les autres disciplines juridiques admettent l’interprétation extensive, voire analogique. Mais l’interprétation pénale quant à elle, est stricte (poenalia sunt restringenda).

L’interprétation analogique, brandit par le camp pro inéligibilité, consiste à étendre l’application de la loi des cas qu’elle a expressément prévus, à d’autres cas qu’elle n’a pas prévus, mais qui présentent une ressemblance avec les cas prévus ». Signalons d’ores et déjà que l’analogie, qu’elle soit intra, extra ou contra legem est rejetée en droit pénal.

L’autonomie du droit pénal se manifestant particulièrement en matière d’interprétation, il est une aberration d’entretenir une confusion entre les deux infractions dès lors que la loi les distingue en toute netteté. Persister sur ce sentier n’est que la manifestation d’une intention malveillante.

TIMES.CD : Pourquoi affirmez-vous qu’il n’y a pas lieu à faire confusion entre la corruption et la subornation de témoin ?

Me Elvis Mayo : Permettez-moi d’éclairer de manière purement pratique :

Ceux qui s’obstinent dans cette confusion seraient tenté de soutenir les prescrits de l’article 147-4 du code pénal qui range dans la corruption : les actes ou pratiques, y compris les infractions assimilées, prohibés visés par la loi pénale.

Il est de notoriété que la rigueur du droit pénal exige que la loi cite des cas assimilés s’il le faut ; tel est le cas de la législation pénale congolaise qui s’y active avec l’infraction de la banqueroute.

Aussi, ils n’auront pas gain de cause en cas d’une éventuelle application de l’article 149 du code pénal sur les circonstances aggravantes de la corruption « …. Constituent des circonstances aggravantes et seront punis des peines prévues à l’alinéa précédent : 1. Les actes de corruption active ou passive ayant pour but d’entraver au bon fonctionnement de la justice, notamment le fait de promettre, d’offrir ou d’accorder un avantage indu pour : a) Obtenir un faux témoignage ou empêcher un témoignage ou la représentation d’éléments de preuve dans une procédure en rapport avec la commission de l’un des actes prévus par l’article 147 bis ; … » vu que les caractères « agent public, exercice de ses fonctions, administration publique » n’auront d’assise juridique dans le cas du procès en cours à la CPI.

Prétendre la confluence de la subornation de témoin avec l’article 147 bis pt 7 du code pénal, qui range parmi les éléments constitutifs d’actes de corruption le fait d’utiliser la fraude pour échapper ou faire échapper autrui aux obligations fiscales, douanières et administratives, serait une entreprise scabreuse car ces dernières obligations sont à mille lieues de l’affaire Bemba à la CPI.

Bref, loin d’être assimilée à la corruption, la subornation de témoin n’est qu’une action exercée sur autrui, au cours d’une procédure ou en vue d’une demande ou défense en justice, pour le déterminer, soit à faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation mensongère, soit à s’abstenir d’une telle activité. Elle demeure ainsi infraction pénale qu’elle soit ou non suivie d’effet.

TIMES.CD : Quelle incidence dans ce cas avec la législation internationale incarnée par la CPI ?

Me Elvis Mayo : Dans l’affaire portant sur la subornation des témoins, Jean –Pierre Bemba a été déclaré coupable d’atteintes à l’administration de la justice. La compétence de la CPI trouve sa base dans l’article 70 des statuts de Rome. A ce sujet, il est dit que « 1. La Cour a compétence pour connaître des atteintes suivantes à son administration de la justice lorsqu’elles sont commises intentionnellement : c) Subornation de témoin, manœuvres visant à empêcher un témoin de comparaître ou de déposer librement, représailles exercées contre un témoin en raison de sa déposition, destruction ou falsification d’éléments de preuve, ou entrave au rassemblement de tels éléments ; … ».

Le sénateur est donc poursuivi pour subornation des témoins par une instance internationale. Pour rappel, notre système juridique consacre la primauté de l’ordre international sur l’ordre interne, et la prévalence des traités sur les lois de la République.

Donnant un tour de vis à notre approche, l’article 22-2 des statuts de Rome consacre le principe Nullum crimen sine lege en ces termes : « La définition d’un crime est d’interprétation stricte et ne peut être étendue par analogie. En cas d’ambiguïté, elle est interprétée en faveur de la personne qui fait l’objet d’une enquête, de poursuites ou d’une condamnation ».

En sus, pour l’article 23 de ces statuts, une personne qui a été condamnée par la Cour ne peut être punie que conformément aux dispositions du Statut (Nulla poena sine lege).

De là, la recherche d’une rencontre conflictuelle entre corruption et subornation de témoin est inexistante même dans l’arsenal juridique international que d’aucun voudrait voir une application de plano dans la rubrique électorale en RD Congo.

TIMES.CD : Maître, le doute sur la question pourrait-il bénéficier au candidat du MLC ?

Me Elvis Mayo : A rebours de ce développé supra, il pourrait, par hypothèse miraculeuse, avoir doute sur l’application de cette disposition légale. Et, les autorités judiciaires trancheraient.

Mais, j’attire aussi l’attention des partisans de la thèse de l’éligibilité du sénateur que, dans l’absolu, le doute sur le sens de la loi ne profite pas nécessairement au prévenu.

Je termine mon propos en paraphrasant François Laurent qui écrivait dans ses « Principes de droit civil, tome I, 1869 » que « Le respect de la loi, tel est le premier devoir de l’interprète (…) le juge n’est point le ministre de l’équité, il est l’organe et l’esclave de la loi ».





Interview réalisée par Tchèques Bukasa/TIMES.CD
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