Le régime en place doit accepter la défaite mais refuse de céder le pouvoir. Les tractations sont en bonne voie avec le duo Tshisekedi – Kamerhe (Cach).

Tout était prêt dans les rangs du FCC (la plateforme de la majorité présidentielle) pour faire la fête et célébrer comme il se doit la victoire d’Emmanuel Shadary Ramazani, le dauphin du président hors mandat Joseph Kabila.

Mais à la veille de ce week-end, alors que Corneille Nangaa, le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), annonçait le possible report de la proclamation des résultats provisoires de la présidentielle, la majorité commençait à vraiment comprendre qu’il allait être très compliqué de prétendre à la victoire. En effet, les scores enregistrés par leur candidat face au raz-de-marée de Martin Fayulu, le candidat de la plateforme de l’opposition Lamuka. Le scrutin tissé de fil blanc et la belle assurance du patron de la Ceni ont été balayés par une ferveur populaire que le régime n’avait pas vu venir.

L’écart en voix est abyssal. Le taux de participation trop faible (inférieur à 50% surtout à cause des soucis techniques liés à la machine à voter) pour prétendre réinjecter des millions de bulletins de votes en faveur de Shadary. En face, l’opposition (la plateforme Lamuka) a su mettre sur pied une structure de contrôle et de collecte des voix qui va lui permettre d’obtenir rapidement des milliers de procès-verbaux issus des bureaux de vote, l’Eglise catholique fait encore mieux. Dans les rangs de la majorité, la coupure d’Internet, prévue pour être imposée à la fermeture des bureaux de vote, doit être reportée. Le système de remontée des données initié par la Ceni via un canal parallèle ne fonctionne pas. Ces quelques heures sans black out vont faire toute la différence.

L’opposition et l’Église comprennent rapidement que le candidat de la majorité essuie une débâcle. L’Eglise additionne. Martin Fayulu, donné largement vainqueur, évite de claironner. Dans l’autre camp de l’opposition chez Cap pour le Changement (Cach), le duo Félix Tshisekedi – Vital Kamerhe se retouve, une fois de plus, au milieu du gué. Les deux hommes ont claqué la porte de Lamuka, moins de 24 heures après avoir participé à la désignation de Martin Fayulu à Genève lors d’une réunion des principaux leaders de l’opposition. « Une trahison », n’hésitait pas à dire Jean-Pierre Bemba, une des têtes de proue de ce mouvement avec Moïse katumbi, le 15 novembre. Impossible désormais de faire marche arrière pour Kamerhe et Tshisekedi. Les premières tractations avec le régime Kabila commenceront dès le jour de l’an. A ce moment-là, tout le monde est conscient que l’équipe de Lamuka a raflé la mise, l’ampleur de cette victoire reste à déterminer.

Dans les QG politiques, dans les chancelleries, ces contacts ne sont pas secrets. Kinshasa, ville de plus de 12 millions d’habitants demeure, dans son centre décisionnel, un vrai village où tout se sait.

Shadary de plus en plus affaibli

Au début des tractations, le régime concède qu’une entente est possible mais uniquement si Shadary occupe le premier rôle. Il faut encore se répartir les postes.

« Plus les heures passent, plus les remontées chiffrées sont catastrophiques pour le régime », relève un politologue présent à Kinshasa. « La proportion prise par le phénomène Fayulu est complètement inattendue. » Le balancier lâché par la majorité FCC lui revient en pleine figure. Le tandem Tshisekedi – Kamerhe n’en démord pas. Ils ont suffsamment d’avance sur Shadary pour revendiquer la présidence pour Félix Tshisekedi et la présidence du Sénat pour Vital Kamerhe. Kabila n’en veut pas. Il connaît les deux hommes et leur versatilité.

La Ceni a répété qu’elle annoncerait les résultats partiels pour le dimanche 6 janvier. Pas certain que le tripatouillage sera fini. Nangaa annonce qu’un report est possible, que le dépouillement est très difficile. Entre-temps, l’Eglise catholique a annoncé qu’elle disposait de suffisamment de données pour connaître le nom du vainqueur. Mais sans révéler ce nom, les évêques catholiques veulent rester dans la légalité, quoi qu’en disent les communicants du clan Kabila qui tentent, eux, de semer le trouble et cherchent un bouc émissaire en cas d’éventuels violences plus que prévisibles après l’annonce de la non-victoire de Martin Fayulu. « Les Congolais savent pour qui ils ont et pour qui ils n’ont pas voté », résume un prêtre congolais qui rappelle : “nous n’avons même pas donné d’indication sur la famille politique, ni laissé entrevoir s’il s’agissait d’un candidat de la majorité ou de l’opposition” Plus qu’une nuance qui a échappé et à la Ceni et au pouvoir en place qui continuent de cibler l’Église catholique.

Autre souci pour la Kabilie, une nouvelle réunion du Conseil de sécurité des Nations unies est prévue pour ce mardi 8 janvier. Joseph Kabila veut avoir annoncé le résultat provisoire pour cette date pour éviter que le Conseil ne soit tenté de venir mettre son nez dans ses affaires.

Qui plus est, en annonçant la victoire d’un des opposants, le régime entend aussi embarrasser le clergé catholique et obliger l’autre grande famille de l’opposition à sortir de ses gonds. Le président hors mndat se donnerait alors le beau rôle, au-dessus de la mêlée en ayant joué “le jeu démocratique”.

Imposer ce choix

Trois soucis toutefois : il va falloir faire passer cette annonce auprès d’une population qui a massivement rejeté le pouvoir et qui n’a pas adhéré au tandem Tshisekedi – Kamerhe. Ce sera d’autant plus difficile à l’ouest du pays de Kisangani à Matadi, en passant par Bandundu ville, Mbandaka, Kinshasa ou Boende… Plus de 42 % de la population. Dans l’ex-Katanga, berceau de Moïse Katumbi, la tension est déjà palpable et il en va de même dans le Nord-Kivu.

Ensuite, il faudra encore gérer le résultat des législatives. Selon les premiers résultats, les candidats de la majorité ont trinqué.

Enfin, comment “gérer” la présidence de Félix Tshisekedi ? Sur ce point, la majorité est sereine, la candidature du potentiel futur président est entachée d’un souci majeur : la validité des diplômes de l’enseignement supérieur belge présentés par le candidat. La Cour constitutionnelle a fermé les yeux, mais si la démonstration devait être faite qu’il s’agissait vraiment de faux, les juges pourraient être tentés d’annuler les élections… Et tout repartirait pour un long tour.

Corneille Nangaa a annoncé dimanche en soirée que l’annonce du résultat provisoire était reporté et que ce report aurait – évidemment – des conséquences sur les prochains rendez-vous comme l’annonce officielle du vainqueur et la passation de pouvoir.

Joseph Kabila a encore gagné quelques jours. La population, elle, reste largement mobilisée. Partout de Lubumbashi à Kinshasa, de Kisangani à Matadi, les mêmes témoignages nous reviennent en boucle. “On veut connaître le nom de notre futur président, on ne veut plus se faire voler le scrutin.” Dans le même temps, dans les grandes villes, tous les témoignages font aussi état d’une présence policière renforcée, d’interventions musclées d’hommes en uniforme contre des membres de l’opposition, comme à Dilolo, dans le Lualaba (issu de l’ex-Katanga) où des hommes de la garde républicaine ont pourchassé un opposant qui avait eu le malheur de faire remonter des clés USB avec des résultats dans le QG de Lamuka.


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