Le voyage de Vital Kamerhe à Goma, le 13 septembre 2022 révèle peu à peu ses dessous de cartes. Comme dans la tradition rwandaise de l’ubwenge (stratégies de la duperie) les Congolais ont été amenés à se focaliser sur l’éclat du spectacle des meetings médiatisés pendant que l’homme, en coulisse, travaillait sur l’avancement des agendas cachés dont la mise en exécution avait été gelée suite à ses déboires judiciaires et un entourage difficile de Félix Tshisekedi.
Les pressions sur Tshisekedi, la résistance de l’entourage luba et le pétrole
Selon nos sources à Goma et à Kinshasa, Vital Kamerhe a entrepris d’exercer des pressions excessives sur Félix Tshisekedi pour l’obliger à le nommer Premier ministre. « L’entourage luba de Tshisekedi » (formule utilisée par notre source) est hostile à cette nomination.
Pour contourner cette hostilité, Vital Kamerhe a profité de son séjour en France pour présenter aux décideurs politiques français les preuves que les détournements dans l’affaire des 100 jours ont été orchestrés par Félix Tshisekedi en personne, et que lui, Vital Kamerhe, n’y a joué qu’un rôle marginal. Il leur a expliqué qu’il a tout fait durant le procès des 100 jours et durant son emprisonnement à Makala pour ne pas éclabousser Félix Tshisekedi et éviter de le discréditer sur le plan international.
Les Français ont promis de soutenir Vital Kamerhe dans sa démarche pour devenir Premier ministre, mais pour des raisons liées à la gestion des blocs pétroliers du Nord-Kivu et de l’Ituri sur lesquels la multinationale française Total a déjà commencé à investir, de l’autre côté de la frontière, en Ouganda. Les Français ont demandé à Vital Kamerhe de donner la preuve qu’il est populaire dans l’est du Congo et qu’il a le soutien des populations dans les régions où la France a des intérêts pétroliers.
Les meetings médiatisés de Goma et de Masisi, relayés par France 24, vont peut-être convaincre les Français sur la réalité de la popularité de Vital Kamerhe dans le Nord-Kivu et l’Ituri, a dit notre contact, tout en constatant que dans des villes comme Butembo, Beni et Bunia, Vital Kamerhe n’a pas de solide encrage socio-politique.
Vital Kamerhe et le M23
Toujours dans le cadre des agendas cachés, Vital Kamerhe a rencontré « les intermédiaires du M23 » (formule utilisée par notre contact à Goma). Ils lui ont rappelé les engagements de lui et de Tshisekedi lorsqu’ils ont été hébergés à Kinshasa pendant que Vital Kamerhe était le directeur de cabinet du président Tshisekedi. Ils ont rappelé à Vital Kamerhe que c’est lui qui coordonnait leur séjour, leurs déplacements à Kinshasa et dans le Kongo Central et les préparatifs pour créer une brigade spéciale du M23 rattachée à la Présidence de la République.
Notre contact nous affirme que les déclarations de Willy Ngoma, un des commandants du M23, sont véridiques sur le fait que Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe travaillaient à créer une brigade du M23 rattachée à la présidence de la République. Cette brigade devait être déployée à Beni, notamment, pour lutter contre les ADF. Mais après plusieurs renseignements, Tshisekedi aurait finalement décidé d’abandonner l’idée. Le retour de Vital Kamerhe se focalise sur la mise en exécution de ces engagements pris avec le Rwanda et le M23. Pas seulement.
Kamerhe et William Ruto
Les changements politiques au Kenya serait une des motivations de Vital Kamerhe à accélérer ses agendas et faire aboutir sa stratégie des pressions sur Tshisekedi. Le président kenyan Uhuru Kenyata, parrain de l’accord entre Vital Kamerhe et Félix Tshisekedi, en rupture avec le processus de Genève, a quitté la présidence, et son dauphin, Raila Odinga, a été battu par William Ruto. Le nouveau président kenyan n’est pas associé à l’accord entre Kamerhe et Tshisekedi et va prendre beaucoup de temps à comprendre les engagements politiques pris par son prédécesseur.
Vital Kamerhe serait ainsi pressé d’accélérer sa nomination au poste de Premier ministre, comme cela avait été décidé dans son pacte avec Tshisekedi conclu à Nairobi, le 23 novembre 2018. Il tient à la fois à rassurer les Français par rapport à leurs investissements pétroliers au Nord-Kivu et en Ituri et le Rwanda sur les engagements pris par lui et Tshisekedi durant le séjour des dirigeants du M23 à Kinshasa.
Pascal Masereka
BLO/Goma
©Beni-Lubero Online