Diplomate chevronné, Vincent Karega sait parfois soupeser ses mots même s’il peut démontrer la vérité avec pertinence.

Depuis son arrivée au Congo-Kinshasa en juillet 2020, l’ancien ministre rwandais des Infrastructures a développé une dynamique qui a favorisé aujourd’hui l’embellie dans les relations entre les deux pays.

59 ans, Karega peut se frotter les mains d’avoir réalisé un grand pas. La coopération entre son pays et le Congo-Kinshasa s’est nettement ameliorée. Dans un entretien lundi à Ouragan.cd, le natif de Walikale ( Nord-Kivu) n’a pas balbutié pour répondre aux questions qui fâchent.

Trafic illicite des minerais, dossier M23, opération FARDC-UPDF et même les récents propos du président rwandais ( il y a un temps pour négocier et un temps pour trouver une solution sans demander la permission à qui que ce soit ) interprétés dans tous les sens par les Congolais. D’un air détendu et jovial, à l’entendre parler, tout interlocuteur ne peut que dévoiler en lui un parfait connaisseur des questions régionales et sous-régionales.

L’ambassadeur rwandais est vraiment intégré dans la société congolaise. Polygotte, il parle outre le français et l’anglais, les quatre langues nationales congolaises à savoir le lingala, le swahili, un peu de tshiluba et de kikongo. En plus, il maîtrise d’autres langues locales dans les milieux où sa famille a habité au Congo, comme le mashi, le kibemba, le kisongwe à la frontière zambienne. Le diplomate appelé affectuesement par ses anciens collègues “Mwana mboka” a un regard tourné vers l’avenir, vers un lendemain meilleur entre les deux nations et les deux peuples. En retard de développement par rapport aux autres continents, l’ancien diplômé de l’Université de Lubumbashi et de Harvard ( États-Unis ) porte à coeur ce pays où il a passé sa tendre jeunesse ( 27 ans passé au Congo – il n’a recouvré sa nationalité rwandaise qu’en 1995 ). La main sur le coeur, Karega croit que le temps a sonné pour que Congolais, Rwandais et tous les Africains relèvent les grands défis de développement.

Monsieur Vincent Karega, vous êtes l’ambassadeur du Rwanda en RDC, êtes-vous satisfait aujourd’hui de l’évolution des relations entre la votre pays et la RDC, deux ans presque, depuis que vous êtes en poste à Kinshasa ?

Vincent Karega : En gros nos relations bilatérales et de bon voisinage vont bon train. Nos frontières sont ouvertes, les mouvements des personnes, des capitaux et du commerce transfrontaliers sont bien facilités. La collaboration et les échanges entre nos institutions sécuritaires au niveau bilatéral et régional est bonne.

A vos yeux, qu’est-ce qui a changé fondamentalement aujourd’hui ?

Le plus grand changement noté est le niveau communicationel entre institutions et populations.

Sur le plan de la coopération, il y avait eu en juin 2021, un protocole d’accord pour l’exploitation de l’or entre la société congolaise aurifère (SAKIMA SA) et l’entreprise rwandaise DITHER LTD, ce projet a-t-il évolué ou c’est un mort-né ?

Le projet évolue, les partenaires travaillent d’arrache-pied pour finaliser le plan d’affaires, celui d’actionnariat, d’investissement et de gestion commune pour rentabiliser l’entreprise conjointe et s’assurer de son impact au développement local des populations via le travail, les actions socio-économiques selon la loi et le code des investissements en RDC.

Cette approche est-elle la meilleure pour éviter des suspicions sur le trafic illite des minerais de la RDC ?

Le commerce illicite est une mauvaise chose pour tout pays. Y compris la RDC et le Rwanda. C’est une pratique qui occasionne l’hémorragie fiscale, un manque à gagner aux Etats et une concurrence déloyale contre ou néfaste aux opérateurs économiques corrects et investisseurs sérieux. SAKIMA et DITHER n’ont pas de statut historique de contrebandier. Par contre, la contrebande des fraudeurs peut miner leurs efforts et investissements. Les acteurs-clé pour éradiquer la contrebande domestique et transfrontalière sont multisectoriels : l’administration ( permis, licence, contrôles etc), les services fiscaux et sécuritaires etc.


En ce qui concerne le Rwanda, la contrebande de tout produit est sérieusement combattue et le pays en a la réputation. Le trafic illicite des minerais ne peut donc pas être jugulé par des entreprises privées mais plutôt par des institutions habiletées de l’Etat. Les efforts en cours de coopération et de signature d’une feuille de route entre nos deux Etats via nos ministères du Commerce sur le commerce transfrontalier vont mieux contribuer à favoriser des acteurs corrects au détriment des contrebabandiers, pour tous les produits confondus, pas uniquement les minerais.

Les deux pays s’étaient convenus également d’éviter la double imposition, prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu, selon le communiqué final lu à Goma en présence des présidents Félix Tshisekedi et Paul Kagame, mais apparemment cet accord est resté sur papier. Cela n’influe pas négativement sur les échanges commerciaux ?

Les accords de non double taxation sont d’application aux investisseurs de nos deux pays à travers l’ANAPI en RDC et RDB au Rwanda. Pas de soucis à ce plan.

Certains Congolais sont inquiets quand ils ont entendu le président Paul Kagame le mardi 08 février 2022 à Kigali lors de la prestation de serment des nouveaux ministres dire qu’il y a un temps pour négocier et un temps pour trouver une solution sans demander la permission à qui que ce soit ?

Ils interprêtent les choses à leur façon et hors contexte. Le président Kagame ne s’adressait à aucun pays voisin mais aux forces négatives et terroristes qui sévissent dans la région. Les actions de réponses à leurs ménaces ou attaques physiques dépendra de leur comportement et de comment ils exploitent dangéreusement l’hospitalité et leur présence au-delà de nos frontières pour nuire à notre sécurité et au développement en cours. Et le message était clair. Seulement, je ne maitrise pas tout ce qui ressort des différentes traductions et interprêtations du discours en Kinyarwanda par certanes personnes non rwandophones.

Avez-vous des inquiétudes sur une probable jonction entre les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) et les rebelles ougandais des Forces démocratiques alliées (ADF) ?

Oui, les inquiétudes sur la fusion ou la collaboration de ces terroristes démeurent. Elles sont bien prises en compte dans les résolutions de la 10ème réunion des chefs d’Etat sur le Mécanisme de mise en oeuvre de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba tenu récemment. La coopération sécuritaire régionale a été encouragée et sera renforcée pour une paix et un développement durables dans toute notre région des Grands Lacs.

Votre pays encourage donc les opérations FARDC-UPFD menées contre les Adf ?

Notre pays encourage toute forme de coopération régionale effective et inclusive par l’éradication complète des forces négatives, du terrorisme dans notre région, à nos frontières. La coopération FARDC-UPDF est une affaire bilatérale donc des deux Etats souverains en quête d’une solution à un problème commun.

Lors d’un entretien accordé en mai 2021 à deux médias français, le président rwandais, Paul Kagamé avait déclaré qu’il n’y a pas eu de crimes commis par des armées étrangères au Kivu. Pour lui, c’est la théorie du double génocide. Ce que beaucoup de Congolais contestent dont le prix Nobel de la paix, le docteur Denis Mukwege. Mais, comment les dirigeants rwandais vont tourner cette page qui choque beaucoup de Congolais ?

Le président Kagame a nié le rôle du Rwanda dans un double Génocide sur les Rwandais réfugiés en RDC et notre position à ce sujet est intransigeante. Quant aux massacres des Congolais hier et aujourd’hui, à la RDC ou la communauté internationale d’établir juridiquement les faits et les coupables et non les activistes ou médias avec des positions idéologiques et des narratifs politiquement biaisés.


Le Rwanda n’a aucune page à tourner seul. Le Génocide contre les Tutsis au Rwanda, ses rayonnements idéologiques et ses acteurs ont dépassé les frontières rwandaises et la complicité directe ou indirecte des forces non rwandaises ont exacerbé les conséquences de ces crimes contre l’humanité et ses effets néfastes dans la région des Grands Lacs. Pour tourner cette page, la lucidité de tous dans l’analyse froide des causes et effets avec un esprit d’aller de l’avant et de mise en place des mécanismes de prévention des crimes similaires dans toute la région ferait mieux l’affaire que de pointer le Rwanda de tous les doigts comme la plus grande victime d’abord et le seul bouc émmissaire de sa misère et de celles de ses voisins.

Que dire du rapport mapping, établi par les experts de l’ONU qui certifient qu’il y a eu des crimes contre l’humanité commis sur le territoire congolais par des armées étrangères ?

Le rapport Mapping toujours non validé des experts des Nations Unis qui accuse le Rwanda et quatre autres pays y compris la RDC avait reçu il y a très longtemps les observations et la réponse du Rwanda et de celles des autres co-accusés. Si l’ONU revient avec une version finale tenant compte des observations longtemps données nous concernant, nous donnerons notre position. Quant aux questions des médias et des individus privés, nous avons maintes fois répondu à leur conversation et nous n’y reviendrons plus. Il y a des problèmes plus récents et plus importants.

Êtes-vous favorable à l’idée de la création d’un tribunal international pour le Congo ?

Favorable ou pas, la RDC comme le Rwanda sont libres et souverains de bâtir leurs systèmes de gouvernance de justice sans la validation des autres sauf pour des mécanismes régionaux ou conjoints qui passent par des cadres de concertation constitutaires.

Quelle est la meilleure approche sécuritaire pour la stabilité de toute la région ?

La meilleure approche est que chaque pays soit capable de maitriser sa securité, la circulation des armes et contenir les hors-la-loi. Pour des problèmes complexes de banditismes et terrorismes régionaux, les mécanismes et approches régionaux concertés sont possibles et il y a des succès à ce propos en Afrique et ailleurs. Toute insécurité ne peut pas non plus trouver des solutions uniquement militaires, la réconcilioation, l’unité et le développement socio- économique des communautés délinquantes ou en conflit peuvent y trouver aussi des solutions.

Tout récemment lors de la conférence diplomatique à Kinshasa, le président Félix Tshisekedi a rappelé qu’il est irréaliste et improductif, voire suicidaire pour un pays de notre sous-région, de penser qu’il tirerait toujours des dividendes en entretenant des conflits ou des tensions avec ses voisins. Est-ce que ce message est une interpellation pour tous les dirigeants de la région y compris ceux de votre pays ?

Je ne sais pas et comme je ne maitrise ni le contour, ni le contexte, je ne peux pas juger ou commenter les propos d’un leader (s’adressant) à ses institutions. Le plus important est que la RDC a organisé un bon sommet des chefs d’Etat et de gouvernement auquel nous adhérons tous pour une solution finale et régionale à l’insécurité de l’Est de la RDC et aux ménaces qu’elle pose aux voisins.

Que répondez-vous à ceux qui accusent votre pays de soutenir illicitement le M23. Faut-il les mater par la force ou régler ce problème dans le cadre de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba ?

Le M23 est congolais, ses révendications ne répondent à aucun intérêt du Rwanda. Certains de leurs membres sont ďesarmés et réfugiés au Rwanda et en Ouganda. Ceux armés sont mobiles dans la forêt des massifs des Virunga à cheval sur nos trois (3) frontières. Le Mécanisme de l’Accord-cadre d’Addis-Abbeba a pour plus grand volet de les rapatrier et les démobiliser. Espérons que cette priorité sera vite réalisée au profit de la sécurité régionale une fois pour toute.
Jeanric Umande
OURAGAN

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