Autorités congolaises et Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) ne sont toujours pas parvenus à un accord sur le lieu de son inhumation. Plus de trois mois après sa mort, en Belgique, Étienne Tshisekedi n'a pas encore été mis en terre. Le corps de la figure emblématique de l'opposition congolaise repose dans un funérarium de Bruxelles. L'UDPS, appuyée en cela par la famille, s'est prononcée pour la construction d'un mausolée à l'intérieur du siège de son parti, à Limeté, dans l'est de Kinshasa, pour accueillir sa dépouille. De son côté, le gouvernement dit non à ce souhait. Brandissant une loi de 1914, il interdit l'enterrement à moins de 50 mètres d'une habitation. Un argument qui fait doucement sourire, car cette loi a été violée à plusieurs reprises, sans que personne ne bronche.




Tshisekedi, de l'État à l'opposition




L'état de santé d'Étienne Tshisekedi déclinait depuis plusieurs années, le contraignant parfois à des séjours médicaux prolongés à l'étranger. Le vieil opposant, décédé à 86 ans, a occupé des postes importants (Premier ministre, ministre, ambassadeur, etc.) avant de s'ériger en défenseur de la démocratie, parfois au péril de sa vie, au début des années 80. Il était l'un des derniers représentants de la première génération de dirigeants politiques du Congo indépendant. Il a bravé tour à tour les présidents Mobutu Sese Seko, Laurent-Désiré Kabila et Joseph Kabila. La prison, la relégation dans son village, dans la province du Kasaï, dans le centre du pays, ainsi que diverses avanies n'ont pas eu raison de la détermination de cet homme qui était respecté aussi bien par ses partisans que ses adversaires.




Son chant du cygne a sans doute été l'accord dit « de la Saint-Sylvestre » que les délégués de l'opposition, sous sa houlette, ont pu arracher, le 31 décembre dernier, prévoyant, pour l'essentiel, la tenue, après plusieurs reports, de l'élection présidentielle, en décembre 2017, le maintien de Joseph Kabila à la tête du pays jusqu'à l'installation de son successeur élu et la préservation, en l'état, de la Constitution qui empêche le président actuel d'être à nouveau candidat – son second et dernier mandat ayant expiré en décembre 2016.




L'UDPS et ses maladresses




Dans un premier temps, l'UDPS avait conditionné le rapatriement de la dépouille mortelle à la nomination de Félix Tshisekedi, fils d'Étienne Tshisekedi, au poste de Premier ministre, en vertu de cet accord qui prévoit la formation d'un nouveau gouvernement dirigé par un Premier ministre issu du Rassemblement, un regroupement de partis politiques et d'organisations de la société civile. Une audacieuse tentative de politisation des funérailles qui a choqué certains analystes. « Il doit y avoir un délai de décence. Cette exigence de l'UDPS a quelque chose de malsain et de choquant. La dépouille mortelle de ce grand leader ne peut pas servir d'objet de marchandage politique. Cela est humainement inacceptable », s'est indigné le journaliste Lionel Kenda Jingi qui, pourtant, ne tient pas le pouvoir en haute estime.




Mgr Gérard Mulumba, frère cadet d'Étienne Tshisekedi, rejette, pour sa part, l'idée que le corps de Tshisekedi ait pu servir de monnaie d'échange. « Ceux qui ont parlé de marchandage ont tort. Ce n'était pas notre intention. Nous avons simplement dit qu'en voyant la tension née de ce décès, pour que les choses se passent bien, il fallait peut-être commencer par la nomination d'un nouveau Premier ministre qui serait acceptée par la population. Les obsèques se seraient passées dans le calme. Ce n'était pas une condition sine qua non. C'était, pour nous, l'unique moyen de faire baisser la tension dans le pays. Ce sont nos réalités sociales », explique-t-il.




Menaces sur l'accord de la Saint-Sylvestre




Depuis la disparition de Tshisekedi, les partisans de la majorité présidentielle semblent peu enclins à respecter l'accord de la Saint-Sylvestre. Ils multiplient les obstacles à son application, exacerbant la tension déjà perceptible dans le pays. La police, de son côté, s'illustre par des exactions, notamment contre des responsables de l'UDPS qui ont inexplicablement été retenus pendant plusieurs heures, au siège du parti, la semaine dernière, alors que le climat général appellerait plutôt à la décrispation. Des proches de Joseph Kabila ne font plus mystère de leur intention d'organiser un référendum en vue de modifier la Constitution pour ouvrir la voie à une nouvelle candidature du chef de l'État. « Le référendum est un droit constitutionnel inaliénable […] Donc la classe politique ne peut ravir au peuple congolais le droit de s'exprimer soit par référendum, soit par les élections », a déclaré Alain Atundu, le porte-parole de la majorité présidentielle.




Des enjeux cachés




En réalité, derrière ces désaccords persistants se cachent d'autres enjeux. En effet, l'arrivée, à Kinshasa, de la dépouille risque de se transformer en un test de popularité pour l'UDPS. Forcément, du côté de la majorité présidentielle, certains craignent de perdre la bataille de l'image. Ils ont encore à l'esprit le succès remporté en juillet 2016 par Étienne Tshisekedi, lors d'un meeting qu'il a tenu autour du stade des Martyrs, devant une affluence record, peu après son retour de Bruxelles. Nombreux sont les habitants de la capitale congolaise qui n'ont pas le souvenir d'une foule aussi nombreuse et bigarrée venue écouter un discours politique.




Un monument funéraire dédié au dirigeant de l'UDPS pourrait vite se transformer en un lieu de pèlerinage où afflueraient des visiteurs de divers horizons qui vénéraient cet homme qui, à la différence de plusieurs acteurs politiques congolais, avait des convictions solidement ancrées et une aversion pour la violence comme mode d'accès au pouvoir, dans un pays dont la vie est rythmée par l'apparition cyclique de mouvements rebelles. Joseph Kabila, porté au pouvoir en 2001 après l'assassinat non élucidé de son père, Laurent-Désiré Kabila, est lui-même arrivé à Kinshasa en 1997, à la faveur d'une rébellion soutenue par le Rwanda et d'autres pays voisins, qui a chassé le président Mobutu après un « règne » de trente-deux ans.




En outre, ces obsèques constitueraient un immense défi sécuritaire que les autorités redoutent. Le moindre débordement pourrait donner lieu à des scènes d'émeutes dans une ville où la police tire facilement dans le tas, en toute impunité.




Solution en vue ?




Malgré tout, la famille Tshisekedi semble soudainement optimiste quant au règlement de cette affaire. S'achemine-t-on vers un compromis ? « L'inhumation au siège du parti n'a pas pu se faire à cause du refus des autorités, mais nous avions un plan B que nous allons activer. Elle aura lieu à la périphérie de la ville, dans un mausolée qui sera érigé pour la circonstance », a révélé Mgr Gérard Mulumba. Finalement, les choses rentreront dans l'ordre dans les prochains jours, à en croire ce dignitaire ecclésiastique. « Nous sommes en train de nous concerter. Dans les prochains jours, tout sera prêt et on pourra clarifier les choses, sans doute vers la fin de la semaine », assure-t-il. Joint au téléphone depuis Paris, un employé de la chambre funéraire de Bruxelles, où repose le défunt, indique que le corps peut être gardé « autant de temps que l'on veut, car il n'y a pas de délai limite en cette matière en Belgique ». Les frais de conservation de cette dépouille pas tout à fait comme les autres s'élèvent à 30 euros par jour. Mgr Gérard Mulumba affirme que, jusqu'ici, la famille et le parti paient. Mais pour combien de temps encore ? Les paris restent ouverts.
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