Félix Tshisekedi a lancé ce samedi 2 mars une série de travaux urgents à réaliser dans les 100 jours qui doivent symboliser l’impulsion qu’il entend donner à son mandat. Dans le même temps, Emmanuel Ramazani Shadary, le dauphin malheureux de la présidentielle qui a repris son bâton de secrétaire permanent du PPRD, le parti de Joseph Kabila, expliquait devant les élus nationaux et provinciaux de cette formation, que le poste de Premier ministre et celui de président de l’Assemblée nationale devaient naturellement revenir à leur formation qui, avec ses 116 sièges à l’Assemblée nationale, est de loin le premier parti de l’Hémicycle.

Une vérité arithmétique qui respecterait la Constitution et qui permettrait à la Kabilie de conserver les principales rênes du pouvoir exécutif et celles du pouvoir législatif. Le tout viendrait s’ajouter à la mainmise sur le pouvoir judiciaire. Kabila resterait donc le seul vrai maître à bord.

Mais tout n’est pas aussi simple et des tensions sont palpables entre les deux familles qui ont officiellement remporté les scrutins organisés le 30 décembre dernier : Cach et FCC.

La désignation du Premier ministre qui devrait intervenir à partir du 15 mars quand le bureau de l’Assemblée nationale sera installé, en dira plus sur les relations entre les deux clans.

Tshisekedi a régulièrement répété qu’il voulait passer par un informateur avant de désigner le candidat Premier ministre. Joseph Kabila n’en veut pas. Assez perdu de temps, selon son camp. Le porte-parole de la majorité parlementaire, André-Alain Atundu ne dit rien d’autre quand il explique chez nos confrères de Jeune afrique que « le président Tshisekedi n’a pas besoin de passer par un informateur ». Avant de continuer, « la majorité est bien identifiée et le Premier ministre sera issu des rangs du FCC. C’est la logique constitutionnelle. »



Au lendemain du verdict des élections du 30 décembre, Vital Kamerhe, le colistier de Félix Tshisekedi, se serait bien vu à la tête du gouvernement. La présidence de l’Assemblée nationale, il y avait déjà goûté quand il avait encore l’étiquette PPRD. Reprendre ce poste était donc difficilement concevable. Par contre, la tête du gouvernement, le tentait. Mais, rusé, et ayant, surtout, reçu rapidement des messages musclés du pouvoir sortant, il a vite compris qu’il ne devait pas rêver. Il s’est donc rabattu sur le poste de directeur de cabinet de la présidence.

Le Congo reste gouverné depuis Kingakati



La Kabilie veut conserver coûte que coûte les deux postes et ne veut pas prendre le risque d’un quelconque débat. Avec les 116 députés PPRD sur les 341 députés nationaux du FCC (sur 500 sièges), il ne veut même pas ouvrir la discussion.

C’est ce que le président sortant à fait comprendre à tous les autres membres du FCC quand il les a réunis le 20 février dans sa ferme de Kingakati où ils ont tous été priés de signer sous les yeux du boss, un acte d’engagement qui avait toutes les allures d’un acte d’allégeance.

Qui comme candidat ?

Tshisekedi pourra-t-il imposer son informateur ? Rien n’est impossible mais il s’agirait d’un pied-de-nez à la Kabilie qui pourrait être mal vécu. « En même temps, s’il devait le faire, tant qu’il valide rapidement le choix de Kabila, ce serait juste de la Com' », explique un élu du PPRD. « Mais Tshisekedi a déjà pris beaucoup de libertés et il a bien fait sa pub, il est temps qu’il renvoie l’ascenseur. »

Bref, dans les rangs du FCC, on verait d’un mauvais oeil la désignation d’un informateur.



Reste ensuite à Kabila à jouer l’équilibriste au sein de sa majorité pour satisfaire un maximum de personnes. Après la réunion de Kingakati du 20 février, d’autres réunions se sont multipliés, les chefs de file de toutes les formations qui comptent au sein du FCC ont été reçus. Kabila les a écoutés et a présenté son scénario. Il s’agissait de voir la réaction de tous les partenaires face aux noms qui étaient donnés.

Albert Yuma serait toujours le candidat préféré de l’ex-président. Il a l’avantage de ne pas avoir été dans les précédentes équipes gouvernementales. Surtout; il est Katangais et ceux-ci ont besoin d’être rassurés après avoir vu le pouvoir leur échapper au profit d’un Kasaïen. Son handicap ? Sa gestion calamiteuse de la Gécamines et ses liens très étroits avec les milieux affairistes. A Washington, l’homme n’est pas vraiment en odeur de sainteté.

Tshisekedi, lui, sur la short list qui circule, préfèrerait Henry Yav, ministre des Finances, aussi Katangais mais jugé plus ouvert à la discussion que Yuma.

Côté katangais, le nom de Henri Mova, ministre sortant de l’Intérieur est aussi cité, mais lui aussi traine quelques « casseroles » qui passent mal sur la scène internationale, notamment la mobilisation des « bérets rouges » lors des « marches des catholiques ». Reste, Emmanuel Ramazani Shadary. Lui est candidat et ne le cache pas. Il bénéficie toujours de soutiens familiaux dans le clan Kabila malgré sa défaite à la présidentielle dans un contexte, il faut lui laisser, particulièrement difficile. Mais lui est carrément toujours sous sanctions européennes.

Eviter la dissolution de l’Assemblée nationale



Joseph Kabila a bien joué jusqu’ici. En dehors de la présidence, il peut tirer sur toutes les ficelles du pouvoir. Mais en ayant été obligé de céder la présidence, il sait qu’il est à la merci d’une dissolution des Chambres par le président, un an après leur installation. C’est constitutionnel !

Tshisekedi peut tenter de rebattre les cartes en mars 2020. Il faut donc le ménager. Les sanctions américaines de fin février contre Nangaa, Basengezi père et fils, Minaku (le président de l’Assemblée nationale) et Lwamba (président de la Cour constitutionnelle), même s’il s’agit de sanctions pour des faits de corruption ou d’entraves aux droits de l’homme, ciblent les ordonnateurs des élections de décembre dernier. Un suffrage qui a installé le pouvoir de Tshisekedi à la présidence et du FCC au Parlement, mais un scrutin dans lequel plus personne ne croit. En posant cette sanction, Washington peut espérer détricoter la machine électorale congolaise et faire réfléchir les prochains organisateurs des futurs scrutins.



De quoi donner des idées à Tshisekedi pour chercher à renverser les équilibres au printemps 2020 ?

Dans la Kabilie, certains ne cachent pas leurs craintes d’un coup de poignard dans le dos de la part de Tshisekedi. D’autres préfèrent se dire que l’attelage Cach – FCC peut durer des décennies… A condition de continuer à s’asseoir sur la volonté de la population congolaise. Car, même si l’amnésie est un mal qui ronge nombre de Congolais au pouvoir ou qui flirtent avec celui-ci, si l’on s’en tient aux chiffres fournis par la Cenco ou par les fuites de la Ceni, ce duo Cach-FCC à la présidentielle ne fait à peine plus que la moitié du candidat de Lamuka.

L’assise du pouvoir de ceux qui prétendent cogérer le pays est insuffisante pour espérer vraiment durer démocratiquement.

Les équilibres à trouver sont particulièrement compliqués. Au sein du PPRD, personne n’a oublié la promesse faite au moment des discussions autour de la réforme de la loi électorale au sein de la majorité kabiliste. Ce jour-là, alors qu’ils sont enregistrés à leur insu, Minaku et Mova promettent à leurs camarades de combat qu’ils ne devront plus « partager le gâteau » du pouvoir « qui ne s’élargit pas ».

Seize mois plus tard, le gâteau n’a en effet pas gonflé mais les portions devront inévitablement être plus réduites car il faudra partager non plus avec le groupuscule qui entourait le Premier ministre Bruno Tshibala mais avec les « nouveaux partenaires de Cach ». Des promesses ne pourront être tenues de part et d’autres et les déçus seront légion. « Il n’y en aura pas pour tout le monde », poursuit notre élu du PPRD, « Sans oublier les appels du pied qui sont fait aux membres de Lamuka. Si on veut qu’ils viennent, il faudra aussi leur donner des biscuits. »

Bref, une arithmétique compliquée va se mettre en place.

Certes, dans ce jeu d’échecs, Kabila sait qu’il détient trois pions majeurs en conservant le contrôle de l’armée, de la Police et des Renseignements. Trois piliers qui vont aussi encore se renforcer. Bref, cette cohabitation risque d’être aussi nerveuse que compliquée.


La Libre Afrique
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