Comme nous en avons la vocation et la spécialité, très émus les uns, très fâchés les autres, nous nous ruons sur tous les moyens de communication pour exprimer notre indignation, mais surtout pousser Félix Tshisekedi à répondre avec effet garanti d’engager une polémique entre Kinshasa et Kigali.
Question : que devrait dire Paul Kagame en réponse à la question des professionnels des médias français ?
Il ne pouvait que nier, car tout aveu de perpétration desdits crimes de sa part l’expose à des poursuites judiciaires devant n’importe quel juge français (ça chatouille ce corps de métier après l’humiliation infligée au confrère Louis Bruguière) pour ne pas parler de la CPI !
Ni Joe Biden (pour ne pas citer Donald Trump), ni Macron (pour ne pas citer Nicolas Sarkozy) n’auraient fait le contraire.
La préoccupation première des Congolais est de se demander pourquoi des professionnels des médias d’État français se sont intéressés principalement à Paul Kagame parmi la quinzaine de chefs d’État présents et pourquoi, en plus, l’avoir entraîné dans le dossier congolais se révélant un véritable guet-apens !
Il est vrai que ces médias jouissent de la latitude d’aborder avec des invités de leurs choix des sujets qui les intéressent. Seule leur conscience leur impose des limites.
Or, dans le cas présent, et en raison des susceptibilités diplomatiques, il n’était pas indiqué de créer une situation pouvant dégénérer, encore que Paul Kagame n’était pas non plus obligé de réagir comme il l’a fait.
Pour comprendre et saisir ce qui s’est passé, il faut revenir à la veille.
La France – censée savoir que le Soudan ne fait pas partie de son pré-carré – s’est intéressée à ce pays placé plutôt dans le pré-carré des puissances anglo-saxonnes. Dont les États-Unis et la Grande Bretagne (Angleterre).
Agissant plus que ne l’ont fait jusque-là Washington et Londres, Paris a décidé en toute souveraineté d’effacer du coup la créance sur Khartoum évaluée à USD 5 milliards ! Ce qu’elle n’a jamais osé en faveur de Kinshasa.
La justification est à chercher dans le syndrome ou la crise de ‘’Fachoda’’.
En résumé, pour s’appuyer sur Wikipédia, voici ce qu’elle représente : “La bataille de Fachoda est livrée le 25 août 1898 au Soudan, pendant la guerre des Mahdistes. Elle oppose une petite garnison française sous les ordres du capitaine Jean-Baptiste Marchand à quelques milliers de guerriers derviches, et prend fin par la défaite de ces derniers”, y lit-on. Les enjeux de cette crise sont ainsi décrits : ” La région du Haut-Nil est à la croisée de deux axes de conquête coloniale. Les Britanniques rêvent de relier Le Cap au Caire, les Français de rejoindre Djibouti depuis leurs territoires d’Afrique occidentale et équatoriale”. Et Wikipédia de préciser : “Il s’agit, en se portant les premiers sur le Nil depuis les territoires d’Afrique occidentale sous contrôle français, de contester l’hégémonie britannique sur le grand fleuve et d’implanter au sud de l’Egypte un nouveau protectorat français “.
Et dans ça, la RDC ? La réponse est dans un incident qui a failli se produire sur le Pool Malebo lorsque l’italien Savorgnan de Brazza (naturalisé français), et le britannique Henry Morton Stanley (naturalisé américain), vont s’affronter du regard, le premier croyant le village en face (que deviendra Léopoldville puis Kinshasa) comme faisant partie de celui où il s’est implanté (Brazzaville).
Depuis, Paris est resté dans la logique de se disputer avec Washington (à défaut de Bruxelles) le leadership sur la RDC.
Au moment où l’avenir du monde semble se redessiner dans les Grands Lacs africains (sous-région aux immenses ressources naturelles abondamment logées au Soudan, au Soudan du Sud, en Ouganda et en RD Congo), la France – qui a déjà un gros pied en territoire congolais (souvenons-nous de l’Opération Artémis menée en Ituri en 2002, province riche en pétrole et en or), se sait en devoir d’en avoir absolument un autre au Soudan.
Qu’on le veuille ou pas, Kigali représente pour Paris un pion, pardon, un partenaire stratégique.
Voilà le pourquoi de cet autre mystère qu’est le fait de voir la France agir à l’égard du Rwanda avec une ” compassion ” jamais manifestée, par exemple, à l’égard de l’Algérie.
A la lumière de ce qui précède, les Congolais ont l’obligation de le savoir : tout ce qui se passe à l’Est du pays implique toutes les puissances qui entendent dominer le monde : Américains, Asiatiques, Européens !
Au lieu de rester des sentimentaux comme nous ne cessons de l’être, nous devons plutôt devenir des cartésiens, la sentence senghorienne selon laquelle ” Le sentiment est nègre, la raison est hellène ” n’ayant plus de place dans la bataille de survie dans laquelle le Congo s’est engagé.
Quand on perçoit les choses dans cette optique, on en vient à réaliser que l’incident de Paris (déclaration de Kagame sur les crimes commis en RDC) est une diversion.
L’enjeu est la place de la RDC dans cette nouvelle bataille autour de ” Fachoda”.
D’ailleurs, pour peu que nous soyons alertes, nous aurons constaté que RFI et France 24 n’ont retenu d’essentiel de l’interview du président rwandais que cet extrait. Et, depuis, ces médias d’État se *focalisent* sur les réactions des Congolais, comme pour les exciter à inciter Félix Tshisekedi, Président de la République, mais surtout Président de l’Union africaine, à un bras de fer avec Paul Kagame au moment extrêmement délicat de l’état de siège !
N’est-ce pas suspect ?
Réjouissons-nous plutôt du silence responsable du Chef de l’Etat.
Le Congo-Kinshasa joue actuellement la carte de son existence en tant qu’État et Nation.
Omer Nsongo die Lema/CP