
A en croire les propos du Professeur André Mbata, Directeur exécutif de l’IDGPA (Institut pour la démocratie, la gouvernance, la paix et le développement en Afrique) et initiateur du Colloque, c’est «du jamais vu». Il n’en revient pas. Il est déçu. Lui qui pensait refaire de Kinshasa, via ces assises, une des capitales intellectuelles du continent, et pas seulement de la musique.
«Nous clôturons ce colloque sur les 10 ans de la Constitution de la RDC, notre pays avec un sentiment de satisfaction. Satisfaction parce qu’en fin, il nous a été possible comme Institut pour la Démocratie, la Gouvernance, la paix et le Développement en Afrique, IDGPA en sigle, malgré le désistement de la collaboration de la faculté des droits de l’Université de Kinshasa et d’autres institutions, il nous a été possible de célébrer les 10 ans de la Constitution de notre pays parce que nous pensons qu’elle est plus important pour notre pays. Et c’était un grand moment, faisant partie du peuple congolais, il était important que cet événement soit célébré et ne pas passer sous silence comme l’a fait le gouvernement», a-t-il lancé.
Des recommandations…
Plusieurs recommandations ont été faites aux institutions de la République et aussi à la population congolaise. Les scientifiques et autres intellectuels qui ont réfléchi sur ce 10ème anniversaire ont fait un travail complet, mettant ainsi chaque congolais devant sa responsabilité.
«Le colloque se termine avec un certain nombre de recommandations que vous avez suivi et elles sont d’abord adressées aux institutions de la République et, dans l’ordre des institutions, il est demandé au Président de la République qui avait signé et promulgué lui-même cette constitution de bien vouloir la respecter et la défendre lorsqu’elle est attaquée. Parce que c’est lui le garant de la constitution, parce que c’est lui qui, au moment de son élection en 2006 et de sa réélection en 2011, avait juré devant Dieu et la Nation de la respecter. Donc, l’une des recommandations, c’est de rappeler au Président de la République la nécessité de défendre cette loi mère », a-t-il dit. Et de poursuivre qu’il y a des recommandations qui ont été faites à d’autres institutions comme le parlement de la République qui doit s’acquitter de sa mission, conformément à la Constitution du pays. Quelle est sa mission ? C’est de voter les lois, c’est contrôler le gouvernement et les services publics, c’est veiller aux intérêts de la population et non pas aux intérêts de ses propres membres. En ce qui concerne le gouvernement de la République, il lui a été demandé de la défendre.
La quatrième institution à recevoir les recommandations, c’est le pouvoir judiciaire notamment, la Cour Constitutionnelle. Il est demandé à la Cour Constitutionnelle et au pouvoir judiciaire, en général, de dire le droit conformément à la Constitution parce que la justice est rendue au nom du peuple congolais, les magistrats sont donc redevables au peuple congolais ; ils doivent défendre les droits du peuple et dirent les droits non pas dans l’intérêt d’un seul individu ou d’un groupe quelconque, mais dire le droit dans l’intérêt du peuple. Pour le Professeur André Mbata, la Cour Constitutionnelle est la gardienne de la Constitution, elle doit être au dessus de la mêlée, au dessus des pressions politiques pour trancher, en âme et conscience, et rendre la justice constitutionnelle en toute impartialité. Le colloque a rappelé que même si les arrêts de la Cour sont sans appel, la Cour ne peut pas oublier qu’elle-même est soumise à la Constitution. Des recommandations ont été faites à l’administration publique à tous les niveaux, c'est-à-dire, les niveaux national, provincial, etc. pour que tout le monde intériorise la culture constitutionnelle.
«Il y a eu des recommandations au niveau des intellectuels, particulièrement les juristes, les politiques, les sociologues, tous ceux-là qui travaillent pour la Constitution de défendre la constitution dans tout ce qu’ils font. Il n’est pas normal, comme vous le savez, qu’une faculté de droits se désiste, les intellectuels doivent travailler dans tous les sens pour promouvoir cette constitution qui vise l’intérêt général de notre peuple. Et on a rappelé que notre savoir comme intellectuel n’a des valeurs que s’il est mis au service de la société. Et au peuple, il lui a été demandé d’intérioriser la constitution et de se l’approprier parce que lorsque vous regarder le préambule, c’est le peuple congolais qui a adopté, donc le peuple congolais est le premier défenseur de cette constitution», a-t-il conclu.
Kevin Inana
Recommandations
Les participants au Colloque sont tous unanimes sur la nécessité pour les institutions de la République et l’ensemble des congolais de veiller à ce que la Constitution soit respectée dans son intégralité. Il s’agit de respecter scrupuleusement les dispositions constitutionnelles notamment celles relatives :
à la limitation des pouvoirs ;
à l’indépendance du pouvoir judiciaire et des institutions d’appui à la démocratie ;
au respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales dont le droit à la vie, le droit à l’égalité de tous et à la non-discrimination, les droits de la femme, y compris la parité dans les institutions, le droit à un environnement sain et propice au développement, le droit à la liberté d’expression ou d’opinion, et le droit à la liberté de manifestation pacifique sous le régime d’information et non d’autorisation. Ces droits doivent être reconnus à tous les Congolais et non pas seulement aux personnes et organisations associées au parti ou à la coalition au pouvoir.
Les recommandations suivantes sont formulées à l’endroit des institutions de la République, des intellectuels congolais, des acteurs politiques, de la communauté internationale, et celui du peuple congolais.
1. Aux institutions publiques :
Au Président de la république :
Tenir compte de son devoir d’observer et de défendre la Constitution conformément aux articles 69 et 74 de la Constitution qu’il avait lui-même promulguée pour préserver les acquis de sa présidence et épargner son pays d’une crise politique aux conséquences incalculables, les violations de la Constitution ayant été la principale cause de crises politiques depuis l’accession du pays à l’indépendance le 30 juin 1960.
Au Parlement :
Veiller au respect de la Constitution notamment en adoptant toutes les lois nécessaires à l’application des dispositions constitutionnelles telles que celle qui se rapporte à la liberté de manifestation consacrée à l’article 26 ; Ce qui permettra de mettre un terme à la confusion qui continue d’être entretenue par l’usage d’un régime d’autorisation, plutôt que celui d’information consacré par ladite disposition.
Renforcer le contrôle parlementaire du gouvernement, des établissements et services publics, et se préoccuper davantage des intérêts du peuple que les parlementaires sont censés représenter et défendre conformément à la Constitution.
1.3.Au Gouvernement :
Respecter scrupuleusement la Constitution qui est la source de tout pouvoir dans l’Etat.
Veiller à ce que la Constitution soit respectée par tous les agents et fonctionnaires de l’Etat à tous les niveaux de l’Administration publique, spécialement par les membres des forces armées et de la police.
Au pouvoir judiciaire :
Agir comme garant des droits et libertés fondamentaux reconnus aux citoyens car la justice est rendue au nom du peuple et non pas au nom du gouvernement ou des partis au pouvoir.
Faire en sorte qu’il soit mis fin aux arrestations et détentions arbitraires devenues monnaie courante, dans le respect de la Constitution
Faciliter l’accès de tous les citoyens à la justice.
1.5. Plus particulièrement à la Cour constitutionnelle:
Rehausser son niveau d’indépendance et d’impartialité par rapport monde politique dont les acteurs espèrent toujours obtenir des arrêts allant dans le sens de leurs intérêts, parfois au mépris des prescrits constitutionnels.
Se mettre à l’écoute du peuple afin d’améliorer sa jurisprudence et son image jusque-là négativedans l’opinion.
Entretenir un dialogue constructif permanent avec le monde académique ou scientifique notamment en organisant des conférences ainsi qu’en donnant la possibilité aux jeunes chercheurs d’effectuer des stages de recherches en son sein ;
Entretenir également des échanges avec d’autres juridictions constitutionnelles du monde, particulièrement celles d’Afrique qui ont contribué largement à la consolidation de l’Etat de droit démocratique dans leurs pays.
Exiger de ses membres une formation permanente et continue dans le domaine du contentieux constitutionnel qui est nouveau dans notre pays et qui est bien différent de simples contentieux administratifs, judiciaire et civil dans lesquels les juges congolais avaient été principalement formés et s’étaient illustrés jusque-là.
Comprendre que même si ses arrêts sont sans recours, dans un Etat de droit, la Cour constitutionnelle elle-même tout comme les autres juridictions et institutions de la République ne sont pas au-dessus de la Constitution à laquelle elles doivent impérativement se soumettre.
Réaliser que malgré leur mode de nomination qui privilégie le Président de la République en fonction et les partis politiques dominants au niveau du Parlement, la Cour ne saurait être un bras séculier du gouvernement, les juges constitutionnelsqui sont nommés pour une durée plus longue que celle du mandat présidentiel ou parlementaire ne sont pas non plus des agents du gouvernement ni du parti ou de la coalition au pouvoir.
Ils doivent comprendre qu’ils ont même un devoir d’ingratitude vis-à-vis des gouvernants et des partis politiques. Ils ne sont soumis qu’à la Constitution et leur gratitude ne s’adresse qu’au peuple souverain qui est le constituant originaire.
Abandonner la méthode grammaticale ou littérale d’interprétation pour privilégier des méthodes contextuelle, holistique et téléologique qui tiennent compte de l’esprit de la Constitution et le but poursuivi par le constituant originaire qui est celui d’établir un Etat de droit réellement démocratique et social conformément à l’article 1er de la Constitution.
Protéger les droits et libertés des citoyens en se prononçant dans les délais sur les requêtes pendantes devant elle, notamment celle tendant à déclarer la peine de mort inconstitutionnelle dans notre pays.
Aux institutions d’appui à la démocratie de la République comme le CSAC et la Commission électorale nationale indépendante :
Respecter scrupuleusement la Constitution.
La CENI doit notamment veiller de sorte à ce qu’elle publie urgemment le calendrier électoral et que les élections présidentielles se tiennent dans le respect des délais constitutionnels.
1.7 Aux Forces de sécurité :
Veiller à la protection des droits des citoyens quelle que soit leur appartenance ou leur obédience politique étant donné que l’armée, la police, et les services de sécurité sont d’abord au service du peuple.
Refuser d’obéir à tout ordre hiérarchique qui serait inconstitutionnel et les amènerait à violer les droits des citoyens lors des opérations de maintien de l’ordre public.
S’abstenir de toute violation des droits et libertés fondamentales, particulièrement lors des manifestations pacifiques, conformément à la Constitution.
Aux acteurs politiques :
S’imprégner davantage des vertus républicaines pour respecter la Constitution dans l’organisation et le fonctionnement de leurs partis politiques car il leur serait difficile de défendre la Constitution et promouvoir la démocratie dans le pays si on ne peut pas le faire au sein de leurs partis politiques.
Aux intellectuels congolais :
S’investir dans la connaissance et l’amour de la Constitution en développant une culture constitutionnelle qui devrait les amener à défendre la Constitution de la République car le savoir n’a de valeur que s’il est mis au service du peuple.C’est particulièrement le cas des juristes, des politologues, et des enseignants des Facultés de droit qui devraient promouvoir le respect de la Constitution et non devenir des agents de justification des fraudes constitutionnelles au service des acteurs politiques.
Poursuivre les débats scientifiques sur la Constitution et rejeter leur politisation sur base des mots d’ordre politiques du gouvernement.
A la Communauté internationale, spécialement l’ONU, l’Union africaine, l’Union européenne, et les partenaires étrangers de la RDC :
Continuer d’accompagner les institutions de la République et le peuple congolais dans leurs efforts en vue de l’application intégrale et du respect de la Constitution dont dépendent la paix et le développement du pays.
Aller au-delà des déclarations pour encourager le gouvernement et aider effectivement la CENI en lui apportant des moyens logistiques et financiers qui lui permettent de s’acquitter de son devoir d’organiser des élections présidentielles dans les délais constitutionnels.
Encourager le gouvernement à se conformer aux instruments internationaux relatifs à la démocratie et aux droits de l’homme, spécialement l’Acte Constitutif de l’Union africaine et la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance qui condamnent et sanctionnent les violations des droits humains ainsi que tout changement inconstitutionnel de gouvernements qui est érigé en crime international. Les tripatouillages et autres fraudes à la Constitution en vue de la conservation du pouvoir sont assimilés aux changements inconstitutionnels de gouvernements.
Au peuple congolais :
S’imprégner davantage de cette Constitution, qui est non pas une Constitution des belligérants, mais sa propre constitution qu’il avait adoptée par voie de référendum en décembre 2005 avec une participation populaire de 85%.
La constitution, en tant que pacte et socle de la société ou de l’Etat doit, être intériorisée dans l’imaginaire collectif des congolais.A cette fin, les participants au Colloque préconisent que la Constitution étant l’affaire de tous, un cours d’initiation à la Constitution devrait être instauré comme un enseignement obligatoire du niveau secondaire au niveau supérieur ou universitaire.
Une campagne de vulgarisation de la Constitution dans toutes les langues nationales est nécessaire pour développer la culture politique de la population, des acteurs politiques et des militants des partis politiques.
Comme Congolais, nous avons tous le devoir de chérir, de respecter et de protéger notre constitution. Qui aime le pays, qui aime la République Démocratique du Congo et qui aime le peuple congolais doit d’ abord aimer sa Constitution. C’est seulement en agissant de la sorte, que nous serons capables de bâtir un pays plus beau qu’avant et de redresser nos fronts longtemps courbés selon les prescrits de notre Hymne national « Debout Congolais ».
Vive la République Démocratique du Congo ;
Vive le Peuple congolais ;
Vive la Constitution de la République Démocratique du Congo ;
(Constitution) EWUMELA
Fait à Kinshasa la 20 février 2016
LE RAPPORTEUR GENERAL