*Evariste Boshab, Vice-premier Ministre, Ministre de l’Intérieur et Sécurité est encore attendu aujourd’hui lundi, 30 novembre 2015, à l’hémicycle de l’Assemblée Nationale. Cela, afin de boucler la boucle sur la question orale avec débat du Député Clément Kanku, à propos de la nomination des Commissaires Spéciaux pour la gestion des vingt et une nouvelles Provinces de la RD. Congo. Lors de sa réponse, le jeudi 26 novembre dernier, Evariste Boshab a indiqué que cette désignation ne viole pas la Constitution pour trois raisons. D’abord, parce que cela est consécutif à l’arrêt rendu par la Cour Constitutionnelle pour éviter un vide et mettre fin à une situation telle que celle de la Cour du roi Pétaud qui se profilait à l’horizon. Or, conformément à l’article 168 de la Constitution : « les arrêts de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, toutes les Autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu’aux particuliers. Ensuite, l’arrêt Bazaiba rendu par cette Cour le 21 novembre 2015 a conforté sa vision. D’autant plus la SG du MLC demandait à la Cour d’interpréter en quelque sorte cet arrêt. Et, la Cour Constitutionnelle a conclu au rejet, vu pour elle, que tout était clair. Enfin, c’est l’arrêt Babandoa rendu le 21 novembre 2015 dans laquelle, elle faisait un constat selon lequel, la Nomination des commissaires spéciaux était contraire à la Constitution. A cela, la réplique était que la Constitution était respectée dans toutes ses dispositions.

Ci-dessous, l’intégralité de la réponse d’Evariste Boshab lue à la chambre basse du Parlement, le jeudi 26 novembre dernier.

Réponse du VPM Boshab à la question orale du Député National Clément Kanku sur la nomination des Commissaires Spéciaux du Gouvernement

Honorable Président;

Honorables Membres du Bureau;

Honorables Députés;

Je voudrais, avant tout propos, remercier Votre Auguste Assemblée et en particulier, l’honorable Kanku pour la question qui m’a été posée, et qui démontre l’intérêt que manifeste la représentation nationale, pour le bon fonctionnement des institutions de la République. C’est évident, l’enracinement de la démocratie ne peut provenir que des échanges fréquents, du débat d’idées, et de l’élimination de l’apriorisme, car enfin personne n’a le monopole de la vérité. C’est par le dialogue permanent qu’éclate la vérité pour, à la fois, mieux défendre le droit de nos populations et renforcer les libertés démocratiques.

Permettez-moi par ailleurs, de remercier tous ceux qui sont couverts de l’onction populaire pour avoir excusé par deux fois mon absence, afin d’exposer la présente réponse. Il s’agit des circonstances indépendantes de ma volonté, qui m’ont obligé d’être en dehors du territoire national. Je voudrais de ce fait, traduire à la Représentation Nationale ma profonde reconnaissance. Pour rencontrer les préoccupations pertinentes exprimées par l’honorable Clément Kanku, je sollicite de votre intelligence que la réponse soit structurée en trois moments : d’abord, les prolégomènes; ensuite les rapports entre les Commissaires Spéciaux et les Assemblées Provinciales eu égard aux compétences constitutionnelles de celles-là; enfin, il va falloir donner suite à l’affirmation selon laquelle, la nomination des Commissaires Spéciaux violerait l’article 198 de la Constitution qui dispose que les Gouverneurs des provinces soient élus par les Assemblées provinciales.

Telle est Honorable Président, la trame que je propose en vue de donner les éléments de réponse à la question de l’Honorable Clément Kanku.

Les prolégomènes. Depuis l’accession de notre pays à l’indépendance, la sous administration du territoire rentre parmi les ventres mous de la République. Qu’il s’agisse des fora politiques tenus sous la première et la deuxième ou la troisième République, ou de tous les états généraux de l’administration tenus sans complaisance, il s’y dégage le même constat : la nécessité des provinces à dimension humaine, pour rapprocher les administrants des administrés. Et donc, l’option du constituant à travers l’article 2 de la Constitution n’est pas le fait du hasard, mais plutôt la concrétisation des vœux des RD-Congolais réunis notamment à la Conférence Nationale Souveraine et à Sun-city. Il a fallu donc concrétiser cette option du constituant dont le premier acte, fut l’élection des sénateurs suivant la configuration des 26 provinces. Et donc, trois ans après la mise en place du Sénat, les nouvelles provinces devraient devenir effectives. C’est ainsi que l’Assemblée Provinciale de la province de l’Ituri décida en 2010 que sa province devenait fonctionnelle. Point n’est besoin de vous rappeler qu’abandonner l’effectivité des nouvelles provinces au bon vouloir des Assemblées provinciales créerait un désordre qui mettrait en mal la République.
C’est ainsi que le législateur a pensé qu’il fallait des étapes traduites par la loi de programmation n°15/004 du 28 février 2015 fixant les modalités d’installation de nouvelles provinces. Par la même occasion, la loi a créé des commissions chargées de faire l’inventaire des patrimoines des provinces démembrées, à l’issue de leurs travaux, elles devaient faire un rapport aux Assemblées provinciales concernées. De même, les procédures d’installation des animateurs desdites provinces ont été prévues par cette loi. Une durée maximale de 120 jours a été prévue par la loi pour toutes les étapes d’installation.
Face aux défis énormes que recèle cette loi, spécialement en ce qui concerne les contraintes de temps et moyens financiers, votre Gouvernement, toujours dans un esprit républicain manifeste, s’est mis à l’ouvrage sans attendre. C’est ici pour moi l’occasion de remercier le Chef de l’Etat, Joseph Kabila Kabange, à qui je rends mes hommages les plus déférents, pour son implication personnelle dans la réussite de cette mission que la Constitution et les lois de la République nous ont confiée.

Sans ses encouragements personnels, devant tant d’obstacles rencontrés, nous aurions certainement baissé les bras. Tenant compte des 120 jours nous impartis par le législateur pour terminer toutes les opérations d’installation des nouvelles provinces, nous avions sorti un chronogramme indicatif pour respecter la volonté du législateur. Curieusement, les chants des sirènes retentirent de partout comme un véritable tocsin, mais à la différence du tocsin, ces chants propageaient de la toxine. Pour éviter la servitude du bouc émissaire, j’ai, au nom du gouvernement, par ma lettre n°25/CAB/MININTERSEC/EB/2183/2015 du 18 juillet 2015, saisi la Commission Electorale Nationale Indépendante, afin que conformément aux lois de la République, les élections des Gouverneurs et des Vice-gouverneurs soient organisées. Pour des raisons propres à la CENI, ces élections ont été reportées à deux reprises. Devant les exigences du respect de la légalité, la CENI a saisi la Cour constitutionnelle, chargée de juger de la constitutionalité des actes posés par l’administration aux fins de s’enquérir de son avis sur «la poursuite du processus électoral tel que planifié par sa décision n°001/CENI/ BUR/15 du 12 février 2015 portant publication du calendrier des élections provinciales, urbaines, municipales et locales de 2015 et des élections présidentielles et législatives de 2016 relativement à l’organisation dans le délai, des élections provinciales prévues le 25 octobre 2015».

C’est ainsi que par son arrêt n° R.Const. 0089/2015 du 08 septembre 2015 la Haute Cour a fait injonction au Gouvernement de pourvoir provisoirement au fonctionnement régulier des services publics provinciaux, en attendant l’organisation des élections des Gouverneurs et des vice-gouverneurs des provinces concernées. Le Chef de l’Etat, en sa qualité de garant de l’unité nationale et en exécution de l’arrêt n° R.Const. 0089/2015 du 08 septembre 2015 précité, a jugé nécessaire de doter les nouvelles provinces des Autorités devant les animer pour un temps limité, en attendant l’organisation des élections. Il sied de rappeler à votre illustre assemblée que selon l’article 63 de la loi 08-012 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces: «Le Gouverneur de province représente le gouvernement central en province. Il assure dans ce cadre, la sauvegarde de l’intérêt national, le respect des lois et règlements de la République et veille à la sécurité et à l’ordre public dans la province». L’alinéa 2 de l’article 66 de la même loi dispose:

«En cas de nécessité, le pouvoir central peut reformer ou se substituer au pouvoir du Gouverneur de province». Tel est le tableau qui nous permet d’aborder la seconde préoccupation exprimée par la question de l’honorable Clément Kanku, à savoir quels sont les rapports entre les assemblées provinciales et les commissaires spéciaux du Gouvernement.

2. Les rapports entre les Commissaires Spéciaux et les Assemblées Provinciales. La présence des Commissaires Spéciaux et Commissaires Spéciaux adjoints du Gouvernement, ne peut nullement, phagocyter les compétences reconnues aux Assemblées Provinciales par le constituant et par la loi portant libre administration des provinces. Ceci signifie que les Commissaires Spéciaux du Gouvernement rendront compte de leur gestion devant les Assemblées Provinciales. A la seule différence, qu’avant leur entrée en fonction, ils ne présentent pas un programme devant les Assemblées Provinciales et ils ne peuvent pas faire l’objet d’une motion de censure. La question est de savoir pourquoi? Et la réponse est simple: - Primo, ils ne sont pas l’émanation des Assemblées Provinciales ainsi que le précise leur dénomination, ils sont délégués par le Gouvernement central pour faire face à une situation exceptionnelle, éviter un vide, sinon vacuum institutionnel.

- Secundo, la motion de censure n’est pas la seule sanction en démocratie, car, il suffit de se référer à plusieurs autres Etats démocratiques qui fonctionnent merveilleusement, qui pourtant ne connaissent pas la pratique de la motion de censure. Ceci ne signifie pas que blanc-seing serait donné aux Commissaires Spéciaux, ouvrant la voie à l’impunité, point du tout, mais plutôt lorsqu’une assemblée provinciale constate la me gestion ou l’incompétence, il lui est loisible de s’adresser à L’autorité qui a nommé les commissaires spéciaux pour lui demander de les retirer.

- Et enfin s’agissant d’une situation provisoire, et donc momentanée, le principe de précaution plaidait pour la stabilité d’où la nécessité de ne pas soumettre ces délégués du gouvernement aux humeurs acariâtres, étant entendu l’impératif de l’effectivité des nouvelles provinces. C’est pourquoi, il convient à présent d’aborder le troisième et dernier aspect de la question de l’honorable Clément Kanku, c’est celui de savoir si, la nomination des commissaires spéciaux du gouvernement n’est pas en rupture avec les prescrits de l’article 198 de la constitution, particulièrement son aliénât 2.

3. Nomination des Commissaires Spéciaux et respect de la Constitution. Le discours sur la violation de la constitution doit être encouragé, car il traduit une triple conséquence: premièrement, ce discours signifie que le peuple s’approprie sa constitution qui doit être défendue comme la prunelle de ses yeux. La seconde conséquence, c’est le rayonnement des libertés démocratiques contenues dans la constitution que chacun de nous est appelé à défendre. La troisième conséquence, c’est la vigilance d’un peuple, qui dit au gardien du temple, que celui-ci est la propriété de tous, il importe donc que la vigilance de chacun soit aiguisée, ou même aiguillonnée, pour que les vigiles eux-mêmes ne somnolent point. Tel est l’idéal, Honorable Président, l’idéal aurait été, qu’à la place des commissaires spéciaux du Gouvernement, on élise les Gouverneurs des provinces. Cependant, face à l’idéal, il y a le réalisme. Il y a donc affrontement continuel entre l’idéal et le réalisme. C’est cet affrontement continuel entre l’idéal et le réalisme, qui ponctue la vie des nations. Ceci ne signifie cependant pas, que réalisme et constitution ne feraient pas bon ménage. Florian Savonitto dans sa brillante thèse intitulée les discours constitutionnels sur la violation de la Constitution, confrontant l’idéalisme du constituant, au réalisme du fonctionnement des institutions, arrive à une merveilleuse conclusion: «En revanche, l’analyse réaliste du droit, et plus particulièrement Michel Troper, s’attache à renouveler à la fois la manière de le concevoir et la manière de l’aborder afin d’en obtenir une vision qui ne serait que l’image de la réalité telle qu’elle est.

Une telle démarche a fini par rendre la violation de la Constitution impossible à concevoir et à dénoncer». Selon la théorie réaliste de l’interprétation, tout auparavant était illusion : le sens contenu dans le texte, l’interprétation appréhendée comme une activité de connaissance et l’interprète soumis à la volonté du Constituant. Ainsi désormais, avant l’interprétation, le texte serait vide de sens. Il ne contiendrait ni norme, ni sens. Seule l’interprétation assimilée à une opération de pure volonté déterminerait la norme, le sens du texte. Et l’interprète ne serait soumis à aucune autre volonté que la sienne. Bénéficiant du pouvoir de tout faire dire au texte, il disposerait alors d’une liberté illimitée dans la détermination de son sens. La notion de violation de la Constitution est donc rendue inconcevable sauf de penser un écart entre le sens du texte et son interprétation. Au demeurant, si l’interprétation est conçue comme une pure opération de la volonté et si rien ne lui préexiste, à part la volonté du contestataire qui ne repose sur rien, il n’existe aucun autre fondement à partir duquel il serait possible de critiquer une interprétation. Il est alors difficile d’expliquer pourquoi une interprétation serait désignée comme une violation plutôt qu’une autre, vu qu’en dehors de la volonté de l’interprète, aucun autre élément n’entre en compte pour déterminer le sens du texte, la norme constitutionnelle. Devant deux interprétations contradictoires, la théorie réaliste de l’interprétation ne peut justifier de faire prévaloir l’une au dépend de l’autre autrement que sur le mode de l’autorité du plus fort. Devenue inconcevable, la violation de la Constitution serait également devenue impossible à dénoncer. Renouvelant la manière d’aborder le droit, la science du droit élaborée par Michel Troper reconnait le caractère scientifique d’un discours à sa neutralité. Devant conserver une position extérieur à son objet, le juriste est réduit à décrire le droit tel qu’il est et non à rechercher le droit tel qu’il devrait être afin d’éviter toutes activités prescriptives et l’énonciation de jugement de valeur. Toute critique du droit positif excéderait alors la simple description requise : la dénonciation d’une violation de la Constitution ne pourrait alors se voir reconnaitre un caractère scientifique sous prétexte qu’elle n’est pas neutre. Toute contestation des interprétations des pouvoirs constitués ne serait donc plus juridique, mais serait reversée sur le terrain de la morale ou de la politique. Or, cette neutralité apparait inaccessible. Tout d’abord, la scientificité d’un discours strictement descriptif est contestable. Ensuite, même l’activité descriptive ne permet pas d’être assurément neutre et objectif, ce qui lève alors l’obstacle conduisant à proscrire toute critique.

Enfin, cette neutralité atteint un degré d’exigences tel que cela lui prête paradoxalement un caractère idéologique: en mettant à l’abri de toute contestation juridique les interprétations des pouvoirs constitués, cette conception de la science du droit produit indéniablement des effets politiques. En définitive, parvenant à un effacement absolu de la notion de la violation de la Constitution, les discours constitutionnels tenus tant par la doctrine constitutionnelle que par la classe politique viennent infirmer le propos de Victor Hugo selon lequel les Constitutions sont faites pour être violées, faute de penser la violation de la Constitution. » La désignation des Commissaires Spéciaux du Gouvernement viole-t-elle le prescrit de l’article 198 de la constitution ? Ma réponse est négative pour trois raisons. D’abord parce que cette nomination n’est rien d’autre qu’une déférence à l’arrêt rendu par la Cour Constitutionnelle pour éviter un vide et mettre fin à une situation telle que celle de la cour du roi Pétaud qui se profilait à l’horizon. Or, conformément à l’article 168 de la Constitution: «les arrêts de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu’aux particuliers». Ceci signifie simplement, que les arrêts de Cour Constitutionnelle bénéficient immédiatement de l’autorité de la chose jugée.

L’article 168 de notre Constitution est l’équivalent de l’article 62, alinéa 3 de la Constitution française en ce qui concerne le conseil constitutionnel. L’internationalisation des constitutions ainsi que les colloques permanents entre les juges des différentes Hautes Cours inclinent à soutenir qu’il faut donner la même interprétation aux dispositions constitutionnelles dont la proximité n’est plus à démontrer, quand bien même l’histoire et la mentalité de chaque peuple doivent être prises en considération. Ensuite, l’arrêt Bazaiba rendu par la Cour constitutionnelle en date du 21 novembre 2015 conforte ma vision. En effet, la requérante demandait à la Cour d’interpréter en quelque sorte son arrêt, cette Haute Cour a conclu au rejet, en ce que tout ce qui est clair ne peut faire l’objet d’une quelconque interpellation.

Enfin, le troisième argument, c’est l’arrêt Babandowa rendu par la Haute Cour en date du 21 novembre 2015, la requérante demandait de constater que la nomination des Commissaires Spéciaux était contraire à la Constitution. La Haute Cour a répondu que la constitution avait été respectée dans toutes ses dispositions. De tout ce qui précède, Honorable Président, il ne me reste plus qu’à demander à l’honorable Clément Kanku de s’incliner devant les arrêts de la Haute Cour, car c’est de cette manière que nous allons ensemble bâtir notre démocratie en respectant les règles du jeu, même si face aux enjeux on a parfois l’impression que les règles sont de coupe-joie. Point du tout. Elles constituent plutôt la fondation de l’édifice qu’ensemble nous devons consolider.

Je vous remercie

Evariste BOSHAB

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