Les Etats africains sont jusqu’à ce jour insérés dans un système international et subordonnés. Ce qui signifie que l’aliénation mentale est leur expérience permanente. La liberté d’action de ces gouvernements est tellement limitée que l’option démocratie plus qu’autonomie n’est pas possible. Ce constat est du Député national Steve Mbikayi qui est engagé dans un combat d’amener les africains notamment, les congolais à prendre conscience de leur destinée, à s’assumer et à s’opposer radicalement contre l’impérialisme occidental camouflé sous des concepts génériques, tels que Etats des droits, violation des droits de l’homme, exigences planétaires, etc. Il affirme que le changement induit de l’extérieur détruit les sociétés qui le subissent sans le maitriser. Il s’est ainsi exprimé lors d’un entretien avec votre journal, en posant un diagnostic sur la situation politique de la RDC, et a évoqué des questions d’actualités notamment, le dialogue inclusif, les dépenses dispendieuses dans la construction de l’hôtel du Gouvernement, l’enrôlement des nouveaux majeurs, etc.
La Prospérité : Steve Mbikayi, vous êtes Député national de l’opposition. Vous avez mis en place récemment une plate-forme dénommée "Nouvelle classe politique et sociale" (NCPS). Pouvons-nous en savoir un peu plus ?
Steve Mbikayi : la NCPS est un courant politique de l’opposition nationaliste regroupant en son sein des forces vives acquises au changement (partis politiques, associations, syndicats, églises…). Elle amorce un combat de libération totale des africains en général, et des congolais en particulier, en vue de créer une fierté nationale. C’est un éveil de conscience permettant à ces peuples de s’assumer et de s’opposer radicalement au néocolonialisme qui continue de les assujettir.
La Pros. : vous avez été éjecté de votre groupement parlementaire «UNC & alliés» à l’Assemblée nationale (AN) pour avoir pris une position contraire à la directive vous interdisant de prendre part aux concertations nationales et consultations initiées par le président Kabila pour un probable dialogue. Vos alliés d’hier vous accuse d’avoir « changé la casaque » pour des raisons végétatives et de rouler désormais pour la Majorité Présidentielle (MP). Etes-vous tranquille avec votre conscience ?
S.M. : Très tranquille. Vous savez, l’opinion d’un homme peut changer honorablement pourvu que sa conscience ne change pas. Je me permets de faire d’abord une mise au point pour éclairer l’opinion. Je n’ai jamais été exclu de ce groupe dont je suis le co-fondateur et vice-président jusqu’à preuve du contraire. Nous attendons que le bureau de l’AN convoque une réunion afin d’asseoir cette question et de faire l’inventaire sur la somme de 3.000, soit 140.000 $ USD que le bureau verse aux groupements parlementaires depuis le début de ce mandat. Ce n’est qu’après que je pourrais plier bagages et faire les adieux.
Prétendre que je ne suis plus dans l’opposition est une aberration et un «analphabétisme politique». L’opposition n’est pas une entreprise où un chef confère des grades ou limoge suivant son humeur. Mais, c’est un état d’esprit. D’après la loi, chaque parti peut ou ne pas se déclarer de l’opposition. Certes, la RDC a besoin d’une opposition, mais pas celle dite radicale parce qu’elle évite tout compromis pour avancer le pays. Nous défendons un idéal et avons refusé toute injonction de l’extérieur dans les affaires congolo-congolaises en s’alignant derrière les individus qui soutiennent cette vision. Cette attitude nationaliste fait de nous des «traitres». On ne cherche pas à assurer la direction du pays et redistribuer les revenus aux siens. C’est pour cela que les uns ne veulent pas lâcher le pouvoir et que les autres prennent les armes pour le conquérir. Par le biais des partis politiques, ils s’imposent et contrôlent les sociétés et deviennent ainsi des « forces d’inertie au système démocratique ». C’est étonnant de voir que la pensée unique et le bourrage de crâne persistent même au chef des honorables députés que nous sommes !
Je suis de ceux qui pensent qu’on peut faire une analyse claire d’une situation, de définir clairement son objectif ou sa position vis-à-vis de cette situation, d’être capable de la faire connaitre sans ambiguïté à un tiers, tout en admettant une attitude différente de la part des autres. A mon humble avis, c’est ce que j’ai fait. La liberté politique est un droit reconnu à chacun de pouvoir parler, être écouté et de participer aux discussions sur la vie de la cité. La classe politique congolaise doit intérioriser un «comportement assertif» qui consiste à énoncer ses idées et entretenir en même temps avec l’autre, son adversaire, une relation de confiance. D’homme à homme, j’ai affiché ce comportement devant le président de la République lors de récentes concertations.
En ce moment, les détracteurs procèdent par le chantage, la désinformation, la dévalorisation, la conspiration, la fabrication des rumeurs pour discréditer tout celui qui n’approuve pas leur discours. Par contre, ils pavanent et festoient dans des chancelleries occidentales, bénéficient d’avantages et font des rapports à l’Élysée et le Département d’Etat espérant un miracle d’eux. Seul le " passif " croit qu’il ne sera plus apprécié s’il dit clairement sa pensée ou s’il pose une idée différente de celle du groupe.
La Pros. : En quoi est-ce que le dialogue vaut son pesant d’or ?
S.M. : Le devoir de mémoire oblige. Pour ces genres de rencontres, la Rd-Congo n’en est pas à sa première expérience. Les différents forums qui ont été organisés ont, pour le moins, permis au pays de retrouver des périodes d’accalmie et des points des repères. Donc, le dialogue dépassant toute ingérence et conditionnalité d’aliénation mentale vis-à-vis de l’occident, sera un cadre approprié pour les congolais de promouvoir la réconciliation et la cohésion nationale. Elle est une nécessité et une option pour le pays de faire preuve de son autonomie qui est une notion consubstantielle à la démocratie, en vue de favoriser un acheminement vers l’émergence de solutions durables.
La Pros. : Pourquoi refusez-vous toute médiation ou facilitation internationale ? N’est-ce pas une hypocrisie de penser un dialogue à 100% congolais quand bien même que celui-ci est le fruit de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba et la Résolution 2098 du Conseil de Sécurité des Nations Unies ?
S.M. : De prime à bord, l’Afrique doit se libérer de toute domination étrangère et savoir efficacement gérer en interne ses problèmes et différends. Il faut qu’elle cesse de penser uniquement en termes d’aide et d’assistance qui constituent un instrument privilégié de manipulations et chantages de la part des Etats donateurs. Il revient de dire que la liberté politique est un droit reconnu à chaque état de créer ses propres structures administratives, d’élaborer des dispositions constitutionnelles et d’engendrer un environnement sociopolitique compatible favorisant l’Etat de droit notamment, la liberté de la pensée et d’expression.
En ce qui concerne le pilotage. Je défie quiconque. L’Accord-cadre d’Addis-Abeba a été mis en place pour amener la paix et le développement dans la Région des Grands lacs par rapport à l’agression de la RDC par ses voisins. Il ne parle même pas du fameux dialogue. C’est la Résolution 2098 du Conseil des Nations Unies qui fait allusion à ce dialogue pour la promotion de la réconciliation nationale en recommandant au représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies, Martin Kobler, de «Promouvoir» et non pas de diriger ces assises. Néanmoins, on peut à la limite recourir à la notoriété d’un africain comme Abdou Diouf ou Robert Mugabe si les autres insistent sur cette question.
La Pros. : Si dialogue il y a, il comportera quelles matières ?
S.M : Tout ce qui fâche. Elections dans le délai, enrôlement des jeunes majeures, la situation du Sénat qui est hors mandat, le financement des élections, l’organisation de la cérémonie de remise et reprise entre l’ancien et le nouveau Président, etc.
La Pros. : Est-il improbable d’avoir la présidentielle en 2016 ?
S.M : Il est vrai que le gouvernement a engagé des dépenses non budgétisées dans des actions de luxe, en ne mobilisant pas l’argent qu’il faut à la CENI pour l’organisation des élections. Toutefois, si nous négocions bien dans ce dialogue, on peut parvenir à un consensus et organiser ces élections dans le délai.
La Pros. : Nous avons tous assisté à l’inauguration du premier hôtel du gouvernement, un bâtiment intelligent, dit-on. Quelle est votre impression ?
S.M : C’est encore une action cosmétique de plus qui est la caractéristique de ce gouvernement. Engager une quarantaine de millions de dollars des contribuables congolais pour un bâtiment, soit-il « intelligent », alors que la ville de Kinshasa a un sérieux problème de logements sociaux, c’est se moquer des congolais. Pourquoi ne pas construire avec cet argent des maisons qu’on donnerait aux fonctionnaires et militaires ?
Propos recueillis par Félix KONGOLO (CP)