Devoir de mémoire… Le 2 octobre 2014, à Kokola, débutait une campagne de massacre en territoire de Beni, dans l’est du Congo, massacres qui vont rapidement prendre les allures d’un génocide.



Au cours d’une série d’attaques particulièrement barbares, des civils sont tués en masse de façon extrêmement cruelle : crânes fendus à coups de hache, corps balafrés à la machette ; des femmes enceintes éventrées, des bébés égorgés ou tués la tête fracassée à coups de bâtons. Sur les réseaux sociaux, un flot d’images particulièrement atroces en provenance de Beni illustre l’ampleur des horreurs. Rwangoma, Eringeti, Ngadi, Mbau, Mayangose,… sont parmi les localités transformées en abattoirs à ciel ouvert. Dans un document publié en mai 2018, la société civile locale dresse un bilan de 3.755 civils tués et 3.877 kidnappés.

Les attaques, jamais revendiquées, se répètent jusqu’à trois fois par semaine, suivant pratiquement le même mode opératoire. Elles sont menées par des hommes armés portant les uniformes des FARDC, l’armée nationale. Les tueries se commettent systématiquement à proximité des positions de l’armée, qui laisse faire malgré les cris de détresse des victimes, qui se font trucider à un jet de pierre, et les appels à l’aide des rescapés accourant auprès des militaires. Les assaillants, remarquablement organisés, tuent parfois pendant des heures et repartent calmement sans être inquiétés, d’où la question : qui sont les tueurs de Beni ?








La main de l’Etat

Selon les autorités, les attaques sont le fait des ADF, une vieille rébellion ougandaise perdue dans les brousses de Beni depuis 1995. Ses membres étant bien connus par la population locale, la version officielle est rapidement contredite par les témoignages des rescapés et plusieurs recherches . Les ADF, en deux décennies de présence à Beni, ne commettaient pas de massacre et avaient un profil sociologique sans rapport avec celui des égorgeurs subitement apparus à Beni en octobre 2014.


La main des autorités devient visible comme le nez au milieu de la figure, lorsque les enquêteurs de l’ONU identifient clairement les unités FARDC, l’armée nationale, et les officiers de l’armée impliqués dans les massacres. L’un d’eux, le général Mundos, commandant des opérations et bras droit du président Kabila à Beni, voit son nom cité dans au moins trois rapports de l’ONU, ce qui lui vaudra d’être inscrit sur les listes des sanctions de l’ONU, de l’Union européenne et du gouvernement américain . Du côté du gouvernement, non seulement les officiers cités dans les rapports onusiens sont laissés en liberté, mais, pire, les initiatives de solidarité avec les victimes sont sévèrement réprimées à travers le pays.


A Beni, les manifestations au lendemain des massacres sont systématiquement réprimées par des tirs à balles réelles sur les civils, et se soldent avec des morts et des blessés graves. A Goma, les militants de la LUCHA, un mouvement citoyen, sont brutalement interpelés et jetés en prison pour avoir manifesté contre les massacres de Beni. A Kinshasa, les manifestants sont passés à tabac en public par la police et jetés en prison. Plusieurs journalistes et membres de la société civile sont arrêtés, passés à tabac, emprisonnés ou contraints à l’exil pour s’être exprimés sur les tueries des civils à Beni. Le 20 mars 2016, le père Vincent Machozi, prêtre assomptionniste du diocèse de Beni-Lubero et président de l’association ethno-culturelle nande « Kyaghanda », est assassiné près de Butembo après avoir publié un article dans lequel il dénonçait les acteurs derrière les massacres . Le 6 septembre 2018, les suspects de son assassinat sont acquittés par le tribunal militaire de garnison de Butembo-Beni .


A l’ONU, les crimes de Beni créent un malaise au vu du comportement aberrant des autorités congolaises. Après plusieurs missions d’enquête sur terrain, les experts de l’ONU sont scandalisés. Dans leur rapport de mai 2016, ils affirment que lorsqu’ils demandent au gouvernement congolais pourquoi les tueurs de Beni sont systématiquement remis en liberté, ils disent n’obtenir aucune réponse . Toujours à Kinshasa, les initiatives visant à mettre la question de Beni en débat au parlement sont systématiquement rejetées. Etrange comportement d’un Etat alors que sous d’autres cieux, les gouvernements organisent des manifestations, encouragent les initiatives de solidarité avec les victimes et décrète des journées de deuil national et de commémoration. Au Congo, rien de tout cela n’est fait, même au lendemain des massacres ayant causé la mort des dizaines de civils.


Depuis, le sentiment qui prévaut à Beni est celui de l’acharnement d’un Etat sur une population pour un ensemble de raisons ayant en commun l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe, ethnique par des meurtres à répétition, l’expulsion de leurs terres et la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique , sa déstructuration sociale et la ruine de ses moyens économiques de subsistance. Le 26 décembre 2018, la crise de Beni prend un tournant historique lorsque le gouvernement et la Commission nationale électorale décident d’annuler l’élection présidentielle dans cette partie du pays évoquant le prétexte sécuritaire, alors que les principaux candidats y avaient battu campagne en toute sécurité. Une élection étonnamment validée par la Cour constitutionnelle malgré l’exclusion d’une partie du territoire national et sa population.

Un génocide sans fin ?

L’arrivée de Félix Tshisekedi à la présidence de la République n’a pas encore d’impact sur le terrain. Les massacres continuent, même s’ils sont en baisse. Comme un symbole, le jour de son investiture, le 24 janvier 2019, a été célébré par un massacre sur la route d’Oicha. Depuis, une dizaine d’autres massacres ont été rapportés.


A quand la fin du génocide de Beni ? Sûrement pas dans les jours ou les mois à venir. En effet, tout au long de la campagne électorale, aucun des 18 candidats n’a promis l’arrestation des tueurs et la justice pour les victimes, aucun ! Les plus courageux se sont limités à des promesses vagues ou démagogiques consistant notamment à déplacer l’état-major de l’armée à Beni ou l’installation du président de la République et du Premier ministre à Beni jusqu’à la fin des massacres. Promesses non tenue… Pire, on assiste à des initiatives visant à attribuer ces massacres au terrorisme islamiste international, ce qui devrait assurer aux tueurs une totale impunité.


En effet, depuis un curieux communiqué attribué à l’Etat islamique, suite à l’attaque du 17 avril 2019 près de Kamango, les discours officiels consistent à attribuer les atrocités de Beni aux agissements d’un « Etat islamique » basé quelque part en Syrie, à plus de cinq mille kilomètres des brousses du Congo. Une posture grotesque parce que sur terrain, la population voit les tueurs et les décrit tels qu’ils sont.


Depuis le début des massacres, en octobre 2014, les tueurs sont vus en train de boire de l’alcool avant de commencer les tueries. Ils sont vus en train de capturer les cochons de paysans et de les manger. Comportement récurrent qu’ils ont encore étalé en mai 2019. En pleine période de Ramadan, les fameux « islamistes » ont attrapé des cochons dans le secteur de Mbau et pillé des bouteilles d’alcool dans les boutiques pour aller les consommerpendant que le récit officiel martelait en boucle le péril de l’« Etat islamique » dans l’est du Congo. Une région où la population musulmane est à peine visible : 2% des habitants.


Ce qui se passe à Beni n’a rien à voir ni avec l’islam, ni avec l’islamisme, ni même avec une quelconque rébellion ougandaise inventé de toutes pièces.

Boniface MUSAVULI

©Beni-Lubero Online.
LIENS COMMERCIAUX

[VIDEOS][carouselslide][animated][20]

[Musique][vertical][animated][30]

 
Top