
Samedi 28 novembre 2015, Joseph Kabila Kabange, Président de la République, s'est adressé à la Nation en ces termes : "... après avoir recueilli vos avis directement et à travers ceux qui ont porté vos préoccupations aux consultations, mes chers compatriotes, j'ai décidé, ce jour, de la convocation d'un Dialogue politique national inclusif et de la mise en place subséquente d'un comité préparatoire pouvant régler tous les aspects liés à son organisation".
Au lendemain de ce discours, des divergences profondes d'opinions ont réapparu au sein de la classe politique et, même, de la Société civile à propos du bien-fondé de ce Dialogue politique, les unes soutenant mordicus sa convocation (les pro-Dialogue), et, les autres, s'y opposant farouchement (les anti-Dialogue). Quelle serait alors la voie de la sagesse?
Genèse du Dialogue
Le jour où le Chef de l'Etat, Joseph Kabila, était face au patronat de la presse nationale, au Palais de la Nation, il avait abordé, sans équivoque, la genèse des consultations présidentielles entamées, le 1er juin 2015 en vue du Dialogue politique. "Il ne s'agit [les consultations] ni d'un rêve, ni d'une vision, qui m'aurait traversé un matin, comme si je n'avais rien à faire.", avait déclaré le Président de la République.
D'après lui, l'idée de consulter l'agora politique, aussi bien la Majorité que l'Opposition, de même que les Forces vives de la Nation, remonte à l'année 2012, afin de se pencher sérieusement sur la gestion de la guerre dans la partie Est de la République démocratique du Congo après la chute de la ville de Goma suscitée par les fameux rebelles du M23. Déjà à cette époque, le premier citoyen congolais avait voulu mettre les filles et les fils du Congo autour d'une table en vue de poser un diagnostic sans complaisance de la guerre d'agression et d'en dégager des pistes de solution.
Aussi, les Concertations nationales avaient-elles été convoquées, en septembre 2013, pour construire une paix durable et recréer la cohésion nationale. Joseph Kabila s'est dit déçu de voir notamment, l'aile dite radicale de l'Opposition boycotter lesdites Concertations et exiger la tenue d'un "Dialogue politique inclusif". Cette rhétorique a fait l'objet d'un matraquage médiatique de la part d'un groupe de politiciens plusieurs mois durant. Ils avaient même créé la fameuse Convention pour le Vrai Dialogue (CVD). Dans son esprit, le Président de la République ne voyait pas l'utilité d'un nouveau Dialogue. Mais, compte tenu de la pressante demande et de l'insistance d'une frange de l'Opposition congolaise, particulièrement, l'Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba et l'Union pour la Nation Congolaise (UNC) de Vital Kamerhe, et aussi de l'Eglise catholique du Congo de même que d'une partie de la communauté internationale, Joseph Kabila a jugé bon de ne plus faire la sourde oreille, de se mettre à l'écoute de ces différents acteurs. Aussi, début avril 2015, avait-il officiellement dépêché son émissaire spécial, Kalev de l'Agence Nationale des Renseignements (ANR), dans quelques états-majors de l'Opposition et de la Société civile dont les confessions religieuses, ainsi que dans certaines missions diplomatiques accréditées en RDC, pour des contacts préliminaires. Hormis une infime partie d'opposants, ce beau monde s'était rendu, tour à tour, au Palais de la Nation, à la Cité de l'Union Africaine et à la ferme de Kingakati lors des consultations présidentielles.
Bien-fondé du Dialogue
Dans son message à la Nation du 28 novembre, comme dans celui du 29 juin auparavant, le Président Kabila a justifié le bien-fondé du Dialogue politique national inclusif qu'il a convoqué par voie d’Ordonnance. Lequel Dialogue devrait principalement porter sur un cycle électoral crédible et apaisé et non pas sur le « partage du gâteau (pouvoir) ». En voici quelques extraits : " 1. Le fichier électoral. Ce dernier soulève, en effet, une série d'interrogations sur sa fiabilité et son inclusivité. Pourtant, rien ne garantit, à ce jour, que tous les Congolais en âge de voter sont inscrits sur les listes électorales comme en témoigne notamment, la problématique de nouveaux majeurs, des Congolais de l'étranger, des déplacés ou des réfugiés retournés dans leurs milieux de résidence. Autant que rien n'atteste que tous ceux qui sont inscrits le sont légitimement ou même détiennent la nationalité congolaise [...]
2. Quant au calendrier électoral, il en existe un. Certes, voulu global incluant l'organisation des élections à tous les niveaux. Seulement, il est rendu non opérationnel à ce jour suite aux multiples voix discordantes au sein de la classe politique [...] 3. S'agissant de la sécurisation du processus électoral, il est de notoriété publique que les élections de 2006 tout comme celles de 2011 ont été émaillées de beaucoup de violences dans quelques circonscriptions électorales. Pour preuve, en 2006, la plus haute juridiction du pays, la Cour suprême de justice, avait été incendiée. A la suite toujours du même scrutin, en 2007, une guerre a éclaté en pleine ville de Kinshasa, faisant plusieurs morts du fait de la non acceptation des résultats électoraux. La même situation ou presque s'est reproduite en 2011 où des violences ont encore éclaté à Kinshasa et dans quelques villes et localités du pays avant, pendant et après les scrutins. Il y a eu des altercations entre militants des partis politiques [...]. Doit-on brûler le pays parce qu'on a perdu une élection ou l'exposer à des revendications violentes? [...]
4. Le financement du processus électoral nous impose une réflexion profonde. En effet, à ce jour, la CENI a communiqué à toutes les parties prenantes au processus électoral, un budget équivalant en Francs congolais à un milliard et deux cents millions de dollars américains pour financer l'ensemble du processus électoral. Pour l'année 2016, le Gouvernement a prévu, dans le projet de loi des finances, une enveloppe équivalant à 500 millions de dollars américains." Dans la même allocution, le Chef de l'Etat est arrivé à la conclusion, après toutes les consultations menées et après avoir donné du temps aux pessimistes et à tous ceux qui se sont prononcés contre le Dialogue, de proposer des voies alternatives crédibles, au-delà des affirmations péremptoires de rejet par principe de ce que le bon sens commande, que seul le Dialogue politique national inclusif peut, une fois de plus, permettre à la Nation de prévenir une grave crise. Ainsi donc, "le Dialogue c'est la voie de la sagesse", comme l’a si bien indiqué Joseph Kabila. « Mieux vaut prévenir que guérir », dit une sagesse populaire.
Le Dialogue, tradition des Congolais
Les publicistes (professeurs et chercheurs en Droit Public) disent que la coutume constitutionnelle est constituée d'un ensemble d'usages et de traditions découlant de la pratique de la Constitution et acceptés par l'ensemble de la population au point de devenir une valeur juridique imposable à tous. La coutume constitutionnelle remplit, dans ce cas un double rôle (coutumes interprétatives et coutumes supplétives) relativement aux dispositions constitutionnelles obscures ou lacunaires.
En RDC, le Dialogue politique est donc une coutume constitutionnelle. Pour mémoire, depuis sa décolonisation, environ dix-sept forums ont mis autour d’une table des acteurs politiques congolais. Il s'agit de : la conférence de Léopoldville du 25 janvier au 28 février 1961; la conférence de Tananarive du 8 au 12 mars 1961; la conférence de Coquilathville du 24 avril au 28 mai 1961; la conférence nationale souveraine de 1991 à 1992; le dialogue inter Congolais de Sun City du 25 février 2002 au 12 avril 2002; la conférence de Goma du 6 au 22 janvier 2007; etc. Unanimement, l'agora politique, les Forces vives et l’ensemble du peuple sont d’avis que le Dialogue politique national est une tradition des Congolais. Même le Conseil de Sécurité des Nations Unies, par la "Résolution 2098", a donné le feu vert au Représentant spécial du Secrétaire Général de l'ONU de promouvoir le Dialogue politique transparent en RDC. En cette première semaine de décembre 2015, l’Algérien Saïd Djinnit a commencé à jouer ce rôle, en écoutant le son de cloche de chaque partie prenante au processus électoral au Congo-Kinshasa afin de concilier les deux positions antagonistes. Alors pourquoi les réfractaires (les anti-Dialogue) ont-ils refusé de "répondre à l'appel pathétique de la Patrie", malgré la facilitation internationale exigée à cor et à cri par un groupe d’opposants?
La volte-face fait, malheureusement, partie des habitudes de la majeure partie des élites congolaises actuelles. Pendant les consultations, Joseph Kabila avait fustigé l'attitude des acteurs politiques de l'Opposition, capables de dire "Oui" le matin et "Non" le soir face à un même problème tel, "le Calendrier électoral global", "le Dialogue politique inclusif", ... Au final, le Pape François, dit le Saint Père, a validé cette voie royale du Dialogue au Congo-Kinshasa dans son message urbi et orbi, le jour de Noël. De même, Ban Ki-Moon, Secrétaire Général des Nations Unies, a encouragé le Président Joseph Kabila à engager un Dialogue inclusif en vue d’un consensus pour un processus électoral apaisé. Dans un communiqué conjoint daté du 16 février 2016, l’ONU, l’UA, l’UE, l’OIF, appellent tous les acteurs politiques congolais au Dialogue sous la facilitation du Togolais Edem Kodjo pour la tenue des élections « à bonne date ». Bonne nouvelle, l’opposant historique Etienne Tshisekedi se décide, enfin, de regagner la terre de ses ancêtres en vue du Dialogue politique national. Vivement le Dialogue !!!
James M. Yende