Il n’y a point de doute que ceux et celles qui s’attarderont à scruter l’histoire de la République démocratique du Congo, plus spécifiquement les archives de la culture politique du Congo, traiteront l’Abbé Malumalu de renégat de la démocratie pour les idéalistes d’une part et d’autre part de politicien pragmatique qui a tenté à sa manière de faire une lecture stratégique de son époque pour tenter d’en tirer les meilleurs bénéfices pour son pays.
Ma thèse est que Malumalu a été un politicien pragmatique qui devait choisir entre :
1) une action qui permettrait de tirer les plus grands bénéfices du contexte de l’époque et éviter d’aggraver d’avantage les conditions sociopolitiques et économiques du pays, et chine-occident
2) la voie idéaliste dont la saveur ne tenait qu’au slogan d’une démocratie totale, à l’instar de la France et des Etats Unis, une option qui risquait de conduire le pays dans des souffrances plus grandes parce que la guerre qui sévit au Congo n’est pas congolaise mais une guerre de lutte d’influence entre deux blocs économiques: Etats Unis et Europe d’un bord et la Chine de l’autre.
En d’autres termes, Malumalu le politicien, analysant les conditions sociopolitiques et économiques de son temps, tant sur le plan national, régional qu’international, le moindre mal consistait à faire élire Joseph Kabila, le candidat du compromis entre des détenteurs du pouvoir économique mondial : les USA, l’Europe et la Chine.lumumba - Mzee Kabila 2 Privilégier cette piste de solution signifiait que les USA et l’Europe revenaient en force dans une démarche non-avouée de vouloir contrer une influence chinoise devenue trop grande en R.D. Congo à la suite de la vague nationaliste tintée de révolution instaurée par Laurent Désiré Kabila qui sera immédiatement indexé et accusé par les occidentaux de vouloir les évincer de leur zone d’influence idéologique et économique. Et pour avoir osé, il paya le plus grand prix dans les circonstances qui restent encore méconnues du grand public tel l’est encore les circonstances de la mort de Patrice Lumumba.
Le choix de l’idéalisme politique qui consistait à appliquer les principes d’élections démocratiques réglementaires supposait la tenue d’élections non entachées de tricheries au cours desquelles tous les candidats auront les mêmes chances. Tshisekedi 2Bemba 2Ceux et celles qui campaient dans cette position voulaient aux commandes du gouvernement Etienne Tshisekedi ou Jean-Pierre Bemba. La contingence stratégique est de mise pour s’affranchir des contingences structurelles. Il ne faut pas se le cacher, ce sont les contraintes du pouvoir. Par ailleurs, Etienne Tshisekedi est un politicien dont les compétences sont de nature technicienne, un homme qui manque malheureusement de dimension esthétique du pouvoir qui lui a fait manquer des opportunités politiques à la fois sous Mobutu et Laurent Désiré Kabila. Pour plusieurs Congolaises et Congolais, Tshisekedi ne représente plus que l’ombre d’une classe politique archaïque qui rappelle les affres du régime dictatorial de Mobutu dont il a été un des principaux artisans. De plus, plusieurs Congolaises et Congolais le perçoivent, à tort ou à raison, comme un homme dont l’approche politique est essentiellement ethniste.
Bemba - Mobutiste
Pour ce qui est de Jean-Pierre Bemba, ayant même osé avancer l’idée d’une sécession de l’Equateur, était compris par plusieurs comme un rebelle revanchard nostalgique du passé. L’homme était considéré comme le symbole par excellence du retour des mobutistes dont le triste souvenir était encore très frais dans la mémoire collective des Congolaises et Congolais lors des élections de 2006. Il faut se rappeler que les élections de 2006 ont eu lieu dans un contexte de sortie d’une longue guerre imposée au Congo par l’Europe et les Etats Unis qui n’ont comme motif véritable que l’affaiblissement de la montée croissante de la Chine au Congo à travers leurs intermédiaires rwandais et ougandais. A cette époque, les Congolaises et Congolais de l’Est du Congo ne voient en Bemba qu’un politicien véreux sans scrupule qui se nourrissait aux mamelles des politiciens rwandais et ougandais qui ne juraient que par le démembrement du Congo. De plus, la sanguinaire « Opération effacer le tableau » était encore vivace dans les narrations populaires.Il ne faut pas se méprendre. Tous les principaux mouvements rebelles ont été sanctionnés par le peuple en commençant par le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) qui n’a récolté que 3% de votes et les mobilistes campés sous le drapeau de l’Union des démocrates mobutistes qui n’ont eu que 2% de suffrages. La paix était le vœu le plus précieux dont rêvait le peuple congolais. Malheureusement, 10 ans après les élections essentiellement axées sur le retour de la paix, Joseph Kabila a prouvé sans l’ombre d’un doute qu’il ne rétablira pas la paix à l’Est du Congo. Comble de malheurs, Jean-Pierre Bemba, même en prison, devenait de plus en plus le moindre mal (quelle invraisemblance) et par conséquent l’alternative, pour la plupart des Congolaises et Congolais, devant Tshisekedi qui n’a jamais réussi à tourner à sa faveur les conditions politiques du Congo.
Au centre de la lecture des conditions électorales au Congo, on ne peut pas minimiser la structuration du pouvoir des principaux acteurs sans être complaisant. Le pouvoir d’action ou la capacité des faiseurs de chefs de guerres, capables de nuire durablement est un facteur dont il faut tenir compte dans l’analyse du processus électorale au Congo. usa + UEPour revenir sur la lecture stratégique des conditions nationales, régionales et internationales, pour les Chinois, Tshisekedi et Bemba sont éloignés du cercle de l’élite politique que la diplomatie économique chinoise entretient et soutient à coups de millions de dollars déjà depuis près de deux décennies. Pour les Chinois, Tshisekedi et Bemba sont les représentants du camp ennemi, les USA et l’Europe.
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Vital Kamerhe qui montait en puissance pour pouvoir prétendre à la magistrature suprême et constituer une alternative à Bemba et Tsisekedi, était une figure de proue dans le cercle du pouvoir de Joseph Kabila et par ricochet connu par les milieux chinois. Malheureusement, il se suicida politiquement en prenant trop tôt ses distances de Joseph Kabila. Dans ces conditions de lutte de pouvoir, Joseph Kabila est resté le compromis acceptable pour les intérêts de ces trois grands acteurs qui influencent significativement les destinées actuelles de la R.D. Congo. Le compromis au cours des deux élections se résumait en la continuité politique avec Joseph Kabila assorti d’un engagement formel de la Chine de lâcher de grands pans de l’économie congolaise au profit des USA et l’Europe. S’écarter de ce compromis politique serait s’engager durablement dans une lutte ouverte entre les deux blocs USA-Europe et Chine sur le territoire congolais. Lorsque les éléphants se battent, c’est l’herbe sous leurs pieds qui paient le prix.
Aussi significatif que le « grand compromis » était l’état de délabrement de l’économie congolaise et la paupérisation profonde des masses. En effet, plus de trente ans de destruction des infrastructures administratives, routières, ferroviaires, aéroportuaires et maritimes, à laquelle il faut ajouter le pillage organisé par les chefs de guerre, ont fini par pousser même les citoyens les plus valeureux à la mendicité comme moyen de survie. Du général des armées au simple enseignant, les conditions de vie sont devenues insoutenables et tous les débats politiciens ne sont plus que des buées de fumée dont la majorité de Congolaises et Congolais n’en ont que faire sauf ceux et celles qui cherchent à saisir l’opportunité qu’offraient les nouvelles élections pour déshabiller les kabilistes pour s’habiller eux/elles-mêmes.
De plus, il faut garder à l’esprit qu’un exercice démocratique transparent est un processus de longue haleine et couteux. Les expériences de processus électoral réussi montrent qu’il faut un minimum d’infrastructures. C’est-à-dire que pour que des élections dignes de celles que les idéalistes- jusqu’auboutistes congolais – se forgent dans leurs têtes soient tenues, il faut des gros moyens financiers allant de la mise à niveau des infrastructures bureaucratiques qui permettent d’éviter la tricherie électorale, les salaires des milliers de membres du personnel électoral, la mise en place des infrastructures électorales de base dans tous les coins du pays, l’enrôlement et le dépouillage. Pendant que les politiciens se pavanent d’être à la recherche d’une démocratie digne de ce nom, ils vident les miettes qui restent dans les caisses de l’Etat prétendant organiser les élections, alors que des milliers d’enfants sont sans éducation, les paysans ne peuvent pas acheminer leurs récoltes vers les centres urbains faute de routes de desserte et des milliers de fonctionnaires sont impayés. Il ne faut pas s’étonner que les élections tant de 2006 que de 2011 étaient perçues par plusieurs comme un enjeu sans importance car la seule chose dont le peuple avait besoin était l’assurance de l’intégrité territoriale et la paix pour leur permettre de vaquer à leurs besognes. Les occidentaux ont certes mis des moyens importants pour permettre d’organiser les élections au Congo. Néanmoins, les élections de 2006 et 2011 ont mis les limites d’une démocratie précipitée qui n’ont pas pris en compte les conditions de délabrement des infrastructures sur lesquelles les élections se fondent : la paix relative et un minimum d’infrastructures socio-politiques et économiques.
Il va de soi que toute décision politique produit des effets qu’il convient de scruter pour voir si elle a atteint les résultats escomptés. Dès lors, poser la question suivante est tout à fait naturel: le pragmatisme politique de 2006 adopté par Malumalu a-t-il produit les résultats escomptés? Pourquoi celui-ci est-il revenu à la tête de la CENI en 2013 ? Rappelons que les résultats tant espérés de Malumalu et avec lui les Congolaises et Congolais peuvent se résumer à l’apaisement des conflits politiques qui faisaient rage depuis la chute de Mobutu en 1997, l’espoir de réunification du pays pour éviter son implosion et mettre fin aux massacres de masse à l’Est du Congo, en gros ramener la paix.
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Pour ce qui est de l’apaisement politique, entre 2006 et 2011, le Congo a vécu une certaine période de calme relative comparativement à la période allant de 1998 à 2003, malgré certains dérapages. Il faut citer des facteurs comme la décadence de l’armée, le prolongement d’une guerre clandestine du Rwanda et de l’Ouganda pour le pillage des richesses, la difficile mise en place de la répartition des revenus entre les gouvernements provinciaux et le gouvernement central, le manque cruel d’institutions bureaucratiques pour assoir les premiers principes de la démocratie, le manque d’accès à l’éducation et le détournement des misérables salaires des fonctionnaires de l’Etat qui sont venus saper toute chance de progrès démocratique.
Quant à la réunification du pays, les résultats ont été mitigés, penchant plutôt vers le fiasco. Le Rwanda et l’Ouganda violent constamment l’intégrité territoriale du Congo. La paix promise n’est restée qu’une chimère pour plusieurs qui avaient voté massivement Joseph Kabila. Formellement, personne n’ose plus prononcer l’idée d’arracher du Congo une partie de son territoire. Le nouveau discours introduit par la bouche de Nicolas Sarkozy, porte désormais sur l’exploitation collective des ressources énormes du Congo avec ses pays voisins. Oups ! Dans les faits, l’Est du Congo est resté en partie sous le contrôle du Rwanda et de l’Ouganda et les massacres en grande échelle ne se sont pas arrêtés, occasionnés par l’omniprésence des groupes armées comme le CNDP et le M23 et, plus récemment, des groupes sans noms qui mènent des tueries de masse sur l’axe de la mort allant de Walikale à Beni.
Il est à propos de se demander pourquoi Malumalu est revenu à la présidence des élections présidentielles de 2016. Rappelons-nous que celui-ci jouit d’un certain prestige national et international après avoir réussi à conduire les élections de 2006 au Congo. Alors qu’il fait des vas-et-viens pour vendre son expertise, Malumalu se rend compte de deux choses :
1) au cours des élections de 2011, plusieurs électeurs du Grand Kivu avaient tourné le dos à Joseph Kabila à cause de l’incapacité de son gouvernement à gérer l’épineuse question des violences de masse qui fait fuir les Congolaises et Congolais de leurs communautés- un sentiment de trahison généralisée est palpable et
2) comble d’imprudence politique, la communauté Nande/Yira très nombreuse et influente dans le grand Kivu n’avait plus d’entrées dans l’entourage du pouvoir direct de Joseph Kabila après la déchéance précipitée et inexpliquée de Mbusa Nyamwesi qui pourtant avait risqué sa carrière politique en initiant le premier parmi les groupes rebelles l’unification du pays. Le rejet de Joseph Kabila par plusieurs électeurs du Kivu lors des élections présidentielles de 2011 avait poussé le gouvernement dans une logique punitive dont la manifestation a été l’abandon des projets économiques de construction de routes et d’électrification.
Malumalu revient ainsi sur la scène politique électorale porté sur les vapeurs jaillissant d’une marmite chaude dans laquelle bouillait le mécontentement populaire causé par l’appel des forces civiles qui trouvaient en lui la personnalité la moins corrompue capable d’organiser des élections moins bâclées que celles de 2011 mais qui feraient tomber Kabila et la pression des acteurs économiques du Nord Kivu qui voulaient que Malumalu les aident à se débarrasser du gouvernement de Joseph Kabila qui devenait de plus en plus un obstacle à la promotion des affaires à l’Est du pays. On peut penser aussi que Joseph Kabila, entrainé dans la faute du glissement du calendrier électoral par les mobutistes qui du reste n’ont rien appris à savoir se retirer de l’avant-scène politique avec grâce et dignité, voulait Malumalu à la tête de la commission électorale pour maquiller le glissement du calendrier électoral d’une certaine légitimité.
Que peut-on conclure de ce parcourt politique de Malumalu ?
Pour que des élections libres aient lieu, il faut qu’il existe une structure étatique dotée d’une autorité opérante sur toute l’étendue du territoire. Or, le Congo n’a pas actuellement cet attribut fondamental de l’Etat. De plus, ce prérequis doit s’accompagner d’une élite politico-économique marquée par une volonté manifeste de porter plus haut l’intérêt public plutôt que celui des gains personnels. Or, la recherche du gain personnel, exposé ouvertement par le manque criant d’une cohésion politique noté par la surabondance de partis politiques, reste la caractéristique essentielle des politiciennes et politiciens congolais. L’armée et la police qui devraient être parmi les colonnes centrales de l’Etat congolais ne sont plus que l’expression de leur déliquescence engagée par Mobutu depuis les années 80 et prolongée par les pays voisins et les groupes armés qui ne voient plus au Congo le Léviathan capable de monopole de la violence.
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Dans ce contexte de vulnérabilité étatique, qu’il faut savoir admettre sans ambiguïtés que la position de ceux et celles qui ne jure que par la mise en place d’élections justes s’apparente au jusqu’auboutisme politique avec ce que cela comporte au regard de l’histoire de l’évolution de la démocratie. La perspective d’une démocratie à la française ou australienne dans les conditions actuelles du Congo n’est qu’une illusion politique héritière du néo-conservatisme soutenu par les Etats Unis et qui fait croire aux femmes et aux hommes à travers le monde que la démocratie occidentale est plus importante que la paix. Et pourtant, l’histoire immédiate nous montre que la tentative de démocratisation forcée à l’occidentale avant l’émergence des conditions structurelles de celle-ci, en Iraq et en Lybie, a provoqué dans ces deux pays l’implosion de ces deux nations et la destruction de leurs infrastructures socioéconomiques qui prendront plusieurs générations à se reconstruire, sans compter le nombre de milliers de morts et de déplacés et, plus encore, la haine qu’entraine la violence intercommunautaire. Les hommes et les femmes ne mangent pas la démocratie. Ils ont plus souvent qu’autrement besoin de régimes semi-dictatoriaux qui leur garantissent la paix, la dignité et la stabilité ; des exigences essentielles pour rassembler des opposants politiques en quête de démocratie contextualisée.
Malumalu a sans doute fait ce qu’il fallait faire en 2006. Comme politicien pragmatique, fallait-il qu’il revienne à la tête de l’organisation des élections de 2016? Malheureusement, il semble n’avoir pas laissé de mémoires sur son travail de politicien pour nous permettre de trancher. On peut cependant dire que si c’était pour contribuer à faire tomber Joseph Kabila et sa clique, la réponse est affirmative. S’il revenait pour aider l’actuelle gouvernement à rester au pouvoir après 2016, il faut répondre par la négative parce que Joseph et sa coterie ont fait leur temps et prouvé aux Congolaises et Congolais qu’ils ne sont pas à mesure de pacifier l’Est du Congo, redonner un peu de dignité aux milliers de fonctionnaires de l’Etat congolais et construire suffisammentd’infrastructures de base sur lesquelles le Congo peut espérer retrouver sa place dans le concert des nations. On peut affirmer que ce n’est pas l’approche pragmatique de Malumalu qui est à condamner et louanger l’idéalisme dont les conséquences pouvaient faire reculer le Congo de plusieurs décennies. Bien au contraire, c’est Joseph Kabila et son équipe en qui la population congolaise a tant fait confiance qui doivent subir la sévère sanction pour n’avoir pas travaillé à atteindre les résultats escomptés. Le débat se transport alors sur le terrain de l’équilibre entre liberté et égalité.
Mambo Masinda, PhD
©Beni-Lubero Online.
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