C’est un tsunami politique qui vient de s’abattre sur la petite arène politique congolaise. Le très puissant directeur de cabinet du président Félix Tshisekedi, Vital Kamerhe, a été interpellé et placé en détention provisoire ce mercredi, après avoir été entendu pendant plus de cinq heures par le parquet national de Kinshasa.

La tristement célèbre prison centrale de Makala n’avait pas hébergé de prisonnier aussi prestigieux depuis l’ère coloniale. Avant sa mise aux arrêts, le principal collaborateur du chef de l’Etat devait s’expliquer devant le procureur général sur la passation de marchés publics et les décaissements de fonds alloués aux travaux d’urgence des 100 jours, initiés par le président Tshisekedi.

Des budgets qui explosent



Le programme des 100 jours était l’une des mesures phares de Félix Tshisekedi en 2019. Un budget de 497 millions de dollars était annoncé pour des travaux d’infrastructures dont manque cruellement la République démocratique du Congo (RDC). Projet le plus emblématique : les « sauts-de-mouton », ces autoponts censés désembouteiller la capitale Kinshasa.

Sur les ondes, Vital Kamerhe annonce alors que les travaux du programme des 100 jours sont réalisés à 70 %. Mais sur le terrain, les Kinois ne voient que des chantiers inachevés ou jamais entamés. 25 millions de dollars avaient été alloués pour la construction des ponts autoroutiers de Kinshasa. Mais rapidement, le budget passe à 46 millions, et les soupçons de détournement ou de malversation commencent à se faire jour.

L’affaire des 15 millions



Un banquier et trois chefs d’entreprise ont déjà été entendus et placés en détention sur le financement du programme des 100 jours. Certains ont été depuis remis en liberté, mais beaucoup ont sans doute parlé devant les juges.

Depuis, le nom de Vital Kamerhe est sur toutes les bouches. Surtout que le directeur de cabinet et allié politique de Félix Tshisekedi a également été associé à un autre soupçon de détournement d’argent public : l’affaire des 15 millions. Fin 2019, 15 millions de dollars qui auraient dû rentrer dans les caisses de l’Etat se volatilisent après avoir été placés sur un compte d’une banque privée.

Vital Kamerhe, qui a fait suspendre deux enquêtes menées par l’Inspection générale des finances, est rapidement mis sur la sellette, mais il nie la disparition des 15 millions et dénonce « une cabale politique ».

La machine judiciaire accélère



Si l’affaire des 15 millions a créé un certain malaise à la présidence, Félix Tshisekedi finit par soutenir à demi-mot son directeur de cabinet, parlant d’une simple « rétro-commission ». Mais sur le financement des 100 jours, le nouveau président congolais, qui a fait de la lutte contre la corruption la priorité de son programme, se montre plus offensif.

Il faut dire que dans son propre parti, l’UDPS, un vent de fronde se lève contre Vital Kamerhe, avec à sa tête son président intérimaire, Jean-Marc Kabund. Alors, en février 2020, Tshisekedi demande un audit du chantier des « sauts-de-mouton ». La justice s’en mêle, et l’audition des différents chefs d’entreprise impliqués dans ces travaux réussit à convaincre le procureur général de Kinshasa d’accélérer la machine judiciaire et de convoquer Kamerhe.

Kamerhe, un « intrus » à la présidence



Ce coup de tonnerre judiciaire aura également de lourdes retombées politiques. Vital Kamerhe reste un allié politique de taille pour Félix Tshisekedi. Lors des élections générales de 2018, Tshisekedi et Kamerhe avait formé un ticket pour la présidentielle.

A Nairobi, les deux hommes avaient signé un accord politique, qui avait vu Vital Kamerhe se désister en faveur de Tshisekedi. Un accord qui prévoyait que lors de la prochaine présidentielle de 2023, Tshisekedi devait soutenir Kamerhe. Après les élections, le patron de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) a été nommé directeur de cabinet de la présidence. Un poste-clé pour ce fin connaisseur des rouages de la machine d’Etat.

Kamerhe avait notamment été l’un des principaux bras droit de Joseph Kabila, avant d’occuper la présidence de l’Assemblée nationale. Mais l’arrivée de cet « intrus » dans le premier cercle de Félix Tshisekedi a été mal vécu par les caciques de l’UDPS, qui se voyaient ainsi ravir un poste stratégique et une connexion directe avec le nouveau chef de l’Etat. Vital Kamerhe a concentré beaucoup de jalousies au sein des « faucons » de l’UDPS.

2023 dans toutes les têtes



Du côté de l’UNC, si on affirme que la détention provisoire de Vital Kamerhe ne vaut pas inculpation, et encore moins condamnation, on y voit tout de même une instrumentalisation politique de la justice. Car si certains collaborateurs de Félix Tshisekedi n’ont jamais goûté la présence de Vital Kamerhe à la présidence, certains kabilistes ne sont pas mécontents de la mésaventure judiciaire qui arrive à leur ancien allié, souvent qualifié de « traître » dans les rangs pro-Kabila.

En tout cas, la détention de Vital Kamerhe rebat les cartes de la majorité présidentielle et de l’alliance UDPS-UNC au sein de la coalition CACH. A l’UDPS, cela fait plusieurs mois que certains membres demandent la rupture de l’accord de Nairobi avec l’UNC. Un accord qui serait devenu « caduc » selon eux. Car en ligne de mire pour l’UDPS, il y a la présidentielle de 2023.

L’arrestation de Vital Kamerhe et sa possible inculpation pourrait l’empêcher de présenter sa candidature et laisserait la voie libre à Félix Tshisekedi pour solliciter un second mandat.

Un signal fort dans la lutte anti-corruption



Dans ce grand chambardement, Félix Tshisekedi, dont peu imagine qu’il soit à la manoeuvre derrière les ennuis judiciaires de Vital Kamerhe, se retrouve dans une position bien inconfortable. « L’affaire Kamerhe » le fragilise autant qu’elle peut le renforcer. En interne, la mise en retrait du directeur de cabinet devrait contenter les membres les plus radicaux de l’UDPS. Tshisekedi pourrait ainsi renouer avec la base de son parti.

Au yeux des Congolais, le nouveau président pourrait également en tirer quelques bénéfices. Dans sa lutte affichée contre la corruption, nombreux espéraient des actes forts… qui se faisaient attendre.

L’audition et la détention de Vital Kamerhe, un proche de la présidence, pourrait être un signal positif envoyé à ceux qui doutaient de la volonté du nouveau président de lutter contre les corrompus. Personne n’est désormais intouchable. Et certains caciques de la kabilie, aux commandes d’entreprises publiques, pourraient également être inquiétés.

Enfin, l’absence forcée de Vital Kamerhe serait l’occasion pour Félix Tshisekedi de se choisir un membre de l’UNC qui lui soit plus favorable pour remplacer Vital Kamerhe à la tête du cabinet présidentiel.

Le pari risqué du grand ménage



Mais la mise en détention provisoire de l’un des collaborateurs-clé du chef de l’Etat le fragilise également. Félix Tshisekedi lui-même pourrait être inquiété par de possibles détournements d’argent au sein de sa propre présidence.

Le président se retrouve également privé du chef de file de son principal allié politique, l’UNC. Dans son bras de fer permanent avec le FCC de Joseph Kabila, le poids politique de l’UNC au parlement pourrait lui faire défaut.

C’est un pari risqué que tente aujourd’hui Félix Tshisekedi : celui d’entamer le grand ménage de la corruption au Congo. Pour cela, il lui faudra l’appui sans condition de la justice congolaise. Une institution qui, pour l’instant n’a pas brillé par son indépendance, et reste encore issue des nombreuses années de pouvoir sans partage de Joseph Kabila.

Un signal fort de l’indépendance retrouvée de la justice congolaise, serait la mise en cause de proches de l’ancien chef de l’Etat, dont un certain nombre sont déjà cités dans de nombreuses affaires de malversations financières, mais qui pour l’instant, n’ont jamais été inquiétés.

Christophe Rigaud
Afrikarabia
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