Le chef militaire du M23, le colonel Sultani Makenga, aurait négocié avec le régime de Joseph Kabila et obtenu une amnistie et le droit de réintégrer avec son grade les rangs des FARDC (armée nationale congolaise). L’information aurait pu passer pour un canular si elle ne venait pas de la célèbre journaliste belge Colette Braeckman. Nul ne sait encore les modalités de son retour au Congo, mais les autorités de Kinshasa et leurs homologues ougandais pourraient profiter de la « distraction » des fêtes de Noël et du Nouvel An pour organiser l’infiltration du sinistre officier sur le sol congolais, histoire de mettre les gens devant le fait accompli. Un acte dont on imagine assez aisément la gravité.

Qui est Sultani Makenga ?

Sultani Makenga est décrit dans les rapports des experts de l’ONU comme un mutin récidiviste avec à son compte une série de crimes de guerres et crimes contre l’humanité[1] qui auraient déjà dû lui valoir une arrestation et un transfèrement à la Cour pénale internationale (CPI). Recrutement d’enfants, massacres des populations, exécutions sommaires, incendies des maisons d’habitation,… Makenga est le chef militaire qui a codirigé avec Bosco Ntaganda les troupes du CNDP de Laurent Nkunda durant l’effroyable massacre de Kiwanja[2] du 4 au 5 décembre 2008. Selon l’ONG américaine Human Rights Watch, 150 civils avaient été massacrés[3]. Certaines victimes furent exécutées dans leurs lits. Il est si dangereux que son nom figure juste à la deuxième position, derrière celui de Bosco Ntaganda, sur la liste des personnes non amnistiables publiée par le gouvernement congolais le 27 septembre 2013[4]. L’homme figure également sur les listes de sanction de l’ONU[5], du gouvernement américain[6] et de l’Union européenne[7]. On peine à imaginer qu’un Etat puisse s’engager à amnistier un aussi dangereux personnage, à le faire revenir sur le territoire national[8] et, pire, à lui confier à nouveau des armes et un poste de commandement dans l’armée.

Péril sur les victimes ?

Il est, en effet, de notoriété publique que lorsqu’un criminel revient sur les lieux de son crime, son obsession est d’effacer les traces de ses forfaits. Le gouvernement congolais, la Monusco et la Cour pénale internationale, ont-ils pris des mesures pour protéger les survivants du massacre de Kiwanja, leurs familles et d’éventuels témoins qui pourraient faire des dépositions contre le colonel Sultani Makenga ? Quelles mesures ont-elles été prises pour protéger les populations de Ngungu et de Luke, dans le Masisi, où les hommes de Makenga ont perpétré des massacres et incendié plus de 800 maisons d’habitation ? Maintenant qu’il revient avec le grade de colonel des FARDC, que vont faire ses victimes ? Fuir leur pays ou attendre de subir ses foudres ? Et les habitants de Goma, bombardés en août 2013 par le M23, comment doivent-ils s’y prendre pour s’accommoder de la présence de leur bourreau ?

La même question se pose du côté des soldats congolais. On se souvient de l’exaltation avec laquelle le chef militaire du M23, depuis Kampala, a « savouré »[9] la nouvelle annonçant l’assassinat du colonel Mamadou Ndala[10], pendant que les Congolais étaient en larmes. A-t-on un seul instant pensé à ce que cet officier lié à l’armée rwandaise risque de faire subir aux soldats congolais qui l’ont combattu tout au long des aventures du M23 ?

Et, plus globalement, qu’est-ce que le colonel Sultani Makenga a de si important pour que le Congo, avec ses 72 millions d’habitants, qu’il a martyrisés, accepte de lui accorder un privilège aussi princier que l’impunité des crimes de guerre et crimes contre l’humanité ?

Devoir de résistance

Il est évident que derrière le retour du colonel Makenga, des éminences grises des régimes de Museveni en Ouganda, de Kagame au Rwanda et de Kabila ont, une fois de plus, pris des engagements secrets, ce qui commence à faire beaucoup. Les trois régimes sont décrits dans le dernier ouvrage de Patrick Mbeko comme un triumvirat qui a ruiné la confiance des peuples de la région et tout espoir de paix tant qu’ils seront aux commandes des trois pays. Ils co-organisent les guerres à répétition contre le Congo et le pillage des ressources minières du Kivu au profit des milieux d’affaires anglo-américains[11]. Le retour des membres du M23, qui sont, en réalité, les agents des pouvoirs de Kigali et de Kampala, formés dans les bases militaires des deux pays, participe à la stratégie du chaos, une nouvelle mutinerie/« rébellion tutsie » étant toujours pendante[12].

Les Congolais, après les six millions de morts du fait de ces guerres sciemment entretenues, ne devraient plus accepter de cautionner des impunités aussi scandaleuses, qui, en plus, font le lit de nouvelles guerres[13]. Une vive résistance devrait être organisée notamment au niveau des populations ville par ville, des magistrats civils et militaires, et des avocats pour que les crimes du colonel Makenga et de ses hommes ne restent pas impunis, en dépit de ce que les trois régimes (Kinshasa, Kampala, Kigali) ont pu convenir dans le dos des Congolais. Parallèlement aux actions au Congo, les Congolais devraient massivement saisir Madame Fatou Bensouda, la Procureure générale de la Cour pénale internationale, pour qu’elle prenne ses responsabilités.

Il serait indécent que les gens viennent demain verser des larmes de crocodile lorsque Makenga aura liquidé les témoins gênants, ou lorsque, du haut de son grade d’officier supérieur, il se sera vengé sur les soldats congolais qui l’ont combattu sous le commandement du colonel Mamadou Ndala, en perdant des dizaines de leurs camarades au front[14]. C’est maintenant qu’il faut agir.

Boniface MUSAVULI

Le direct


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