Les Etats-Unis se mouillent : pas de troisième mandat en RDC. La folie du CHAN passée, la politique reprend ses lettres de noblesse. La Majorité présidentielle (MP) s’est retrouvée, hier jeudi à Kingakati, autour de son autorité morale, Joseph Kabila. Un sujet majeur a dominé les échanges : la forte pression américaine pour l’organisation des élections dans les délais constitutionnels. Washington entrevoit déjà des sanctions si le processus électoral continue de coincer. A Kingakati, la menace est prise au sérieux. La territoriale a été reléguée au second plan.
L’étau se resserre autour du pouvoir à Kinshasa. Les Etats-Unis, première puissance mondiale, ne sont pas prêts à tolérer une quelconque compromission dans le processus électoral en cours en République démocratique du Congo. Face à la volonté affichée de la Majorité au pouvoir de passer outre la Constitution afin de permettre à son autorité morale de demeurer au pouvoir au-delà du terme constitutionnel de décembre 2016, voire de rempiler lors de la prochaine présidentielle ainsi que l’opposition l’accuse, l’administration Obama a décidé de faire monter d’un cran la pression. L’heure des messages soft semble révolue.
John Kerry, le secrétaire d’Etat américain, a fait en 2015 le déplacement de Kinshasa pour le dire de vive voix aux autorités congolaises. Comme si cela ne suffisait pas, Washington a déployé dans la région des Grands Lacs un envoyé spécial du président Barack Obama pour suivre, pas à pas, le processus électoral en République démocratique du Congo.
Aujourd’hui, la position des Etats-Unis est connue. La renégociation de la Constitution pour permettre notamment au chef de l’Etat, Joseph Kabila, de continuer son mandat au-delà de 2016 est hors de question. Mercredi dernier dans une conférence-vidéo animée depuis la capitale fédérale américaine, la sous-secrétaire d’Etat américaine aux Affaires africaines, Linda Thomas-Greenfield, est largement revenue sur le sujet. En des termes qui ne prêtent à aucune confusion possible.
Washington ne porte plus de gants
« Nous ne croyons pas que les dirigeants devraient rester longtemps au pouvoir en changeant la Constitution », a-t-elle déclaré, soulignant que « le fait pour certains présidents de changer la Constitution est extrêmement inadmissible ». Le même jour, soit le mercredi 10 février 2016, Tom Periello, envoyé spécial de Barack Obama dans les Grands Lacs, et Roger Meece, ancien ambassadeur des Etats-Unis en RDC et ancien patron de la Monusco, étaient entendus sur le dossier RDC devant la Commission Afrique du Sénat américain.
La succession des évènements a été telle que la Majorité présidentielle n’a pas pu se retenir. Hier jeudi, son bureau politique s’est réuni en mode d’urgence autour de son autorité morale à Kingakati, dans la banlieue Est de la ville de Kinshasa. Le prétexte officiel était le partage des postes au sein de la territoriale dans les 21 nouvelles provinces relativement à l’annonce de la Céni d’organiser les scrutins de nouveaux gouverneurs.
Kingakati est pour la Majorité présidentielle l’équivalent de la chapelle Sixtine pour le Vatican. Car, généralement c’est à Kingakati que la MP se retranche chaque fois qu’il s’agit de prendre de grandes orientations. Jeudi dernier, il en a été le cas. Autour de Kabila, tous les ténors de la MP ont répondu présents.
Selon des indiscrétions, la forte pression américaine sur le pouvoir a dominé le débat. Une lettre du sénateur Edward J. Markey, datée du 5 février 2016, adressée au secrétaire d’Etat américain John Kerry tire la sonnette d’alarme sur les conséquences qu’aura un blocage du processus électoral en RDC et dans la région des Grands Lacs. Il écrit : « Il est essentiel que nous agissions maintenant pour éviter cette possibilité en poussant les dirigeants de la RDC de respecter la garantie constitutionnelle que la RDC aura son tout premier transfert démocratique du pouvoir cette année ».
L’administration américaine envisage depuis quelques temps d’inscrire à coté des noms des chefs des groupes armés qui endeuillent le pays depuis plus de deux décennies, les noms des tripatouilleurs de la Constitution du 18 février 2006. Les sanctions pourraient s’étendre sur le gel des avoirs, à l’interdiction d’entrée sur le territoire américain, voire de voyager, etc.
Dans la Majorité, l’affaire est prise très au sérieux. Joseph Kabila a voulu en débattre avec ses principaux lieutenants. Rien n’a filtré sur les détails des débats, mais des indiscrétions rapportent que la question avait été débattue, même si ce fut à sens unique. Une ligne d’attaque a été définie. Des sources rapportent que la ligne dure, souverainiste aurait pris le dessus. Ce qui pourrait être fatal face à la puissance américaine.
Que faire en pareille situation ? C’est certainement choisir la voie de la raison, étant donné l’identité des vues entre Paris, Washington, Londres et New-York, laquelle trouve du répondant dans l’expression populaire à l’issue de la campagne du CHAN 2016 où les Léopards congolais ont remporté le trophée. Il n’y a que des sourds et des aveugles pour ne comprendre le message. Certes, adopter des positions contraires ne serait que suicidaire.
A Kingakati, c’était la veillée d’armes. La MP aura-t-elle les moyens et le courage de rebondir ? Nul ne le sait. Pour l’instant néanmoins, Washington a tracé la voie à suivre. Autrement dit, le vin est tiré. Il ne reste plus qu’à le boire.
LePotentiel