La politique à Kinshasa est en plein bouleversement : la coalition entre le président Félix Tshisekedi et Joseph Kabila s’est effondrée, entraînant une reconfiguration radicale du pouvoir dans le pays. En cette période d’intrigues politiques, peu de choses ont cependant été faites pour répondre aux besoins du peuple congolais.

Des discussions de fond sur la manière de transformer l’État et l’économie ont été mises en veilleuse. Le pouvoir est, au moins pour l’instant, une fin en soi, et non un moyen de développement économique ou de changement social.

La stratégie au sein du camp présidentiel semble consister à « prendre d’abord le pouvoir afin de sortir de cette coalition maladroite avec Kabila et, ensuite, à retrousser les manches » comme me l’a expliqué un des alliés du chef de l’État au Parlement. En effet, la devise d’Étienne Tshisekedi, « le peuple d’abord »  que les partisans de son fils ne cessent de lui rappeler lors des rassemblements a laissé place à l’exhortation de Kwame Nkrumah : « Cherchez d’abord le royaume politique et tout le reste suivra ».

Les tactiques politiques ne font pas un plan de réforme

Tshisekedi a connu un succès surprenant en ce qui concerne son émancipation politique. Il y a deux ans, les journalistes décrivaient Kabila comme le pouvoir derrière le trône, et l’opposition affirmait que Tshisekedi n’était que sa marionnette. Après tout, l’élection de ce dernier en 2018 est largement controversée. Aussi le Parlement, le gouvernement et les exécutifs provinciaux étaient encore tous dominés par des fidèles de Kabila. Mais, à partir du début de l’année dernière, Tshisekedi a commencé à arracher le pouvoir à son allié de la coalition. Il a remanié les officiers de l’armée, nommé trois nouveaux juges à la Cour constitutionnelle et a changé le conseil d’administration de la plus grande compagnie minière de l’État. Ces mesures ont culminé le 10 décembre 2020 avec la destitution de Jeanine Mabunda, alors présidente de l’Assemblée nationale. Le 5 février, Alexis Thambwe-Mwamba, président du Sénat, a également été évincé, et Tshisekedi devrait former un nouveau gouvernement d’ici mars. Selon les diplomates, le président s’attellera  ensuite à placer ses lieutenants à la Banque centrale et à la commission électorale. Il semble faire bon usage de son surnom, Fatshi Béton: l’homme de ciment.  

Mais les tactiques politiques ne font pas un plan de réforme. Depuis le début de la campagne électorale en 2018, il ne semble pas y avoir de stratégie globale pour réformer l’État, promouvoir la croissance économique et mettre un terme aux conflits violents. Cela ne veut pas dire que rien n’a été fait. Immédiatement après son entrée en fonction, le nouveau président a lancé un vaste projet d’infrastructure – le Programme des 100 jours. Le gouvernement affirme avoir construit ou rénové 132 écoles et 82 centres de santé, réalisé d’importants projets de production d’électricité et d’adduction d’eau, et construit une série de sauts-de-mouton à Kinshasa – dont certains ont finalement été inaugurés en décembre 2020. Et l’enseignement primaire gratuit est clairement devenu son initiative phare, lancée en septembre 2019 et qui a réussi – du moins selon la Banque mondiale, qui finançait le programme jusqu’à ce qu’elle gèle les paiements en raison de problèmes de gouvernance – à inscrire 2,5 millions de nouveaux élèves dans les écoles. 

Félix Tshisekedi, président de la RDC, à Kinshasa, le 19 octobre 2019. Copyright : Flickr/Présidence RDC.
Cependant, le plan de réforme de Tshisekedi suscite des inquiétudes considérables. Tout d’abord, quel est le plan ? Bien que le gouvernement ait publié son programme du gouvernement en août 2018, il s’agissait d’une liste à puces de grands objectifs, et non d’un plan détaillé des moyens juridiques, financiers et administratifs nécessaires pour y parvenir. Par exemple, le plan pour faire face à l’insécurité dans l’est de la RDC comprend des platitudes comme « rétablir la sécurité dans le nord-est du pays » et « réhabiliter les infrastructures militaires nécessaires ». 

Certains des discours de Tshisekedi offrent de meilleurs indices. En restant dans le secteur de la sécurité, par exemple, il a dit qu’il allait mettre en place un quartier général avancé de l’armée à Beni, qu’il allait ouvrir de nouvelles académies militaires, et qu’il faisait pression pour qu’un nouveau programme de démobilisation soit mis en place : le DDRCS, désarmement, démobilisation, réinsertion communautaire et stabilisation. Mais tout cela ne constitue pas un plan, et peu de détails sont mis à la disposition du public. Aujourd’hui, avec plus de 5 millions de personnes déplacées dans l’est du Congo, où environ 120 groupes armés sont actifs, et avec un nombre croissant de massacres, en particulier autour de Beni, cette absence de plan et de vision est profondément décevante. 

Des objections similaires pourraient être formulées à l’égard d’autres secteurs. Le Congo est le plus grand producteur de cuivre en Afrique, le plus grand producteur de cobalt au monde, et pourtant ce pays (86 millions d’habitants) a un budget national d’environ 5 milliards de dollars, plus petit que celui de la ville de Seattle (724 000 habitants). Une indication de la profondeur des inégalités qui subsistent dans le monde globalisé. Comment le gouvernement congolais pourrait-il mieux exploiter ses ressources naturelles au profit de sa population ? Comment réformer ce secteur ? Plus de 70 % des Congolais sont impliqués dans l’agriculture, et pourtant le ministère de l’Agriculture se voit attribuer moins de 1 % du budget total. Dans certains secteurs, tels que l’éducation et les soins de santé, des plans ont été élaborés, souvent en collaboration avec des donateurs. Mais ceux-ci sont rarement débattus en public et, comme le suggère une évaluation du secteur de l’éducation, il y a « un grand nombre de réformes prévues mais une faible probabilité qu’elles soient toutes mises en œuvre ». Plus important encore, la plupart de ces programmes ont été élaborés par le prédécesseur de Tshisekedi et n’ont pas intégré ses propres objectifs. 

Quid de l’organisation ?

Le deuxième défi est l’organisation. Lorsque Tshisekedi était encore dans une coalition avec Kabila, son gouvernement comptait 66 ministres issus de plus d’une douzaine de formations politiques. Bien qu’il y ait eu des conseils ministériels réguliers, souvent présidés par Tshisekedi, beaucoup de ses conseillers se sont plaints que leurs réformes étaient entravées par le regroupement politique de Kabila. Afin de faire avancer son programme, Tshisekedi a commencé à mettre en place des structures parallèles, gérées pour la plupart par son cabinet présidentiel. La plus importante de ces initiatives a été son plan d’infrastructure controversé des 100 jours, qui a été mis en place avant l’investiture du gouvernement de partage du pouvoir en août 2019. Même si le Parlement n’a jamais approuvé son budget, ce programme aurait coûté entre 488 millions et 2 milliards de dollars. Tshisekedi a également annoncé la mise en place d’une série de nouvelles agences, dont certaines avaient des mandats qui chevauchaient les structures gouvernementales existantes :  

-Agence congolaise de la transition écologique et développement durable
-Agence pour l’amélioration du climat des affaires
-Agence de la prévention et de lutte contre la corruption  
-Coordination pour le changement des mentalités
-Conseil  présidentielle de veille stratégique (CPVS)
-Mécanisme national de suivi de l’accord-cadre d’Addis-Abeba (MNS)

Cette dernière agence, par exemple, qui existait déjà sous Kabila mais qui a été renforcée, a provoqué des grognements de la part des ministères de l’Intérieur et de la Défense, car elle a pris la tête des discussions sur la violence armée dans l’est du Congo.

Le CPVS, dirigé par François Muamba, semble être conçu comme un moyen non pas de mettre en place une structure parallèle, mais de suivre les priorités du président au sein des différents ministères, comme l’a déclaré un de ses conseillers au CRG. Tout cela, cependant, et le fait que Tshisekedi compte au moins 160 membres du cabinet présidentiel, travaillant sur une liste d’environ 80 priorités dans différents secteurs  selon un conseiller  a également entravé les réformes.

Ambition démesurée

Le dernier problème est l’argent. Le président a de grandes ambitions pour le pays, il veut faire croître son économie de 25 % par an, offrir des soins de santé et une éducation gratuits pour tous, et mettre fin à la violence. Cette ambition démesurée se manifeste également dans le financement de ses projets. Avant d’être élu, il a déclaré vouloir créer une armée sept fois plus importante que l’armée actuelle, avec 800 000 soldats. Il a ensuite déclaré qu’il construirait des casernes et améliorerait les conditions de vie de tous les soldats et policiers. 

La réalité, cependant, est que le Congo n’a pas d’argent. C’est probablement le défi le plus difficile à relever pour tout effort de réforme. Même si Tshisekedi a fait pression pour un budget de 11 milliards de dollars pour 2020, seuls 5 milliards de dollars de recettes environ ont été encaissées.

En 2019, le montant dépensé pour les salaires, le service de la dette publique et le fonctionnement des institutions représentait 77% du budget total, laissant moins d’un milliard de dollars pour tout le reste du gouvernement. Si ce manque de fonds ne n’excuse pas le gouvernement pour son inaction, il constitue une contrainte massive sur sa capacité à agir. Il reste à voir comment le nouveau gouvernement de Tshisekedi entend augmenter les recettes au-delà des niveaux actuels.

Mais ce n’est pas ce sur quoi se focalise la politique au Congo aujourd’hui. Les intrigues de palais, et non le développement économique ou la réforme politique, constituent le sujet le plus débattu. Ce n’est pas seulement la faute du président ni du gouvernement  les médias, la société civile, les partis politiques et les donateurs doivent garder l’œil sur l’objectif  et cet objectif ne devrait pas finalement être le pouvoir politique mais l’intérêt public. 
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