A sa première rencontre à Bruxelles avec le roi des belges Léopold II, Stanley avait lâché cette phrase : «Sans chemin de fer, le Congo ne vaut pas un centime».


C’était en 1878. Une année auparavant, en 1877, il venait de réussir l’exploit d’avoir traversé le centre de l’Afrique dans sa partie la plus large, de l’Est à l’Ouest, en descendant le fleuve Congo jusqu’à son embouchure dans l’Océan Atlantique. Stanley avait réalisé que pour ouvrir le vaste bassin du Congo au monde extérieur, et drainer ses immenses richesses vers les marchés Européens, il fallait absolument construire un chemin de fer afin de relier le bief maritime du fleuve Congo qui s’arrête à Matadi au Stanley Pool (Kinshasa), d’où le fleuve devient navigable sur 1.700 kilomètres jusqu’à Stanley Falls (Kisangani), constituant ainsi un vaste réseau de navigation fluviale avec les grandes rivières qui s’y déversent.

Pour réaliser cette vison, Léopold II désigna Albert Thys (dont une vile congolaise, Thysville- aujourd’hui Mbanza-Ngungu- porte son nom) pour conduire les travaux du chemin de fer. Mais alors que les études avaient démontré que deux tracés (le tracé Nord sur la rive droite du fleuve passant par le territoire revendiqué par la France, et le tracé Sud passant par les possessions portugaises en Angola) étaient plus indiqués techniquement et financièrement ; Léopold II décida de faire passer le rail à travers les chutes de Yalala en amont de Matadi et sortir le rail des hautes falaises rocheuses qui entourent Matadi. Un pari fou ! Ceux qui ont déjà emprunté le train Kinshasa- Matadi doivent certainement se souvenir des frissons ressentis à l’approcher de Matadi quand le train roule sur les rails accrochés sur une falaise abrupte descendant droit dans le fleuve.

Pourquoi donc Léopold II avait-il opté pour la solution la plus difficile et la plus coûteuse ? En Europe, on donnait très peu de chance à un tel projet. Mais avec opiniâtreté, une grande détermination et un entrainement sans pareil, Léopold II et Thys s’étaient lancés dans l’entreprise, mobilisant des fonds toujours importants, et recrutant des travailleurs partout où ils pouvaient en trouver, comme en Afrique de l’Ouest, en Chine , et même dans les caraïbes .

Les natifs de la région, les Bakongo, étaient rétifs au travail et n’étaient pas qualifiés. On connaît le coût du projet, des centaines des millions de francs belges de l’époque, et environ 5000 morts. Quand en mars 1898, la première locomotive conduite par Nicolas Cito (le camp des travailleurs de l’OTRACO aujourd’hui ONATRA, fut baptisé en son nom, Camps CITO, aujourd’hui Kauka à Kinshasa), entra en gare de Léopold II, une nouvelle page de l’histoire du Congo venait de s’ouvrir. Léopold II avait réussi son audacieux pari. Pourquoi avait-il pris d’aussi importants risques financiers et choisi la solution la plus difficile ? C’est qu’il tenait à s’assurer du plein contrôle du trafic. Une question d’indépendance !

Un peu plus de siècle après, la même question semble se poser avec le projet de construction d’un pont sur le fleuve entre Kinshasa et Brazzaville. A l’évidence, la première conséquence de ce projet sera le détournement du trafic vers le port de Pointe-Noire au Congo-Brazza, qui, par rapport aux ports maritimes congolais de Boma et Matadi a l’avantage d’être plus performant, et d’offrir de grandes possibilités d’extension. Avec le temps, les ports maritimes congolais deviendront obsolètes, réduisant d’autant l’importance du chemin de fer de Kinshasa – Matadi avec comme conséquence directe la baisse sinon la disparition de nombreuses activités économiques et commerciales qui en dépendent (hôtellerie, transport, services et de transit,..) et emploient des dizaines de milliers de personnes. L’ambitieux programme d’équipement du Kongo Central (OEBK et ZOFI) risquera également d’être ajourné sinon remis aux calendes grecques.

Ce programme, rappelons-le ; prévoit notamment l’électrification du chemin de fer pour accroître sa performance ( vitesse et capacité de transport), le prolongement du chemin de fer jusqu’à Moanda en utilisant l’actuel pont route/rail sur le fleuve à Matadi, la construction d’un port en eau profonde à Banana, et d’une zone industrielle à Moanda-Banana où pourront être installées des industries, grosses consommatrices de l’électricité produite à Inga comme celles de production d’ aluminium et d’ammoniac. On sait que le projet de production d’aluminium (ALUSSUISE/ALURAIRE) conçu au début des années 1980, n’a pu être réalisé, et que des promoteurs américains ont initié le même projet à réaliser cette-fois ci à Pointe-Noire, et utilisant l’électricité d’Inga !

Comme si nous manquions d’ambitions, nous préférons vendre nos ressources naturelles plutôt que de les mettre réellement au service du développement industriel, et sortir le pays de son statut de réservoir de matières premières.

Nous donnons aussi l’impression de sacrifier nos ambitions légitimes de développement au nom d’une certaine intégration africaine qui jusqu’à présent semble se limiter à des simples slogans. En effet, comment peut-on croire à cette intégration quand des pays voisins, comme l’Angola et le Congo ont pris le plaisir d’expulser brutalement des ressortissants Congolais, même en situation régulière ? En plus, alors que l’énergie produite à Inga est à sa portée, n’est-ce pas le même gouvernement du Congo-Brazza qui a construit un grand barrage hydro-électrique (Barrage d’Imboulou) pour garantir son indépendance énergétique ?

En Europe même, des pays considérés comme alliés tiennent à l’indépendance de leurs activités de transport, surtout maritime, considéré comme un attribut de souveraineté. En effet, n’est-il pas étonnant de voir que sur une bande côtière de moins de 1000 kilometres, des pays comme la Belgique, les Pays-Bas, la France, et l’Allemagne, disposent chacun de leurs propres ports , Anvers , Rotterdam, Hambourg, le Havre ?



Enfin, nous ne devons pas oublier les effets très dommageables de la longue fermeture pour cause de guerre en Angola du chemin de fer Dilolo-Lobito par où passaient les exportations minières du Zaïre. En plus, qui peut garantir aujourd’hui que le Congo Brazza ne connait plus des troubles politiques ou des conflits armés qui pourraient entraîner l’interruption du trafic ferroviaire Pointe/Noire/Brazzaville ? Voilà quelques éléments de réflexion que j’ai voulu partager pour une meilleure appréciation du projet de pont Kinshasa- Brazza.

En définitive, du point de vue congolais, ce projet ne pourrait se justifier que comme complément d’un programme national d’amélioration de l’efficacité du transport du Katanga jusqu’à Banana, par la construction du chemin de fer Ilebo-Kinshasa, l’électrification du chemin de fer Kinshasa- Matadi, et son prolongement jusqu’au port en eau profonde de Banana.

Ngimbi Kalumvueziko

Economiste, Ecrivain
LIENS COMMERCIAUX

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