*10 ans, c’est déjà un temps record dans une prison, fut-elle de la CPI. Les incriminations initiales ont été démontées une à une par la Chambre d’Appel, depuis ce vendredi 8 juin 2018. Bientôt, Jean-Pierre Bemba Gombo sera totalement libre. Lisez, ici, les textes officiels de la CPI, pour comprendre comment ce feuilleton s’est déroulé. Entre sacrifice et espoir, le leader du Mlc aura conjugué les deux pour tenir le coup. Tel, un sphinx, Bemba renaît de ses cendres. D’aucuns le voient déjà dans la prochaine course à la présidentielle du 23 décembre 2018. Mais, officiellement, lui-même n’a encore rien dit, depuis son acquittement, si ce n’est, peut-être, de se replier dans sa cellule de Scheveningen, pour remercier sincèrement le Très-Haut, pour sa magnificence et sa bonté intarissables. C’est sûr que le moment venu, lorsqu’il lui sera donné la possibilité de se mouvoir de ses faits et gestes en homme libre, il brisera l’omerta.

La Chambre d’appel de la CPI acquitte M. Bemba des charges de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité

Le 8 juin 2018, la Chambre d’appel de la Cour pénale internationale (« la CPI » ou « la Cour ») a décidé, à la majorité, d’acquitter Jean-Pierre Bemba Gombo des charges de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. La juge Christine Van den Wyngaert, juge président dans le cadre de cet appel, a donné lecture d’un résumé de l’arrêt en audience publique. Jean‑Pierre Bemba demeurera toutefois en détention eu égard à une autre affaire dans laquelle il a été déclaré coupable d’atteintes à l’administration de la justice, dans l’attente d’une décision de la Chambre de première instance VII dans l’affaire en question.
Les juges Sanji Mmasenono Monageng et Piotr Hofmański ont joint une opinion dissidente commune dans laquelle ils ont expliqué pourquoi ils étaient en désaccord avec la décision de la majorité d’acquitter M. Bemba. Les juges Chile Eboe-Osuji, Christine Van den Wyngaert et Howard Morrison ont joint des opinions individuelles.
Dans l’arrêt rendu aujourd’hui, la Chambre d’appel a annulé la décision de la Chambre de première instance III du 21 mars 2016 qui avait conclu qu’en tant que personne faisant effectivement fonction de chef militaire et possédant un contrôle effectif sur les troupes du Mouvement de libération du Congo (MLC), Jean‑Pierre Bemba est pénalement responsable, au sens de l’article 28‑a du Statut de la CPI, des crimes contre l’humanité de meurtre et de viol et des crimes de guerre de meurtre, de viol et de pillage commis par les troupes du MLC en République centrafricaine (RCA) du 26 octobre 2002 ou vers cette date au 15 mars 2003.
Après examen de toutes les observations écrites des parties et des participants, ainsi que des observations présentées oralement lors d’audiences en appel tenues en janvier 2018, la Chambre d’appel a conclu, à la majorité, que la Chambre de première instance III avait commis des erreurs à deux égards importants :
  1. Elle avait condamné à tort M. Bemba pour des actes criminels spécifiques qui étaient en dehors de la portée des charges telles que confirmées ; et
  2. Lorsqu’elle a examiné la question de savoir si Jean‑Pierre Bemba avait pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher, réprimer ou punir la commission par ses subordonnés des autres crimes relevant de l’affaire, la Chambre de première instance a commis un certain nombre d’erreurs graves. Plus spécifiquement, la Chambre de première instance a commis une erreur dans son évaluation des motivations de M. Bemba ainsi que des mesures qu’il aurait pu prendre compte tenu des restrictions auxquelles il devait faire face, en tant que chef militaire éloigné de ses troupes déployées à l’étranger, pour enquêter sur les crimes et en poursuivre les auteurs ; de la question de savoir si Jean‑Pierre Bemba avait entrepris des démarches pour renvoyer les allégations de crimes devant les autorités de RCA ; et s’il avait intentionnellement limité le mandat des commissions et des enquêtes qu’il avait mises en place. En outre, de l’avis de la majorité de la Chambre d’appel, il y avait un écart entre le nombre limité de crimes entrant dans le cadre de l’affaire dont M. Bemba a été tenu responsable et l’évaluation par la Chambre de première instance des mesures que l’intéressé aurait dû prendre.
Sur cette base, la Chambre d’appel a conclu, à la majorité, que M. Bemba ne saurait être tenu pénalement responsable, au sens de l’article 28 du Statut de Rome, des crimes entrant dans le cadre de l’affaire et qui ont été commis par les troupes du MLC pendant l’opération menée en RCA et qu’il doit en être acquitté.
Les juges Monageng et Hofmański ont estimé que tous les actes criminels pour lesquels M. Bemba avait été tenu responsable relevaient de l’affaire portée par le Procureur à son encontre. Ils ont également exprimé leur désaccord avec la majorité sur le fait que la Chambre de première instance ait commis une erreur en constatant que M. Bemba n’avait pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher ou réprimer les crimes du MLC ; à leur avis, la majorité est parvenue à cette conclusion en se fondant sur une norme incorrecte de révision en appel. Les juges de la minorité auraient confirmé la condamnation de M. Bemba.
Eu égard au présent arrêt, et puisqu’il n’y a pas lieu de maintenir Jean‑Pierre Bemba en détention dans le cadre de la présente affaire, c’est à la Chambre de première instance VII qu’il revient de déterminer, dans un bref délai, si sa détention demeure justifiée en vertu de sa condamnation pour des atteintes à l’administration de la justice.
La Chambre d’appel a également rejeté les appels de M. Bemba et du Procureur contre la peine prononcée par la Chambre de première instance  III.
Voici le Résumé de l’arrêt de la Chambre d’appel dans l’affaire
Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo
(Lu par la juge présidente Christine Van den Wyngaert, depuis  La Haye, 8 juin 2018)
  1. La Chambre d’appel rend ce jour son arrêt relatif à l’appel interjeté par Jean-Pierre Bemba contre le jugement rendu par la Chambre de première instance III le 21 mars 2016, qui le déclarait coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. L’arrêt d’aujourd’hui concerne également les appels interjetés par Jean-Pierre Bemba et le Procureur contre la décision relative à la peine prononcée le 21 juin 2016, par laquelle la Chambre de première instance III a condamné Jean-Pierre Bemba à une peine totale de 18 ans d’emprisonnement. J’emploierai par la suite les termes « Jugement » et « Décision relative à la peine » pour désigner ces deux décisions.
  2. Je commencerai par l’appel interjeté contre le Jugement, en faisant tout d’abord un résumé de la procédure.
  3. Résumé de la procédure d’appel
  4. Le 21 mars 2016, la Chambre de première instance a déclaré Jean-Pierre Bemba coupable des crimes contre l’humanité de meurtre et de viol et des crimes de guerre de
meurtre, de viol et de pillage, commis par les troupes du Mouvement de libération du Congo (MLC) en République centrafricaine du 26 octobre 2002 ou vers cette date au 15 mars 2003. Elle a jugé qu’en tant que personne faisant effectivement fonction de chef militaire et exerçant un contrôle effectif sur les troupes du MLC, Jean-Pierre Bemba était pénalement responsable de ces crimes au sens de l’article 28-a du Statut.
  1. Jean-Pierre Bemba a fait appel du Jugement le 4 avril 2016 et il a déposé son mémoire d’appel le 19 septembre 2016. Il a soulevé les moyens d’appel suivants : premier moyen : le procès était inéquitable ; deuxième moyen : le Jugement va au-delà des charges ; troisième moyen : Jean-Pierre Bemba n’est pas responsable en tant que supérieur ; quatrième moyen : les éléments contextuels n’ont pas été établis ; cinquième moyen : la Chambre de première instance a commis une erreur dans l’approche qu’elle a retenue pour identifier les éléments de preuve ; et sixième moyen : d’autres erreurs procédurales ont entaché la condamnation.
  2. Le Procureur a déposé sa réponse au mémoire d’appel le 21 novembre 2016 et les victimes ont déposé leurs observations relatives au mémoire d’appel le 17 janvier 2017. Jean-Pierre Bemba a déposé sa réplique à la réponse du Procureur le 23 janvier 2017 et sa réplique aux observations des victimes le 9 février 2017.
  3. Le 30 octobre 2017, la Chambre d’appel a ordonné aux parties et aux participants de lui présenter des observations sur les éléments contextuels des crimes contre l’humanité, lesquelles observations ont bien été reçues entre le 13 novembre et le 11 décembre 2017.
  4. Du 9 au 11 janvier 2018, la Chambre d’appel a tenu une audience qui lui a permis d’entendre les arguments et les observations des parties et des participants sur les appels, à propos d’un certain nombre de questions bien précises qu’elle avait énoncées dans une
ordonnance rendue le 27 novembre 2017. Tous ont ensuite été invités à déposer des écritures supplémentaires sur les appels, au plus tard le 19 janvier 2018.
  1. Aperçu général de la décision de la Chambre d’appel
  2. L’arrêt concernant le Jugement est rendu à la majorité, laquelle est composée du juge Eboe-Osuji, du juge Morrison et de moi-même. La majorité a limité son examen au deuxième moyen d’appel et à une partie du troisième moyen d’appel car elle les considère comme décisifs pour l’appel et, sans être d’accord sur tout, nous sommes arrivés au même résultat.
  3. De plus, le juge Eboe-Osuji, le juge Morrison et moi-même joindrons à l’arrêt des opinions individuelles concernant d’autres aspects du présent appel.
  4. La juge Monageng et le juge Hofmański ne sont pas d’accord avec le raisonnement de la majorité et l’issue de l’appel, et ils joignent ensemble à l’arrêt une opinion dissidente.
  5. J’aimerais souligner à ce stade que la Chambre d’appel s’est efforcée de statuer à l’unanimité mais n’a pas été en mesure de le faire. Les arrêts rendus à la majorité sont chose commune devant de nombreuses juridictions nationales et, assurément, devant les juridictions internationales qui réunissent des juges issus de différentes traditions juridiques pour trancher des questions de fait et de droit bien souvent inédites et complexes.
  6. En examinant les conclusions de fait tirées par la Chambre de première instance, la majorité s’est demandé si celle-ci avait correctement appliqué la norme d’administration de la preuve. La Chambre d’appel doit être convaincue que les conclusions de fait adoptées au-delà de tout doute raisonnable sont claires et irréfutables, sur le plan tant des preuves que du raisonnement. Par conséquent, si la Chambre d’appel estime que certaines conclusions peuvent raisonnablement être mises en doute, elle est tenue de les infirmer. En outre, la Chambre de première instance doit assortir sa conclusion d’un raisonnement suffisamment
clair. Ce raisonnement doit exposer sans ambiguïté les preuves sur lesquelles repose la conclusion ainsi que l’analyse qu’elle en a faite. Si la Chambre de première instance a omis de le faire, la Chambre d’appel n’a alors pas d’autre choix que d’écarter la conclusion concernée. Il importe également que l’obligation pour le condamné d’étayer les erreurs de jugement qu’il allègue n’aboutisse pas à un renversement de la charge de la preuve.
  1. Je vais maintenant résumer brièvement les vues de la majorité sur le deuxième moyen et une partie du troisième moyen que nous avons considérés comme décisifs pour l’appel. Je résumerai ensuite les vues de la minorité sur ces mêmes moyens. Je précise ici que seuls l’arrêt et les opinions qui lui sont jointes font foi, mais pas le présent résumé.
  2. Appel interjeté contre la déclaration de culpabilité
  3. Deuxième moyen d’appel
  4. Le deuxième moyen avancé par Jean-Pierre Bemba dans le cadre de son appel a trait à la portée des charges portées contre lui.
  5. Pendant le processus de confirmation, le Procureur a formulé dans le document de notification des charges un certain nombre d’allégations relatives à des actes criminels constitutifs de meurtre, de viol et de pillage. Toutefois, en employant des expressions telles que « parmi […] figurent » ou « parmi […] figurent entre autres » (« include » ou « include but are not limited to » dans la version anglaise), le Procureur a indiqué que cette liste n’était pas exhaustive. La Chambre préliminaire a confirmé ces charges dans des termes larges. Ultérieurement, le Procureur a présenté des informations sur certains actes criminels particuliers qui n’avaient pas été expressément mentionnés dans le document de notification des charges, ni dans la Décision relative à la confirmation des charges. La Chambre de première instance a déclaré Jean-Pierre Bemba coupable d’un certain nombre de ces actes.
  6. En appel, Jean-Pierre Bemba a allégué que « [TRADUCTION] près des deux tiers des actes sous-jacents dont il a été déclaré coupable n’avaient pas été inclus dans le document modifié de notification des charges, ou ne l’avaient pas été en bonne et due forme, et sortent du cadre des charges ». Selon lui, la Chambre de première instance a commis une erreur de droit en se fondant sur ces actes pour le condamner.
  7. La Chambre d’appel relève que le Jugement ne contient même aucune indication du nombre des actes criminels particuliers constitutifs de meurtre, de viol et de pillage que la Chambre de première instance a jugés établis. Il ne fait pas non plus référence à une quelconque autre démarcation des actes couverts par la déclaration de culpabilité. Celle-ci semblerait donc potentiellement concerner tous les crimes de ce type commis par des soldats du MLC sur un territoire de plus de 600 000 km2 et au cours d’une période de plus de quatre mois et demi.
  8. La majorité des membres de la Chambre d’appel estime que le Jugement doit être compris comme déclarant Jean-Pierre Bemba coupable des actes criminels spécifiques de meurtre, de viol et de pillage que la Chambre de première instance a jugés établis au-delà de tout doute raisonnable et qui ont été rappelés dans les sections finales du Jugement, au chapitre de chaque crime. Le dispositif du Jugement, formulé en termes larges, et les conclusions concernant les crimes reprochés tirées par la Chambre de première instance en des termes à peine moins larges, ne reflètent en réalité pas ce pour quoi Jean-Pierre Bemba a été condamné. Il s’agit en fait de résumés des conclusions de la Chambre de première instance concernant les actes criminels constitutifs de meurtre, de viol et de pillage qui ont été établis au-delà de tout doute raisonnable. Néanmoins, la déclaration de culpabilité prononcée contre Jean-Pierre Bemba l’a été en lien avec ces actes criminels spécifiques uniquement.
  9. Après avoir déterminé la portée de la condamnation de Jean-Pierre Bemba, j’en viens maintenant à la portée des charges. La majorité des membres de la Chambre d’appel, les juges Monageng et Hofmański étant en désaccord, considère que le dispositif de la Décision relative à la confirmation des charges et les parties pertinentes du document de notification des charges sont formulés de façon trop large pour constituer une « description » utile, aux fins de l’article 74-2 du Statut, des charges retenues contre Jean-Pierre Bemba. Se contenter d’énumérer les catégories de crimes reprochés à une personne ou d’énoncer les paramètres temporels et géographiques en des termes généraux ne suffit pas pour satisfaire aux conditions posées à la norme 52-b du Règlement de la Cour, et ne permet pas une application utile de l’article 74-2 du Statut.
  10. Toutefois, la Chambre d’appel relève que le document modifié de notification des charges et la Décision relative à la confirmation des charges contenaient tous les deux des allégations de fait plus spécifiques quant aux crimes pour lesquels Jean-Pierre Bemba allait être jugé – en l’occurrence sous la forme des actes criminels identifiés. Ceux-ci étaient clairement mentionnés dans le dispositif du document modifié de notification des charges et également repris dans l’analyse des preuves exposée dans la Décision relative à la confirmation des charges. Partant, les « faits et circonstances » étaient décrits, pour ces crimes, au niveau d’actes criminels particuliers.
  11. La majorité des membres de la Chambre d’appel, les juges Monageng et Hofmański étant en désaccord, estime que les actes criminels que le Procureur a ajoutés après qu’a été rendue la Décision relative à la confirmation des charges, dans le cadre de la communication de ses pièces et en les incluant dans des documents auxiliaires, ne sauraient être considérés comme faisant partie « des faits et des circonstances décrits dans les charges » au sens de l’article 74-2 du Statut. La raison en est que, comme je l’ai dit plus tôt, le Procureur n’avait
formulé les charges de façon suffisamment détaillée aux fins de cette disposition que pour les actes criminels. C’est pourquoi l’ajout d’un quelconque acte criminel supplémentaire constitutif de meurtre, de viol ou de pillage aurait nécessité une modification des charges, conformément à l’article 61-9 du Statut. Or cela n’a pas été fait en l’espèce. La majorité des membres de la Chambre d’appel estime que les actes criminels qui ont été ajoutés après qu’a été rendue la Décision relative à la confirmation des charges et qui n’étaient pas énumérés dans le document modifié de notification des charges ne faisaient pas partie « des faits et des circonstances décrits dans les charges » et que Jean-Pierre Bemba ne pouvait donc pas en être déclaré coupable. Il en va de même pour les actes criminels avancés par les victimes.
  1. La Chambre d’appel décide par conséquent de faire droit à ce moyen d’appel et conclut à la majorité de ses membres, les juges Monageng et Hofmański étant en désaccord, que la Chambre de première instance a eu tort de déclarer Jean-Pierre Bemba coupable de ces actes, qui n’entraient pas dans le cadre « des faits et des circonstances décrits dans les charges » au sens de l’article 74-2 du Statut. Cela signifie que le nombre d’actes criminels dont Jean-Pierre Bemba a été déclaré coupable se ramène à un meurtre, au viol de vingt personnes et à cinq actes de pillage.
  2. Troisième moyen d’appel
  3. Dans le cadre du troisième moyen d’appel, Jean-Pierre Bemba avance que la Chambre de première instance a eu tort de conclure qu’il n’avait pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher ou réprimer les crimes commis par les troupes du MLC, ou pour en référer aux autorités compétentes. Jean-Pierre Bemba a présenté cinq arguments sur ce point, en avançant : 1) que la Chambre de première instance n’a pas appliqué la norme de droit qui convenait ; 2) qu’elle n’a pas bien apprécié les limites de la juridiction et de la compétence du MLC pour enquêter ; 3) qu’elle n’a pas tenu compte du fait que Jean-Pierre
Bemba avait demandé au Premier ministre de la République centrafricaine d’enquêter sur les allégations ; 4) qu’elle a commis une erreur en tenant compte de certaines considérations dénuées de pertinence ; et 5) que les conclusions qu’elle a tirées concernant les mesures prises étaient déraisonnables, ne reflétaient pas correctement les éléments de preuve et ne tenaient pas compte de certains éléments pertinents.
  1. La majorité des membres de la Chambre d’appel, les juges Monageng et Hofmański étant en désaccord, a relevé d’importantes erreurs dans l’examen qu’a fait la Chambre de première instance de la question de savoir si Jean‑Pierre Bemba avait pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher, réprimer ou punir la commission de crimes par ses subordonnés.
  2. Premièrement, la Chambre d’appel conclut que la Chambre de première instance a versé dans l’erreur en ne tenant pas correctement compte des restrictions auxquelles Jean-Pierre Bemba devait faire face, en tant que chef militaire éloigné de troupes envoyées à l’étranger, pour enquêter sur des crimes et en poursuivre les auteurs. Si la Chambre de première instance a quelque peu tenu compte de ces difficultés, elle a cependant ignoré d’importants témoignages indiquant que le pouvoir de Jean-Pierre Bemba d’enquêter sur des crimes commis en République centrafricaine était limité et qu’il faisait face à des difficultés logistiques dans la conduite d’enquêtes. Elle a aussi négligé le fait que tout au long de l’Opération de 2002-2003 en RCA, le MLC s’appuyait sur la coopération des autorités centrafricaines.
  3. Deuxièmement, la Chambre d’appel conclut que la Chambre de première instance a eu tort de ne pas prendre en considération l’argument de Jean-Pierre Bemba selon lequel il avait adressé une lettre aux autorités centrafricaines. Même si elle n’a pas pris cet argument en
considération, elle a tout de même conclu que Jean-Pierre Bemba n’avait pas référé les allégations de crimes aux autorités centrafricaines pour qu’elles enquêtent. En concluant que Jean-Pierre Bemba n’avait pas pris de mesures nécessaires et raisonnables, la Chambre de première instance s’est en partie fondée sur la conclusion selon laquelle il n’avait fait aucun effort pour en référer aux autorités centrafricaines. La Chambre de première instance a eu tort de tirer cette conclusion sans prendre expressément en considération l’argument selon lequel il en avait bel et bien référé aux autorités.
  1. Troisièmement, la Chambre de première instance a versé dans l’erreur en déterminant que les motivations qu’elle attribuait à Jean-Pierre Bemba excluaient que celui-ci prenne de bonne foi les mesures nécessaires et raisonnables. Le souci de préserver la réputation des troupes ne rend toutefois pas intrinsèquement moins raisonnables ou nécessaires les mesures de prévention ou de répression des crimes.
  2. Quatrièmement, la Chambre de première instance a eu tort de retenir à l’encontre de Jean-Pierre Bemba le fait que les mesures qu’il a ordonnées ont été mal exécutées ou n’ont produit que des résultats limités : elle n’a pas considéré que les mesures prises par un commandant ne peuvent pas nécessairement lui être reprochées parce que leur exécution laissait à désirer. En l’espèce, la Chambre de première instance semble avoir attribué à Jean-Pierre Bemba les résultats prétendument limités des enquêtes indépendantes au seul motif que ces enquêtes avaient été lancées à son initiative.
  3. Cinquièmement, la Chambre de première instance a commis une erreur en concluant que Jean-Pierre Bemba n’avait pas habilité d’autres responsables du MLC de façon à ce qu’ils puissent enquêter suffisamment et pleinement sur des crimes et en poursuivre les auteurs. Elle est arrivée à cette conclusion en apparente contradiction avec une autre conclusion tirée précédemment selon laquelle d’autres commandants du MLC détenaient une
certaine autorité disciplinaire sur le terrain. Qui plus est, la Chambre de première instance n’a pas expliqué ce que Jean-Pierre Bemba aurait dû faire de plus pour habiliter d’autres responsables du MLC de façon à ce qu’ils puissent enquêter suffisamment et pleinement sur les allégations de crimes et en poursuivre les auteurs, ni en quoi il avait failli à cet égard.
  1. Sixièmement, la Chambre de première instance a eu tort de fonder son appréciation des mesures nécessaires et raisonnables sur la totalité des crimes qui auraient été commis par le MLC, alors que seul un nombre limité de ces crimes a été prouvé au-delà de tout doute raisonnable. Conclure que les mesures prises par un commandant étaient insuffisantes pour empêcher ou réprimer une vague de criminalité prolongée ne signifie pas que ces mesures étaient également insuffisantes pour empêcher ou réprimer le nombre limité de crimes spécifiques pour lesquels le commandant est en fin de compte déclaré coupable.
  2. Septièmement, la Chambre de première instance a eu tort de considérer le redéploiement des troupes du MLC comme une mesure que Jean-Pierre Bemba pouvait prendre. La Chambre d’appel considère qu’il est fondamental qu’un accusé soit informé dans le plus court délai et de façon détaillée de la nature, de la cause et de la teneur des charges. Cependant, aucun document visant à notifier à Jean-Pierre Bemba les charges retenues contre lui ne mentionnait spécifiquement le redéploiement des troupes pour limiter les contacts avec la population civile comme une mesure nécessaire et raisonnable qu’il aurait dû prendre. Le déploiement des troupes n’était mentionné dans le document modifié de notification des charges que dans le contexte de l’établissement du contrôle effectif de Jean-Pierre Bemba sur les forces du MLC. Ce défaut de notification en bonne et due forme a porté préjudice à Jean-Pierre Bemba.
  3. La Chambre d’appel conclut que ces erreurs ont sérieusement entaché la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle Jean-Pierre Bemba n’a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables.
  4. Par conséquent, la Chambre d’appel conclut à la majorité de ses membres, les juges Monageng et Hofmański étant en désaccord, que la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle Jean-Pierre Bemba n’avait pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables en réponse aux crimes commis par le MLC en RCA est sérieusement entachée d’erreurs, et que Jean-Pierre Bemba ne peut être considéré comme pénalement responsable sur la base de l’article 28 pour les crimes commis par les troupes du MLC pendant l’opération en RCA.
  5. Mesure appropriée
  6. Dans ces circonstances, la Chambre d’appel, à la majorité de ses juges, annule la déclaration de culpabilité de Jean-Pierre Bemba. Elle met fin à la procédure pour ce qui est des actes criminels dont la Chambre de première instance a déclaré l’accusé coupable alors même qu’ils débordaient du cadre des faits et circonstances de l’affaire. Pour le reste des actes criminels, la Chambre d’appel prononce l’acquittement de l’accusé car les erreurs relevées au chapitre des mesures nécessaires et raisonnables font entièrement disparaître sa responsabilité pénale.
  7. Résumé de l’opinion dissidente
  8. Je vais maintenant résumer les raisons pour lesquelles la juge Monageng et le juge Hofmański se sont dissociés de la décision de la majorité. Je me limiterai aux trois principaux points de désaccord, à savoir : premièrement, le critère d’examen en appel ; deuxièmement, la question de savoir si Jean-Pierre Bemba a manqué de prendre toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher, réprimer ou punir les crimes ; et, troisièmement, la question
de savoir si la déclaration de culpabilité est allée au-delà du cadre des charges. Les juges dissidents examinent les autres moyens d’appel dans leur opinion dissidente, qui est le document qui fait foi. Après examen de tous les arguments formulés, ils auraient confirmé le jugement attaqué.
  1. a) Critère d’examen
  2. Au sujet du critère d’examen en appel, les juges dissidents ne partagent pas l’avis de la majorité selon lequel la Chambre d’appel doit annuler les conclusions de fait de la Chambre de première instance si celles-ci peuvent raisonnablement être mises en doute. Les juges dissidents y voient un écart important et inexplicable par rapport au critère conventionnel d’examen des erreurs de fait appliqué à ce jour par la Chambre d’appel de cette Cour, ainsi que par toutes les autres juridictions internationales et internationalisées. Ils estiment qu’il ne suffit pas d’avoir de « sérieux doutes » sur une conclusion de fait tirée par la Chambre de première instance. Les juges dissidents considèrent qu’en cas de doute, il est nécessaire que la Chambre d’appel examine les éléments de preuve étayant la constatation en question afin de statuer elle-même sur la question, ou qu’elle renvoie ladite question devant une chambre de première instance à cette fin. Par conséquent, pour examiner les moyens d’appel soulevés par Jean-Pierre Bemba, les juges dissidents ont appliqué le critère conventionnel d’examen en appel, qui accorde un certain crédit aux constatations de la Chambre de première instance.
  3. b) Troisième moyen d’appel – Mesures nécessaires et raisonnables
  4. Les juges dissidents estiment que l’application de ce critère d’examen modifié a conduit en pratique la majorité des juges de la Chambre d’appel à tirer une conclusion erronée sur le manquement de Jean-Pierre Bemba à prendre toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher, réprimer ou punir les crimes commis par les troupes du MLC.
  5. De l’avis des juges dissidents, trois éléments essentiels du raisonnement de la Chambre de première instance étayent la conclusion selon laquelle « Jean-Pierre Bemba n’a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour empêcher ou réprimer l’exécution de crimes ou pour en référer aux autorités compétentes ». Premièrement, la Chambre de première instance a reconnu que « Jean-Pierre Bemba a pris quelques mesures au cours de l’Opération de 2002 2003 en RCA », mais elle a conclu que toutes ces mesures « étaient limitées quant à leur mandat, leur exécution et/ou leurs résultats ». Deuxièmement, la Chambre de première instance a conclu que les troupes du MLC ont continué de commettre des crimes tout au long de l’Opération de 2002-2003 en RCA et que des informations concordantes concernant ces crimes ont été portées à l’attention de Jean-Pierre Bemba. Troisièmement, la Chambre de première instance a évalué les mesures limitées et déficientes prises par Jean-Pierre Bemba au vu du fait « qu’il était matériellement en son pouvoir d’empêcher et de réprimer l’exécution des crimes ». Sur la base de cette évaluation, la Chambre de première instance a conclu que les mesures prises étaient restées « manifestement en deçà de ce que constitue “toutes les mesures nécessaires et raisonnables” pour empêcher et réprimer l’exécution de crimes qu’il était matériellement en son pouvoir de prendre », et qu’on ne saurait dire que Jean-Pierre Bemba en avait référé aux autorités compétentes.
  6. Comme ils l’expliquent en détail dans leur opinion conjointe, les juges dissidents ont examiné les constatations de la Chambre de première instance à la lumière des arguments soulevés par Jean-Pierre Bemba en appel, et ils ne relèvent ni erreur dans les constatations de la Chambre de première instance ni caractère déraisonnable dans les conclusions générales. Les juges dissidents auraient donc rejeté les arguments de Jean-Pierre Bemba et confirmé les constatations et conclusions de la Chambre de première instance.
  7. La majorité parvient à une autre conclusion en se basant sur une analyse que les juges dissidents ne sont pas en mesure d’accepter et jugent profondément erronée, pour les raisons que je vais maintenant exposer.
  8. Pour ce qui est des mesures effectivement prises par Jean-Pierre Bemba, la majorité relève trois erreurs dans l’analyse de la Chambre première instance.
  9. Premièrement, elle conclut que la Chambre de première instance n’a pas accordé suffisamment d’importance au fait que les troupes du MLC opéraient dans un pays étranger avec ce que cela suppose comme difficultés pour la capacité de Jean-Pierre Bemba de prendre des mesures. De l’avis des juges dissidents, la conclusion de la majorité selon laquelle Jean-Pierre Bemba était limité dans sa capacité de prendre des mesures en République centrafricaine repose sur une acceptation sans examen critique des arguments de Jean-Pierre Bemba et une évaluation erronée d’une fraction du dossier des preuves dont la Chambre de première instance a tenu compte. Les juges dissidents trouvent cette manière de procéder intenable, surtout si l’on tient compte du fait que Jean-Pierre Bemba n’a pas évoqué de tentatives effectives d’enquêter qui se seraient révélées impossibles. Les juges dissidents auraient conclu que la Chambre de première instance a dûment pris en compte la capacité de Jean-Pierre Bemba de prendre des mesures sur la base des éléments de preuve versés au dossier.
  10. La deuxième erreur relevée par la majorité est que la Chambre de première instance semble avoir considéré les motivations de Jean-Pierre Bemba comme déterminant le caractère adéquat ou non des mesures qu’il a prises. Les juges dissidents considèrent que l’avis de la majorité sur le raisonnement de la Chambre de première ne reflète pas fidèlement la démarche de la Chambre de première instance et n’est étayé par aucune lecture attentive du Jugement. Ils considèrent comme inapproprié l’emploi par la majorité de termes d’ordre spéculatif pour imputer à la Chambre de première instance un raisonnement qui ne ressort pas du texte de la décision. Les juges dissidents n’auraient pas décelé d’erreur dans l’examen par la Chambre de première instance des motivations de Jean-Pierre Bemba.
  11. La troisième erreur relevée par la majorité est que la Chambre de première instance n’a pas établi que Jean-Pierre Bemba a délibérément limité le mandat des commissions et des enquêtes mises en place. Les juges dissidents estiment que la position de la majorité reflète une interprétation erronée de la nature de la responsabilité pénale visée à l’article 28 du Statut. D’après leur conception de ce mode de responsabilité, la question n’est pas de savoir si Jean-Pierre Bemba était responsable des quelconques déficiences ou limitations constatées dans les mesures qu’il a prises. La question est plutôt de savoir si l’on peut, également à la lumière des mesures que Jean-Pierre Bemba a effectivement prises, dire qu’il a pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher, réprimer ou punir la commission de crimes. Les juges dissidents auraient conclu que la Chambre de première instance n’a pas commis d’erreur dans son examen de cette question.
  12. Pour ce qui est de la poursuite des crimes en dépit des mesures prises, les juges dissidents relèvent que la majorité a exprimé des doutes quant aux conclusions de la Chambre de première instance concernant l’ampleur et la durée des crimes. De façon similaire, bien qu’elle exprime certaines « préoccupations » concernant les conclusions de la Chambre de première instance relatives au contrôle effectif détenu par Jean-Pierre Bemba et à sa connaissance des crimes, la majorité ne résout aucune des questions qu’elle soulève. Selon les juges dissidents, cela a pour conséquence regrettable que des questions essentielles pour déterminer si Jean-Pierre Bemba a pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables demeurent non résolues aux fins du présent appel. Les juges dissidents estiment que la majorité aurait dû remédier à toute préoccupation concernant les conclusions de la Chambre de première instance en se fondant sur son propre examen des éléments de preuve versés au dossier de l’affaire. En l’absence d’un tel examen et d’une décision effective sur ces questions, les juges dissidents ne voient pas bien comment la majorité a pu procéder à l’annulation des conclusions de la Chambre de première instance et prononcer un acquittement. Pour leur part, les juges dissidents ont mené un examen complet des constatations factuelles et des éléments de preuve sur lesquels la Chambre de première instance s’est appuyée et sont convaincus que celle-ci n’a pas eu tort de conclure que de nombreux crimes ont continué d’être commis tout au long de l’Opération de 2002-2003 en RCA, que Jean-Pierre Bemba avait connaissance de ces crimes et qu’il détenait un contrôle effectif sur ses troupes.
  13. Les juges dissidents considèrent que l’analyse déficiente faite par la majorité en l’espèce résulte de l’application dans la pratique du critère modifié qu’elle a retenu pour l’examen de cet appel. Cela a conduit la majorité à infirmer les constatations faites par la Chambre de première instance sans même se pencher utilement sur ces constatations ni montrer un quelconque intérêt pour les éléments de preuve sur lesquels elles reposent. Les juges dissidents estiment qu’au vu de l’examen limité des éléments de preuve auquel elle s’est livrée, il n’est guère surprenant que la majorité ait eu des doutes sur les constatations et la conclusion générale tirées par la Chambre de première instance. Ils réaffirment que des doutes ne constituent pas une base suffisante pour renverser des conclusions de fait dégagées par la Chambre de première instance, surtout en l’absence d’examen de tous les éléments de preuve pertinents. Ce qu’il faut faire, c’est déterminer si un juge du fait raisonnable aurait pu aboutir à la conclusion considérée sur la base des éléments de preuve dont disposait la Chambre de première instance.
  14. Pour les juges dissidents, la question clé, en première instance comme en appel, est celle de savoir si les mesures prises par Jean-Pierre Bemba correspondaient à toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir. L’analyse en l’espèce comportait deux volets : il fallait vérifier si Jean-Pierre Bemba avait manqué de prendre toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour i) empêcher ou réprimer la commission des crimes ; et ii) en référer aux autorités compétentes aux fins d’enquête et de poursuites. Les juges dissidents considèrent que pour répondre correctement à ces questions, il fallait tenir compte de l’ampleur et de la durée des crimes commis, de la connaissance qu’en avait Jean-Pierre Bemba et de toutes les mesures qu’il pouvait prendre dans les circonstances considérées, eu égard à l’étendue du contrôle qu’il détenait sur les troupes. Les juges dissidents déplorent que la majorité ait limité son analyse aux mesures que Jean-Pierre Bemba a prises, et ils considèrent que l’examen restreint de cet aspect isolé de l’affaire l’a conduite à une conclusion erronée.
  15. Pour toutes ces raisons, les juges dissidents auraient confirmé la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle Jean-Pierre Bemba a manqué de prendre toutes les mesures nécessaires et raisonnables.
  16. c) Deuxième moyen d’appel – Portée des charges
  17. J’en viens maintenant à l’avis des juges dissidents concernant le deuxième moyen d’appel, qui touche à la portée des charges. Les juges dissidents regrettent de ne pouvoir se rallier à la conclusion de la majorité selon laquelle certains des actes criminels jugés établis au-delà de tout doute raisonnable par la Chambre de première instance débordaient du cadre des charges.
  18. De l’avis des juges dissidents, les charges portées par le Procureur contre Jean-Pierre Bemba se définissaient par des paramètres géographiques et temporels et d’autres paramètres de fond. La Chambre préliminaire a confirmé les charges en l’état. La Chambre de première instance pouvait donc examiner tout acte criminel satisfaisant à ces paramètres, sous réserve que l’accusé en ait été dûment informé.
  19. Cette conclusion des juges dissidents repose sur les considérations suivantes.
  20. Les juges dissidents considèrent que le Statut confère au Procureur le pouvoir de formuler les charges et de fixer les paramètres factuels de l’affaire. Selon eux, l’article 74-2 du Statut garantit que la Chambre de première instance n’aille pas au-delà du cadre factuel de l’affaire telle que présentée par le Procureur. Cette disposition a pour objet de délimiter la compétence de la Chambre de première instance.
  21. Les juges dissidents considèrent que le Procureur peut retenir des paramètres larges pour les charges en fonction des circonstances de l’affaire qu’il entend porter devant les juges. Par exemple, en cas de crimes de masse que l’accusé n’a pas directement commis, le Procureur peut décider de décrire les crimes allégués de manière large en vue de limiter la compétence de la Chambre de première instance aux fins de l’article 74-2 du Statut.
  22. S’agissant du rôle de la Chambre préliminaire, les juges dissidents considèrent qu’il est de déterminer s’il y a une affaire à juger et non de se lancer dans un long processus d’établissement des faits sur la base d’une norme d’administration de la preuve moins rigoureuse. Lorsque des actes criminels spécifiques sont allégués pour étayer une charge décrite plus largement, ils servent principalement de vecteurs permettant de prouver une charge plus large et la Chambre préliminaire ne doit les examiner que dans la mesure où ils peuvent lui être utiles pour déterminer si l’intéressé a commis les crimes qui lui sont
reprochés. La Chambre préliminaire n’a pas vocation à confirmer ni cristalliser toutes les allégations de faits aux fins du procès.
  1. Par conséquent, de l’avis des juges dissidents, si le Procureur formule les charges de façon large, cela signifie que d’autres actes criminels particuliers peuvent être allégués aux fins du procès, à condition qu’ils s’inscrivent dans le cadre des crimes confirmés et que soient respectés les droits de l’accusé à être informé de ce qui lui est reproché et à bénéficier du temps nécessaire pour préparer sa défense.
  2. Les juges dissidents sont d’avis que les charges ont été formulées en l’espèce de façon large au moyen de paramètres temporels et géographiques et d’autres paramètres factuels. Les charges couvraient des actes de meurtre, de viol et de pillage commis par les troupes du MLC en République centrafricaine du 26 octobre 2002, ou vers cette date, au 15 mars 2003. Elles ne se limitaient pas aux actes criminels particuliers spécifiquement mentionnés dans le document de notification des charges et dans la Décision relative à la confirmation des charges. Les juges dissidents considèrent qu’en l’espèce, la description des faits et circonstances figurant dans les charges est suffisante aux fins de l’article 74-2 du Statut.
  3. En raison de ce qui précède, les juges dissidents auraient conclu que la déclaration de culpabilité de Jean-Pierre Bemba n’est pas allée au-delà du cadre des faits et circonstances décrits dans les charges portées contre lui. Ils auraient par conséquent conclu que Jean-Pierre Bemba n’a pas démontré que la Chambre de première instance avait commis une erreur de droit, et auraient rejeté le deuxième moyen d’appel. Ils n’auraient donc pas mis un terme à la procédure s’agissant des actes criminels dont la majorité a jugé qu’ils débordaient du cadre « des faits et circonstances décrits dans les charges ».
  4. Ainsi s’achève mon résumé de l’opinion dissidente.
  5. Appels interjetés contre la peine
  6. Compte tenu de l’issue que le présent arrêt donne à l’appel interjeté par Jean-Pierre Bemba, la Chambre d’appel considère à l’unanimité que les appels formés par Jean-Pierre Bemba et le Procureur contre la Décision relative à la peine sont sans objet, et elle les rejette donc à ce titre.
  7. Ainsi s’achève le résumé de l’arrêt rendu en l’espèce. La Chambre d’appel relève qu’en cas d’acquittement, la personne concernée est censée être immédiatement remise en liberté. Toutefois, Jean-Pierre Bemba a été déclaré coupable par cette Cour dans une autre affaire concernant des atteintes à l’administration de la justice, et la peine associée à cette déclaration de culpabilité est actuellement en cours d’examen devant la Chambre de première instance VII. Ainsi, bien que la Chambre d’appel juge qu’il n’y a pas lieu de maintenir Jean-Pierre Bemba en détention sur la base de la présente affaire, il revient à la Chambre de première instance VII de déterminer d’urgence si le maintien de Jean-Pierre Bemba en détention demeure justifié dans le cadre de l’affaire dont elle est actuellement saisie. Par conséquent, Jean-Pierre Bemba ne sera pas remis en liberté immédiatement.
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