La chancellerie de l’ambassade du Congo-Kinshasa à Bruxelles a abrité jeudi 18 février une rencontre inédite entre le ministre des Affaires étrangères Raymond Tshibanda Ntungamulongo et une cinquante de diplomates fin mandat. Un seul point était à l’ordre du jour : le rapatriement. En fait, Tshibanda est venu sommer les fonctionnaires ayant perçu l’équivalent de quatre mois de salaire (un mois de salaire et trois mois de rappel), des mains d’une commission qui l’avait précédé, à rejoindre la Centrale à fin de ce mois de février 2016. La société « Mozer » a été chargée d’assurer le transport des effets personnels. Les diplomates concernés ont unanimement demandé le versement de l’entièreté ou tout au moins une partie des arriérés des salaires. Et ce pour quitter la Belgique après avoir épongé des dettes accumulées. A la tête de la diplomatie congolaise depuis fin avril 2012, le ministre Tshibanda s’est plaint de constater que certains diplomates sont en poste à Bruxelles « depuis 10, 15, 20 ou 30 ans ». « On n’a vu ça nulle part, ça ne se fait pas ! », s’est-il lamenté alors qu’il détient, depuis quatre ans, le pouvoir de réformer ce secteur. Certains participants à cette rencontre n’ont pas caché leur stupéfaction d’entendre le détenteur d’une parcelle du pouvoir d’Etat se plaindre au lieu d’agir.

« Ressources exceptionnelles »

«Je sais que le sujet que nous allons aborder est difficile». Ce sont les premiers mots prononcés par le ministre Raymond Tshibanda après une brève introduction faite par l’ambassadeur Dominique Kilufya Kamfwa.

L’adresse du ministre pourrait se résumer comme suit : « Après la présentation de ses lettres de créance, l’ambassadeur Kilufya a eu une séance de travail avec le service du Protocole du ministère belge des Affaires étrangères sur trois questions : le nombre excessif du personnel diplomatique, le maintien en activité des diplomates rappelés et l’acquisition des titres de séjour ordinaire par certains et l’obtention de la nationalité belge par d’autres tout en prestant à l’ambassade.

Il importe d’ouvrir la parenthèse pour rappeler que mi-décembre 2015, le directeur des Affaires administratives au ministère congolais des Affaires étrangères, Adolphe Mbulu Ngudié a conduit à Bruxelles une commission chargée de préparer le rapatriement des diplomates. Pas tous. Plusieurs noms manquaient à l’appel. Pourquoi? Dieu seul sait les critères de sélection qui ont prévalu.

Aux fonctionnaires nominativement désignés, un montant équivalent à un mois de salaire et trois de rappel a été versé. En contrepartie, les «bénéficiaires» devaient cesser de prester dès fin décembre 2015 et rejoindre Kinshasa à la fin de ce mois de février 2016.

Suite aux réclamations exprimées par les intéressés conditionnant leur retour par le versement de l’entièreté ou d’une partie des arriérés des salaires - afin d’apurer des dettes contractées auprès des fournisseurs belges -, le ministre Raymond Tshibanda a décidé de les rencontrer. Fermons la parenthèse.

A en croire Tshibanda qui est à la tête de ce ministère régalien depuis fin avril 2012, « Joseph Kabila » a mis à la disposition de son Département des « ressources exceptionnelles » afin d’organiser un début de rapatriement. «Ces ressources ne viennent pas du budget de l’Etat, a-t-il martelé. Nous avons dû impliquer le chef de l’Etat pour les obtenir».

Il a demandé aux diplomates concernés de rentrer au pays. Selon lui, leurs droits seront payés
«dès que l’Etat congolais aura amélioré, au fur et à mesure, ses marges de manœuvres».

Tshibanda a quasiment tancé les concernés en leur rappelant que les règlements d’administration qu’ils invoquent ne contiennent pas que des "droits". « ils contiennent aussi des obligations », dira-t-il citant notamment la durée réglementaire du mandat (4 ans à l’étranger, 2 ans à la Centrale). Question : est-ce la faute de ces fonctionnaires si le ministre des Affaires étrangères a "oublié" de mettre à leurs dispositions des moyens pour le retour?

Le chef de la diplomatie congolaise a surpris l’assistance en débitant ce qui ressemble bien à des lamentations. «Tels que vous êtes devant moi, vous êtes largement, très largement au-delà de la durée du mandat prévu à ce poste », soupire-t-il. Et d’ajouter sur le même ton plaintif : « On ne peut pas avoir des diplomates qui restent dans un poste pendant 10, 15, 20 voire 30 ans. On n’a vu ça nulle part, ça ne se fait pas ! » « Le principe est que vous faites quelques années en poste et vous rentrez au pays ».

Une diplomatie malade de l’arbitraire et de l’incurie

La diplomatie congolaise est malade. C’est un euphémisme. Cette « maladie » remonte au début des années 1990. A l’époque, le pays qui s’appelait encore Zaïre faisait face à une crise socio-politique suite à un processus démocratique lancé dans la précipitation. A la crise politique est venue s’ajouter la mauvaise santé de l’entreprise publique Gécamines. Celle-ci apportait à l’Etat pas moins de 60% de ses ressources en devise forte.

Depuis 1992, l’Etat zaïro-congolais, devenu impécunieux, n’a plus été en mesure d’entretenir ses missions diplomatiques (ambassades et consulats généraux) estimées à l’époque à une soixantaine. Conséquence : la rotation des fonctionnaires a cessé d’être automatique. Plusieurs mesures de rappel resteront sans effets. Par manque tout simplement d’argent. Et pourquoi pas de la volonté politique?

La diplomatie zaïro-congolaise a vu son état s’aggraver avec la prise du pouvoir par l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre). Ivres de leur victoire mais souffrant du «noviciat gouvernemental», les nouveaux maîtres du pays qui prétendait « lutter » pour le triomphe de « l’Etat de droit » se sont livrés au viol systématique des textes en vigueur dont les règlements d’administration relatifs notamment au déroulement de la carrière. Des centaines de diplomates sont jetés dans la rue aux quatre coins du monde. Ils sont estampillés : «mobutistes».

En juillet 1998, Bizima Karaha est remplacé à la tête de la diplomatie congolaise par Abdoulaye Yerodia Ndombasi. En mai 1999, celui-ci va étaler son ignorance des us et coutumes diplomatiques à travers un message adressé à son homologue belge d’alors, Erik Derycke. Le message contenait les identités des diplomates congolais affectés à Bruxelles. Derycke chargea son chef de cabinet, Yves Haesendonck, d’en informer le personnel diplomatique ex-zaïrois. Le texte était libellé comme suit : « Les autorités congolaises viennent de nous communiquer la liste des nouveaux diplomates. Nous n’allons pas vous chasser manu militari. Toutefois, nous vous invitons à prendre contact avec l’Office des étrangers pour régulariser vos séjours en Belgique ».

Dialogue de sourds

Des diplomates en poste depuis plusieurs années en Belgique se sont retrouvés du jour au lendemain sans titre de séjour. Des familles entières sont livrées à leur triste sort. C’est le sauve-qui-peut général.

En 2004, une trentaine d’«anciens diplomates» décident de rompre avec la résignation en intentant un procès contre l’Etat Congolais. La procédure est toujours en cours.

Depuis la prise du pouvoir par l’AFDL, il y a dix-huit ans, le ministère congolais des Affaires étrangères a vu défiler à sa tête une dizaine de ministres. Aucun d’eux n’a eu à cœur de dresser un état de lieu pour identifier les maux qui affectent ce secteur névralgique afin de « prescrire » une thérapie appropriée. "Toutes les activités du ministère sont concentrées au niveau du cabinet du ministre, confie un vieux fonctionnaire. Le ministre est très souvent en voyage à l’étranger. L’administration dirigée par le secrétaire général fait de la figuration".

Depuis dix-huit ans, l’Etat-AFDL-PPRD a continué à envoyer « ses » diplomates à l’étranger. Et ce sans tenir le moindre compte de ceux qui doivent être rapatriés. Du jour au lendemain, le fonctionnaire rappelé est rayé du listing de paie et privé des ressources pour payer le loyer mensuel de son habitation. Un vrai drame humain.

Confrontés à l’état de nécessité, certains diplomates en poste en Belgique ont acquis la nationalité belge. D’autres ont obtenu le statut de réfugié ou celui de résident ordinaire.

Jeudi 18 février, le chef de la diplomatie congolaise a eu un vrai dialogue de sourds avec les diplomates venus le rencontrer. Ces derniers ont demandé poliment mais fermement la liquidation des arriérés de salaire « avant le départ ». « Si vous décidez de ne pas rentrer, vous rompez le contrat avec l’Etat congolais », a rétorqué Tshibanda.

Commentaire d’un observateur : "Le rôle d’un ministre consiste à prendre des décisions fondamentales et à fixer les objectifs au plan diplomatique. Que vient faire le chef de la diplomatie congolaise dans le dossier de rapatriement des diplomates qui est une matière purement administrative? Il est clair que c’est une affaire de gros sous...".



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