Le successeur de Joseph Kabila, se révèle être un fin stratège. Sans casses, il vient de plier la colonne vertébrale et fermer le robinet d'un réseau ténébreux d'affairistes qui ont privé pendant longtemps le peuple congolais de la jouissance de ses richesses. Une percée retentissante dans la lutte contre la corruption. C'est une nouvelle page de la refondation de l'état qui s'ouvre. Le Béton est très solide scandent les partisans du fils du Sphynx de Limete.
Il faut être de très mauvaise foi ou "haineux" pour ne pas saluer cette prouesse. Malheureusement ce narratif resplendissant n'existe que dans le monde des bizounours. Pour une frange de la population qui ne se laisse pas facilement berner et qui a fait de la vigilance citoyenne son combat quotidien, le protocole d'accord signé le 24 février dernier entre le gouvernement congolais et le Groupe Ventora Développement de Dan Gertler ne passe pas comme du couteau dans le beurre.
Redoutant un coup fourré préjudiciable aux intérêts de la République, le collectif des Ongs "Le Congo n’est pas à vendre" (CNPAV) a été le premier à monter au créneau pour exiger la publication intégrale du rapport tel que edicté par les dispositions pertinentes du code minier en son article article 7 et recommandé par l'initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE). Même son de cloche du côté des américains où Dan Gertler demeure sous sanctions financières. Les amis du partenariat privé pour la paix et la prospérité ne cachent pas leur scepticisme et exigent que le contenu de l'accord soit rendu public pour élaguer tout soupçon de contrats léonins.
Acculé par la pression de la transparence, les parties signataires se résignent à communiquer, non pas pour faire honneur à la vérité, mais pour émouvoir et égarer les âmes crédules à qui il faut faire croire que c’est la RDC qui sort gagnante de ces négociations. Au cours d'une conférence de presse d'auto-satisfecit, le gouvernement congolais se vante d'avoir dépossédé l'homme d'affaires israélien de tous ses permis d'exploitation presque sans contrepartie. De son côté, Dan Gertler pond un communiqué où il verse les larmes de crocodiles ou plutôt des larmes de « crocodeal » en se présentant comme une victime d'un traitement injustement hargneux mais qui s'engage à honorer pleinement ses engagements pour l'intérêt supérieur des Congolais.
Les observateurs avisés n'ont pas manqué de sourciller quand ils ont suivi les propos et l'attitude de Dan Gertler le jour de la signature du protocole. "Nous remercions le Président Félix Tshisekedi et sommes soulagés de cet accord qui nous évite des procédures interminables devant les instances arbitrales". Ces propos s'expliquent aujourd'hui avec les révélations des clauses contractuelles du fameux protocole d'accord. En réalité, grâce à Félix Tshisekedi, le jeune milliardaire Israëlien vient d'obtenir une sortie à multiples entrées (financières).
En effet, en échange des permis sur les deux blocs pétroliers du lac Albert, non rentabilisés depuis près 12 ans, et les mines d'or de Moku Beverendi, Dan Gertler va obtenir la rondelette somme €240 millions en guise de remboursement des frais prétendument engagés pour l'exploration et les études de faisabilité dudit projet.
S'agissant des redevances minières, le bien-heureux homme d'affaires israélien garde intact ses royalties sur les mines KCC, Mutanda Mining et Metalkol qui lui rapportent une bagatelle de 200.000 dollars américains par jour selon les chiffres du collectif le Congo n'est pas à vendre. Toutefois, pour faire bonne figure, il doit payer à l'état congolais, pour le compte de la Gécamines, la somme de €249 millions qui représente un trop perçu sur les royalties payés par Glencore. Ironiquement, la même Gécamines étant débitrice de Ventora Development avec un encours de €192 millions relatif à un prêt accordé pour la construction de l'usine de raffinage de cuivre et cobalt de la société minière Deziwa, le solde à payer par Dan Gertler ne serait finalement que de € 57 millions.
A l'instar du volet financier, l'accord consacre l'extinction de toutes les charges qui pesaient sur Dan Gertler. Les parties s'accordent sur l'abandon de toutes les poursuites judiciaires liées aux litiges qui impliquent Dan Gertler et son groupement d'entreprises représenté par Ventora Development. Sur le plan diplomatique, le gouvernement Congolais prend sur lui de convaincre ses partenaires américains du bien-fondé de cet accord et de plaider pour la levée des sanctions contre Sieur Gertler.
Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que les licences sur les deux blocs pétroliers du Lac Albert que la RDC va récupérer, avaient également fait l'objet d'un contentieux avec le sud africain Dig Oil et s'est soldé par la condamnation de la RDC à payer $300 millions. En effet, Dig Oil avait perdu ces licences au profit d'un certain Dan Gertler en 2010, mais le pouvoir de Kinshasa ne s'est pas empêché de renouveler les deux permis des sociétés Caprikat Ltd et Foxwhelp détenues par Dan Gertler. Les faits se déroulent bien en 2019, alors que Félix Tshisekedi était déjà aux commandes et que l'homme d'affaires israélien était placé sous sanctions par les américains.
En définitive, le pouvoir de Kinshasa reste dans sa logique originelle de ne pas fouiner dans le passé criminel de certains intouchables et se contente des miettes. Sachant que Dan Gertler est beaucoup plus un intermédiaire spéculateur qu'un investisseur engagé dans la pérennité, la vraie question est de savoir qui sont les autres bénéficiaires ultimes de ces montages déroutants? Pas étonnant que la publication du contenu intégral de cet accord suive le même chemin emprunté par les résultats détaillés des élections présidentielles de 2018. Il y a d’enormes intérêts à préserver à tout prix. Et le peuple dans tout ça ?
Stéphane L Manzanza