Dissolution de l’Assemblée nationale : encore un sujet qui déclenche des passions et a le mérite, tout au moins, d’ouvrir un débat public sur l’avenir de la coalition CCH-FCC au pouvoir depuis janvier 2019. L’origine de ce débat est à situer dans la petite phrase récemment prononcée à Londres par le président de la République, évoquant une éventuelle dissolution de l’Assemblée nationale en cas de crise institutionnelle.

Que faudrait-il, en droit congolais, entendre par ’’dissolution’’ ? Quelles sont les conditions pour le faire ? Quelle est la procédure ? Toutes ces questions, et bien d’autres encore, Le Potentiel les pose à Me Merphy Pongo, avocat et chercheur en Droit constitutionnel, afin d’éclairer la lanterne des citoyens. Et, pourquoi pas, les aider à participer au débat citoyen, sans interférences des propagandistes partisans.

Le Potentiel

D’entrée de jeu, l’invité du Potentiel déclare qu’en RD Congo, le droit de dissoudre l’Assemblée nationale « est reconnu au président de la République par l’article 148 de la Constitution. Et ce, contrairement en Espagne, au Royaume-Uni et en Allemagne, où le régime parlementaire confie ce pouvoir au Premier ministre ».

En auscultant le régime semi-présidentiel congolais, le président de la République est « non seulement garant de la nation mais aussi du bon fonctionnement régulier des institutions » (cf. article 69). À ce titre, il lui est reconnu « le pouvoir d’interventionnisme dans le fonctionnement régulier des institutions pour rétablir l’équilibre ».

Menace contre les institutions

Pour l’avocat, « lorsqu’il y a une crise persistante entre le gouvernement et le parlement et que le président estime que cette crise menace le fonctionnement régulier des institutions, il peut donc dissoudre l’Assemblée nationale ».

Par crise persistante, Me Merphy Pongo entend « un désaccord total entre la majorité présidentielle conduite par le président de la République et la majorité parlementaire conduite par une autre personne. Ce désaccord crée un blocage qui risque de menacer le fonctionnement régulier des institutions ». Conclusion : « en tant que garant du fonctionnement régulier des institutions, le président est obligé d’intervenir ».

La crise persistante entre l’Assemblée nationale et le gouvernement est aussi palpable lorsque « l’Assemblée nationale bloque l’application de la vision politique présidentielle traduite en programme de gouvernement, ou lorsque le président constate que l’Assemblée nationale constitue un blocage dans la mise en œuvre de sa vision politique ».

Étant donc responsable devant le peuple et seul comptable du bilan de son mandat de 5 ans, le président, d’après le chercheur, « est dans l’obligation de dissoudre l’Assemblée nationale dans l’espoir d’obtenir une majorité parlementaire aux futures élections, une majorité qui sera acquise à sa vision ».

Dans la pratique, Me Pongo soutient que la situation de crise persistante est constatée dans des pays où il y a eu alternance politique, car souvent, le président sortant s’offre toujours une majorité parlementaire avec l’espoir de garder son influence sur la gestion du pays.

Élections anticipées

À titre d’exemple, il cite le Sénégal où, « dès la première alternance démocratique, le président sortant Abdou Diouf s’était organisé pour rafler une majorité parlementaire ». Abdoulaye Wade, président élu, « s’est senti menacé par la présence d’une majorité parlementaire dirigée par son prédécesseur. Il a donc décidé de dissoudre le parlement et, grâce à cette stratégie, a créé sa propre majorité parlementaire à l’issue des élections anticipées ».

Autre exemple : Ukraine. « Le président récemment élu s’est vu privé de la majorité parlementaire. En réaction, pour bien mener sa vision politique, il a décidé de dissoudre le parlement ».

Comme on le voit, affirme l’avocat, « la dissolution de l’Assemblée nationale permet au président élu de s’affranchir de son prédécesseur en obtenant une majorité parlementaire qui est favorable à sa vision politique traduite en programme de gouvernement par le premier ministre ». Par cet « interventionnisme, le président assure donc la régularité des institutions et préserve l’État contre un blocage institutionnel ourdi par une majorité parlementaire hostile ».

La RD Congo se trouve effectivement dans la situation du Sénégal 2001 ou de l’Ukraine 2019. « Dans un climat peu confortable aussi bien pour la majorité présidentielle que pour la majorité parlementaire, un blocage institutionnel est prévisible », prédit Merphy Pongo. Une thérapeutique : « l’unique possibilité pour le président actuel de réaliser sa vision politique c’est de dissoudre l’Assemblée nationale afin de prétendre obtenir une majorité parlementaire à l’issue des élections anticipées ».

Consultation préalable

Comment alors procéder pour dissoudre l’Assemblée nationale ? Le chercheur martèle : « L’article 148 de la Constitution instaure un régime de consultation préalable avant toute dissolution de l’Assemblée nationale. La Constitution oblige le président à consulter le Premier ministre, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale avant de prendre la décision de dissoudre l’Assemblée nationale ».

Il est bon de noter, indique l’avocat Pongo, qu’en droit, la consultation n’est nullement l’autorisation que le président doit obtenir des autorités précitées. « La constitution voudrait seulement que le président puisse obtenir l’avis de chacune d’elles. Par ailleurs, cet avis émis ne le lie nullement. Il peut ne pas le prendre en considération ».

D’ailleurs, l’article 22 du Règlement intérieur du Sénat reconnaît au président du Sénat le pouvoir d’émettre un avis sur la dissolution de l’Assemblée nationale sollicitée par le président de la République. Pour l’interlocuteur du Potentiel, « cet avis peut être verbal ou carrément écrit. Le président peut donc solliciter l’avis à travers un écrit ou lors d’une réunion avec ces autorités. En plus, cette décision de dissolution de l’Assemblée nationale ne peut jamais faire l’objet de discussion au Conseil des ministres. Elle n’a pas non plus besoin du contreseing du Premier ministre. On peut donc dire qu’il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire du président de la République ».

Seul devant le peuple en 2023

Y a-t-il des conditions pour dissoudre l’Assemblée nationale ? À cette question, Me Pongo précise : « Il existe des conditions de forme et de fond. Sur le plan de la forme, la première condition est que la dissolution ne peut intervenir qu’une année après l’installation effective du parlement. Ce qui est le cas aujourd’hui. La deuxième condition veut que le président soit tenu de consulter au préalable le Premier ministre et les Présidents de deux chambres du parlement pour obtenir leur avis consultatif et facultatif. »

Quant à la condition de fond, il suffit de constater « l’existence d’une crise persistante entre l’Assemblée nationale et le gouvernement ». Ici, le chercheur insiste sur le vocable Gouvernement. « Il est à prendre au sens large, c’est-à-dire un Exécutif composé du Président et du Premier ministre ».

Dans tous les cas, sur ce dossier qui rallume les passions, il revient au président d’assumer sa responsabilité et d’intérioriser l’évidence selon laquelle malgré la coalition CACH-FCC, il sera seul en 2023 devant le peuple pour rendre compte de son bilan de cinq ans.
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