
A lire dans les lignes qui suivent.
Dans quel état d’esprit avez-vous appris la nouvelle sur la mort de Papa Wemba ?
Barbara Kanam: Sa mort a choqué tout le monde. Papa Wemba est partie de manière brutale. Je pleure un Papa. Triste ! Je crois que beaucoup de personnes sont dans mon état aujourd’hui. C’est vrai, on avait appris qu’il était tombé un peu malade. Mais, particulièrement, je l’ai vu un mois avant sa mort. Il était plein de vie, en forme. On a même chanté ensemble sur une même scène lors d’une soirée de gala à Béatrice Hôtel à Kinshasa, dans le cadre de la lutte contre les violences faites aux femmes. Il était souriant.
Il avait beaucoup des projets sur la musique. D’ailleurs, on avait même envie de faire la présentation officielle de son dernier album « MAITRE D’ECOLE », que j’ai eu l’honneur de participer et de chanter en featuring avec lui dans la chanson « TRIPLE OPTION ». Je crois que cette chanson restera le plus beau cadeau et plus beau souvenir finalement qu’il m’a laissé.
Vous aviez fait monter des banderoles à travers la Ville de Kinshasa en signe d’hommage à l’artiste. Quel type de relations entretenez-vous avec le Roi de la rumba ?
BK : Papa Wemba était un papa pour moi. Il avait une affection un peu particulière envers moi que je n’arrivais même pas à définir. Evidemment, je le connaissais depuis mon jeune âge. Il nous a tous marqué par ses chansons, par son carrière, son film « La vie est belle ». Pour moi, Papa Wemba était la méga star. Voir quelqu’un de sa dimension venir vers moi, me soutenir, me considérer, me tendre la main, je ne pouvais pas rester insensible. Il parlait toujours de moi en qualité de Diva africaine. Il m’a beaucoup honoré. Avec toute sa grandeur, il m’a invité de chanter avec lui, dans son album. Il m’a donné toute ma place pour s’exprimer dans son dernier disque. Qu’est-ce qu’il attendait de moi pendant qu’il avait tout pour lui ? Je le rencontrais en 2013. Donc, ça fait trois ans. C’était très profond notre relation. C’est très rare de voir de nos jours des grands de son rang venir vers les jeunes. Peut-être ce que je retiens de lui, c’est le sens du respect qu’il avait envers moi. Je n’ai jamais vu un artiste de sa trempe avec autant d’humilité et de simplicité. Surtout qu’il était notre plus grand Ambassadeur. Il a fait beaucoup pour la jeunesse et pour notre continent. C’est vraiment un Baobab de la musique africaine. Chacun de nous a été influencé quelque part par Papa Wemba. Raison pour laquelle, je lui dois au moins ça.
«Triple option» est le dernier surnom que Papa Wemba vous a baptisé. Pourquoi il vous a-t-il attribué ce nom ?
BK: Il n’y avait que lui pour créer ces genres de concept. Lorsque vous attendez parler de « Sapologie », « Village Molokai », « Le Roi de la sape » ! Imaginez-vous ! Il faut rappeler qu’il était un artiste au talent innombrable. Papa Wemba n’était pas que chanteur. Il faisait la peinture, le cinéma et le mannequinat. Il était vraiment un artiste au vrai sens du terme…..Il avait un esprit ouvert. Lorsqu’il m’a demandé de chanter avec lui au studio. Il m’a dit, viens ! J’ai une chanson réservée qu’à toi intitulée « Triple option ». Je lui ai posé la question pourquoi « Triple option » ? Il me répond : tu vas l’écouter et tu verras que c’est une chanson taillée sur mesure. Et désormais, il m’appela toujours «Triple option ». J’ai l’impression que ce nom commence à me coller à la peau, à la place de Diva…. Concernant « Triple option », Papa Wemba voulait dire qu’une femme doit avoir de valeur dans la société. Elle doit se respecter et prendre soin d’elle, cultiver l’amour autour d’elle. C’est une façon de rendre hommage à la femme. Parce qu’il avait beaucoup de respect à la femme. Voilà pourquoi j’avais accepté de chanter cette mélopée avec lui.
Quelle a été la place de Papa Wemba dans la musique congolaise, selon vous ?
BK : Je pense que les hommages que cet artiste a reçus à travers le monde depuis la nouvelle de sa mort, prouve à suffisance le niveau qu’il avait. De fois, on dit : nul n’est prophète chez lui. Il a fallu qu’il meure afin que son pays comprenne sa grandeur. Alors que de son vivant, on ne lui a pas donné sa place qu’il méritait. Regardons comment les médias internationaux sont-ils mobilisés et ont-ils consacré des tranches pour parler de ce monsieur. C’était un des grands ambassadeurs culturel que le Congo n’a jamais connu. Près de 50 ans de carrière avec plus de 30 albums, il a introduit le courant de la world music dans la rumba. Il a chanté avec des grands du monde tels que Peter Gabriel, Ophélie Winter. Il était très ouvert. Il a traversé tous les âges en réalisant des featuring avec toutes les générations. Il n’y a pas un jeune qui a manqué de partager un moment avec Papa Wemba. Il avait un esprit de rassemblement et d’anti-polémique. Sa grandeur repose aussi dans l’esprit de propulser les autres. Il avait un amour de transmettre, d’aider les autres à aller de l’avant. Allez à Paris sur Château Rouge, beaucoup de congolais vous dira qu’ils sont arrivés en Europe grâce à Papa Wemba. Il ne voulait pas réussir seul. A son niveau, il avait le temps pour les autres. Toutes ces qualités pousseraient à lui dire toujours merci. Je lui serai toujours reconnaissante. Le Congo a perdu une grande légende.
Avez-vous un souvenir particulier que vous garderez du Vieux ?
BK : Curieusement, il était aussi une personne très timide. Je me souviens lorsqu’on faisait le clip vidéo de cette chanson. On avait l’impression que c’est ma chanson, c’est moi qui jouais et lui était derrière moi. En liesse, il fondait comme un enfant en me laissant tout faire. Le plus beau souvenir est lorsqu’il me disait qu’il faut qu’on chante «Triple option ». Il me disait avec cette chanson, je verrai comment le public va encore me découvrir davantage avec un angle différent. C’est ce que je suis en train de vivre aujourd’hui. Notre featuring m’a beaucoup permis de me rapprocher davantage des fanatiques de Viva-la-Musica, qui m’acceptent, désormais. Donc, il a apporté vraiment un plus dans ma carrière.
Quelle leçon peut-on tirer de sa mort ?
BK: C’est ça la grandeur de l’art, de la musique. On reste immortel par nos œuvres. A chaque fois que j’écouterai «Triple option », j’aurai l’impression qu’il est encore là. Malheureusement, je ne chanterai plus avec lui. Mais, il m’a laissé quelque chose qui me restera à vie. Il y a aussi une autre leçon. C’est que nous sommes tous des pèlerins sur terre. Tout est vanité. Nous sommes tous appelés à mourir un jour. Aucun homme n’échappera à la mort. D’où, il faut toujours poser des bons actes. Il faut apprendre à donner l’amour lorsque la personne est vivante. Savoir reconnaitre le mérite des autres lorsque l’occasion se présente. J’espère que beaucoup de gens ont du regret de ne pas avoir eu l’occasion de dire à Papa Wemba que tu étais bon ou excellent malgré les hommages. Il ne faut pas attendre sa mort pour manifester cela. Il faut se faire du bien entre nous pendant qu’on est vivant. Parce qu’après ce sera trop tard !
Croyez-vous à l’avenir du groupe Viva-la-Musica après sa disparition ?
BK : Papa Wemba est irremplaçable. C’est vrai qu’il a laissé un orchestre avec des musiciens mais ils auront beaucoup du mal. Je me mets à leur place. J’espère qu’avec le temps, ils pourront se ressaisir et continuer l’œuvre de Papa Wemba mais il est irremplaçable. C’est difficile. Je ne sais pas si ça peut nous prendre combien des siècles pour avoir un autre Papa Wemba. Il était spécial. J’ose croire que ce nom de Papa Wemba lui convenait vraiment parce qu’il était un vrai papa avant tout.
Avez-vous un message à adresser au public ou à sa famille biologique ?
Barbara Kanam : D’abord, je présente mes sincères condoléances à maman Amazone, son épouse qui doit être une femme très meurtrie, à cet instant. Si nous, on a déjà cette douleur de perdre une grande star de sa trempe, mais à combien plus forte raison, elle qui a partagé autant d’années ensemble avec Papa Wemba. J’imagine la douleur que ressentent ses enfants, ses proches ou encore ses musiciens. Et toute la famille artistique, que nous sommes. On se sent orphelin. J’ai l’impression comme si la musique congolaise s’est arrêtée. Mais, elle ne s’arrêtera pas parce qu’il nous a laissés un très bel album « Maitre d’école ». Un maître est celui qui enseigne. Il nous a enseignés des choses que nous allons essayer d’appliquer. C’est-à-dire, aimer les autres, faire de la musique avec passion, avec amour de mieux faire. Constatons simplement la manière dont il nous a quittés. C’est comme s’il a avait orchestré sa mort. Comme une mise en scène. Il est mort en chantant avec micro à la main, bien habillé et bien parfumé. Papa Wemba est parti avec toute sa grandeur.
Propos recueillis par Jordache Diala